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dimanche 11 décembre 2022

L'Affaire Saint-Fiacre - Maigret - Georges Simenon

 

Réédition Edito-Servive ed. (1974)

 

Réédition Livre de Poche Simenon (1970)

 

Fin octobre 1932. Maigret reçoit au Quai des Orfèvres la lettre anonyme suivante, transmise à toutes fins utiles par la Police municipale de Moulins (Allier). « Je vous annonce qu’un crime sera commis à l’église de Saint-Fiacre pendant la première messe du jour des morts ».  Saint-Fiacre : là où il est né, le pays de son enfance heureuse, où son père, régisseur du Domaine des Saint-Fiacre, est enterré, où la Comtesse l’a financièrement aidé à faire des études. Un petit bourg, son église, son château, son auberge (Le commissaire y couche ; humble, il se refuse aux chambres du Domaine), une Comtesse (dont enfant il fut secrètement amoureux) aux bords de la ruine, ses habitants, son curé, son médecin ...  

… et la Comtesse, le Jour de la Toussaint, décède de mort naturelle sur son prie-Dieu, son missel entre ses mains. Maigret, sur place, est perplexe jusqu’à ce qu’il découvre, entre les pages, une coupure de journal qui annonce le suicide de son fils. C’est une fausse nouvelle. On la savait malade du cœur…  un crime quoi qu’on en pense.

La suite appartient au récit …

Maigret erre, nostalgique, sur les traces de son passé. Mais, de ce qu’il se souvient, rien n’est vraiment conforme à ses souvenirs, d’autant que le drame en cours perturbe ses perceptions. Saint-Fiacre, un microcosme social renouvelé, un huis-clos, recroquevillé sur lui-même au cœur d’un hiver précoce. Repli des choses et des êtres au cœur d’un froid à pierre fendre, chacun dans sa propre solitude.

Le fils, Maurice de Saint-Fiacre, un impécunieux arrogant, qui porte haut et beau mais a le cul bien sale ; qui, là-bas à Paris, dit t’on, mène grand train aux frais de sa mère ; qui, de temps à autre, dette d’importance aux trousses, revient pour racler ce qui reste de tableaux de prix, de livres rares, de mobiliers précieux, de bijoux de valeur ... Une voiture de sport, de gros cigares, de bons vins, des petites pépées grand luxe ; et, avec çà, pas un sou en poche et sa main dans celle des autres. Bref, un salopiot d’une espèce profondément détestable, aux pourboires généreux d’un argent qui n’est pas le sien. Un « fin de règne » grand teint, fieffé menteur, embobineur, m’as-tu-vu et fanfaron… mais qui, acculé, reprendra peut-être de dignes couleurs aristocratiques ? … de quoi se racheter une conduite ?

Le régisseur et son fils. Ce dernier est en quelque sorte l’alter-ego de Maigret (ce qu’il serait devenu s’il n’avait pas quitté la région). En ville, c’est un caissier de banque, derrière son comptoir, à jouer au Monsieur-cravate, bien propre sur lui, poli, disponible et obséquieux. Et qui, dit t’on, fut un brin opportuniste en étant, un temps, au mieux avec la comtesse …

Un curé d’antan, taiseux, engoncé dans sa foi, coincé par le secret lié à la confession, les péchés de chair de la Comtesse d’une part, la dilapidation de ses biens par les gigolos successifs de l’autre.

Un toubib de famille entre incompétence professionnelle, imprévoyance et parties de chasse.

L’amant de cœur de Madame la Comtesse. Celui en cours, escorté par son avocat ; n’est t’il pas le coupable idéal ? Critique d’art à défaut d’autre chose. Un être falot qui n’a que l’avantage de la jeunesse.

La Comtesse. Une veuve plus en mal d’affection qu’en désir de chair ; une bigote sur le tard, malheureuse et indifférente à tout (si ce n’est à son fils et ses problèmes d’argent). Une fortune qui ne lui est plus rien depuis que le comte n’est plus. Elle a couché sur testament, par devant notaire, le premier gigolo d’occasion venu ; dépit que tout cela.

L'affaire Saint-Fiacre est l’un des Maigret les plus connus (3 adaptations ciné recensées : avec Gabin, Jean Richard, Bruno Cremer). L’un des plus atypiques, aussi. Maigret, nostalgique d’un temps enfui, ballotté par les évènements en cours, n’est pas en prise avec la réalité, son passé interfère avec le présent. Il délègue, sans s’en rendre vraiment compte, l’enquête officieuse à un suspect sur lequel semblent peser beaucoup d’indices.

  L’épilogue se rapproche de la résolution d’une énigme de Cluedo : la bibliothèque, le revolver chargé sur la table à égale distance de six suspects tour à tour sur la sellette (l’un deux devra se suicider). Chacun lance ses dés, qui pour se disculper, qui pour accuser. Trois cartes dans la pochette noire attendent : l’église, l’article de presse et le meurtrier. Une autre façon de voir le roman est de considérer le roman comme policier façon Agatha Christie.

Les dialogues du film de Jean Delannoy (1959, avec Gabin) sont signés Michel Audiard. Son empreinte linguistique particulière est palpable et reconnaissable. Gabin surtout, dans le rôle de Maigret, y trouve des propos ronds, chantants, alertes et percutants, métaphoriques. L’effet Simenon s’efface. Perturbant.

L’impact de l’acteur sur le film est plus important que le personnage de papier sur le roman, il y prend plus de place. Gabin, lors de l’épilogue Cluedo, ne s’efface plus à l’arrière-plan, n’est plus le figurant dans l’attente mais le commissaire qui lève le voile et accuse, pousse une beuglante homérique à l’encontre du coupable ; lui qui ne jugeait jamais règle ses comptes, avec férocité. L’intention première de Delannoy fut, sans doute, d’offrir à Gabin un écrin idéal à son jeu d’acteur, un bouquet final éblouissant, un feu d’artifice qui libère dans la colère les tensions retenues face à l’ignominie d’un acte qui, à y réfléchir, est pleinement criminel.

Les deux fins sont différentes quant au sort réservé au meurtrier ; la Justice passera dans le film tandis que le roman renvoie aux seules consciences, offre une fin ouverte qui mortifie le Commissaire (mais que faire d’autre ?).


1959, de Jean Delannoy

5 commentaires:

  1. J'ai dû voir quelques bribes de la version Cremer... Ne ne connaissais rien de la version Gabin, merci!
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    1. Crémer a eu la chance, notoriété moindre oblige, de pouvoir coller au plus près du personnage imagé par Simenon. Gabin reste Gabin, l'image que l'on perçoit de l'acteur ne se dilue jamais pleinement dans le rôle. Dans "L'affaire Saint-Fiacre", le phénomène est exponentialisé par la patte Audiard qui se colle aux dialogues. N'empêche Gabin-Maigret est une bonne pioche; la seule scène finale est un bonheur de colère saine dans laquelle Gabin a vidé ses tripes.

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    2. http://dasola.canalblog.com/archives/2009/05/15/13725222.html

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  2. Bonsoir, je viens de revoir Maigret et l'Affaire Saint-Fiacre avec Jean Richard (grâce à un abonnement à l'INA). Richard avec sa pipe avait un air bonhomme qui pouvait changer du tout au tout. Dans cette affaire Saint-Fiacre, il est assez en retrait par rapport à d'habitude. C'est le fils de la comtesse qui mène l'enquête. Un Maigret intéressant. Sinon, j'ai la version avec Gabin que je dois revoir mais qui est totalement différente. dans le ton. Bonne soirée.

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    1. Ce Maigret-là, en coeur de roman, est attentiste, ne tient plus le fil de l’enquête, l'abandonne en d'autres mains, se laisse embarquer par l'empreinte de son propre passé à Saint-Fiacre. Cela semble le profil Richard (je n'ai pas vu le téléfilm) à contrario de celui de Gabin qui prend la main et ne la lâche pas (plus particulièrement dans le final où il s'embarque dans une colère homérique.

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