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mercredi 22 février 2023

Les vies de Brian - Brian Johnson

 

Talent Editions 2022

 

AC/DC … sur scène, et en creux de sillons sur les galettes de vinyle noir, c’est, au-delà des 3 musiciens qui composent la section rythmique du groupe, un duo de bêtes de scène. Le premier, Angus Young, est à la six-cordes solo un électro-choqué épileptique ; il charrie sur les endosses, depuis un demi-siècle, un cartable d’écolier, une casquette (de baseball ?) sur la caboche et, sur ses maigrelettes gambettes d’insecte, un short façon « guerre des boutons » ; son duckwalk légendaire fait écho à celui de Chuck Berry. Le second, Brian Johnson, est un hurleur de Pleine Lune à la trogne de bull-dog. Le combo de désormais septuagénaires c’est aussi, dans l’ombre, trois autres musicos au service d’une rythmique lourde, grasse et énergique, taillée dans la lave et le béton armé.

AC/DC … Une musique immuable depuis près de 50 ans, des shows à nuls autres pareils, une discographie prolifique et furibarde … Une histoire, sans nul doute, tout du long de 5 décennies, féconde en anecdotes électriques et survoltées. Le combo ne fait pas dans l’unplugged* … Bienvenue à vous, lecteurs, les deux doigts dans la prise …

« Les vies de Brian » se veut la première partie de l’autobiographie de Brian Johnson, le chanteur actuel d’AC/DC. Elle courre chronologiquement de sa naissance (1947) à la sortie de « Back in black » (1981). La suite sera l’objet d’un autre tome à paraitre (j’ai hâte). Ce qui n’empêche pas l’auteur, en prologue et épilogue, d’aborder sa surdité brusque de 2015 (tu m’étonnes ..!) comme point d’arrêt potentiel à sa carrière (à suivre ?), même si l’album « Power up » de 2020 ravive les espoirs d’une relance. Il nous parle aussi du triste décès récent de Malcom Young (l’âme d’AC/DC selon lui). « Les vies de Brian », en tant que titre d’ouvrage, fait référence aux Monty Pithon (joli clin d’œil ..!) mais surtout aux 9 vies du chat tant celle de Johnson semble s’y apparenter.

Le groupe, j’en ai entendu parler pour la première fois en 77. Un copain branché rock, des mots simples, directs, un enthousiasme non feint mais discret, une conviction presque chuchotée, un discours comme honteux d’un « mauvais genre » musical, le hard rock mâtiné boogie blues, qui semblait alors compter ses dernières heures. C’était le temps de « Let there be rock », leur 3ème Lp dans les bacs des disquaires. J’ai alors testé le bouche à oreille qui portait le groupe, histoire de voir si, galette sur la platine et ampli « ON », la critique pro c’était bien, une fois de plus, foutue dedans en zappant le groupe via ses considérations élitistes habituelles. J’avais 23 ans, l’âge, encore, des décibels à donf les potentios. Ce fut the big baffe in the tronche. Frères métalleux, headbangons headbangons tout près des murs, all night long, avant que la New Wave ne nous mâchouille ses chamallows dans les trompes d’Eustache. Le hard n’était pas mort, play it loud. Vive AC/DC qui apportait du sang neuf dans de la vieille soupe. A deux doigts de la pensive musique synthétique du début des 80’s, les cages à miel se sont débouchés façon Destop. En plein délire punk minimaliste, un combo d’Australos overclockés retrouvait, lui aussi, le chemin de la simplicité et l’énergie native du rock.

Le 19 février 1980 Bon Scott, le chanteur de l’AC/DC d’alors, décède, du vomi plein les bronches dans une R5 pourrave. « C’était ton dernier gig, c’était ton dernier acte » hurla Trust sur « Marche ou crève » un an après la mort de Scott.

AC/DC : un groupe en deux temps ; une mort en pivot ; un avant, un après ...

AC/DC allait se reconstruire sur du sang neuf. Le combo, au bord du split, nous revient en deuil l’année suivante avec un remplaçant, Brian Johnson, et un nouvel album. (Led Zep, la même année, face au même dilemme à la mort de John Bonham, a rompu les amarres du Dirigeable). En hommage au défunt, la cire du LP est noire, la pochette aussi (quasiment un faire-part), le titre de l’album itou : « Back in black » (il semble néanmoins signer la renaissance d’un phénix de ses cendres). Un hurleur nouveau est arrivé (ce sera un bon cru). Brian Johnson, casquette rétro à la papa, gueule ravagée de boxeur puncheur et voix râpeuse à souhait, suit le corbillard mais permet au groupe de tourner la page. The show must go on. Un hurleur chasse l’autre. L’album est un succès planétaire (Johnson y consacre un long passage, expliquant le déroulé de sa conception).

Scott out, il restait comme un gros vide, une carie à combler ; Johnson vint, sa voix comme sous la roulette du dentiste. AC/DC, encore et encore, comme un hard blues d’alliage plombé. Long live AC/DC. Toujours là après tant de temps. Voguent voguent les ans, fi des générations qui s’effritent et se gomment, l’une chasse l’autre, et renaissent.

Au jeu des chaises musicales, je préfère Bon à Brian, par évidente nostalgie au vu de mon âge (67). Mais bon, pas tapé pas tapé. Johnson n’est pas mal non plus. Il convient de ne pas cracher dans la soupe. AC/DC a fait bonne pioche en le chouravant au groupe de série B qu’il fréquentait alors (il y en eut tant d’autres avant). Son nom : Geordie (version 1 puis 2). C’était du glam rock sauce Slade. Cà déménageait bourrin sur des refrains entêtants et accrocheurs, le tout posé sur le fil d’une voix râpeuse, des riffs d’acier et une belle rythmique bien binaire, pas compliquée pour un sou, propre à danser et à chanter à tue-tête dans les clubs de travailleurs de Newcastle. Geordie, Johnson l’explique très bien, fut un groupe qui flirta avec le plein succès (au point d’ébaucher une tournée internationale) sans parvenir à s’y enraciner. Geordie fut une course à l’échalotte, juste propice aux galères minables de tournées pourraves (certaines anecdotes sont croustillantes), aux vans en panne, aux matos perdus, aux coups d’un soir et à ceux tordus et vicelards du rock-business aux aguets. Occasionnellement, le groupe fut convié à Top of the Pops (une sorte de hit-parade TV anglais) et grimpa honorablement par à-coups dans les charts.

Johnson est italo-anglais d’origine. Il est né dans la banlieue ouvrière de Newcastle au cours de l’immédiat après-guerre. Son autobiographie laisse remonter des souvenirs d’enfance au cœur des encore rationnements alimentaires, décrit une existence quotidienne marquée par les problèmes de logement (la guerre a tout détruit). L’usine fut longtemps son seul horizon de vie. Johnson est le type même du prolétaire rock ; fils d’ouvrier (et fier de l’être), longtemps métallo lui-même (un statut sur lequel il revient sans cesse avec beaucoup de nostalgie et quelques souvenirs grinçants). Engagé parachutiste pour se payer une sono-micro digne de ce nom. Auto-entrepreneur (poseur de pare-brise) en parallèle à ses groupes successifs. Le travail en usine comme un devoir pour nourrir les siens (les périodes de chômage et les tournées rock briseront son couple) ; la musique comme une passion dévorante (souvenirs d’adolescence qui côtoient la scène musicale de Newcastle en compagnie de « The Animals » et accessoirement, celle du Mersey Beat à Londres et la révolution Beatles et Rolling Stones). Ses (déjà) deux vies lui demandèrent sans cesse de choisir entre deux pôles antagonistes : un job salarié ingrat, rassurant mais tristounet et les aléas implacables du professionnalisme rock. Un choix difficile, usine et scène rock ne s’accommodant que difficilement l’une de l’autre. Il a fallu choisi. On connait la suite : un coup de fil inattendu un soir de 1981 : le début d’une autre vie (à suivre).

Toujours est t’il que, toutes ces années durant, le musicien semble être resté l’homme qu’il fut, à l’abri de la grosse tête qui aurait pu enfler enfler enfler au contact du succès, des stades bourrés à craquer, conscient que seule la chance a marqué son destin quand Bon Scott est mort. Ses mots sont simples, sa façon d’écrire est abordable, ses propos se montrent à l’échelle d’un homme resté modeste et ouvert.

Accessoirement, me concernant : un constat amer mais fataliste : mes années restées encore à moudre, grain à grain, font de la clepsydre de ma vie un désormais culbuto qui tangue tangue par gravité et hésite hésite hésite. AC/DC, lui, est toujours là, n’a pas vieilli et Brian Johnson m’a offert un beau voyage dans le temps, vers ce pays d’antan où les décibels galopaient sur mes tympans de Led Zep au Pourpre Profond en passant par Black Sabbath.

Merci à Babelio, Masse Critique, Talent Editions et à l’auteur.

*unplugged : débranché

 

Illustration sonore: "Thunderstruck"


 

3 commentaires:

  1. Je le rappelle une découverte d'un clip à la TV, un jour, "Thunderstruck" en "live", avec ce gringalet rouquin qui sautillait sur une espèce de jetée vers le public... J'ai revu le clip ou réécouté la chanson maintes fois depuis, mais je n'ai plus jamais reçu la même "secousse".
    Sinon, ça me rappelle aussi que j'ai jadis chroniqué "Tomber la chemise", une autobiographie d'un des cofondateurs de Zelda. Un autre genre...
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    Réponses
    1. "Thunderstruck" fut un (autre) tournant décisif dans la carrière d'ACDC. Le groupe cherchait sa survie dans le moule hard-rock de "Back in black" mais s'usait peu à peu. La chanson éponyme ne fut pas un coup de pied dans l'eau; elle redonna au groupe l'allant d'avant.

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  2. Sur "Arte replay" est actuellement diffusé (jusqu'à quand ?) "ACDC forever young", une histoire en images du groupe. La part belle est donnée à Bon Scott, celle de Johnson s'y effiloche injustement en épilogue trop bref; mais bon l'ensemble reflète (en 1 heure) l'éternelle et indélébile philosophie du band.

    https://www.arte.tv/fr/videos/105609-000-A/ac-dc-forever-young/?fbclid=IwAR3rCCDk5g5GPlNHOBFMur2YqohxVEUaJvC57VgHr8-_Wscz0xtuRMoX-ac

    Et, pour conclure, ce propos d'une journaliste à la sortie du dernier album en date "Power up", il cible à coeur: "Ils sont de retour. Le silence sans ACDC était assourdissant".

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