Accueil

Accueil
Retour à l'Accueil

lundi 13 mars 2023

Le boucher des hurlus - Jean Amila

 

Folio Policier n°190 (2001)

 Série Noire n°1981 (1982) 

 

    En introduction à "Tranchecaille" de Patrick Pecherot on peut lire à son propos: "[... Il...] s'inscrit, comme Didier Daeninckx ou Jean Amila dans la lignée de ces raconteurs engagés d'histoires nécessaires". J'aime bien l'idée de leur salubrité publique sur le fil d'histoires portant à réfléchir et à s'insurger. Ils n'ont pas (loin de là) le monopole du pacifisme littéraire, des hommes d'autres couleurs politiques que la leur s'y sont essayés et ont cogné fort, mais leur force de frappe romanesque singulière n'est pas pour me déplaire.

    "Le boucher des Hurlus" est mon premier Amila. Sûr, je reviendra piocher dans sa bibliographie. L'homme et l'écrivain me plaisent. S'agitent en lui et son roman une prose et des thèmes qui prennent aux tripes. Même s'il y règne un fatalisme noir indéracinable; surtout si parfois un humour triste s'essaie à rendre à l'eau froide un peu de la chaleur et des couleurs du soleil.

    1919. La sanglante parenthèse de 14-18 vient à peine de se refermer, l'immédiat après-guerre s’entrebâille sur une Paix retrouvée mais ambiguë, certaines iniquités surgissent et frappent fort ceux qui les subissent. "Le boucher des Hurlus" nous transporte à Paris et dans le nord-est de la France, sur les "terres dévastées" (sic) par d'incessants combats 4 ans durant.        

    "Tout était dit. Il n'y avait plus de morts, il n'y avait que des lauriers et des chefs désignés qui allaient pouvoir trépasser glorieusement dans leur paddock, avec prochaines funérailles nationales, puisqu'ils étaient les héros, sauveurs de la patrie !"

    C'est un court roman noir initialement paru en 1982 au sein de la Série Noire. Il fut adapté au cinéma par Jean-Denis Robert en 1996 sous le titre "Sortez des rangs". Son contenu revêt certains aspects autobiographiques; son propos laisse deviner sans fard le positionnement politique libertaire de l'auteur, ici centré sur l’antimilitarisme, l'anticléricalisme et le refus de tout pouvoir offert à une minorité ...  

    " L'instruction primaire ne produisait que du petit mec embrigadé, catalogué, salopé comme sous-race, tout juste bon aux basses besognes, et mobilisable en première ligne dès que des fumiers hautement diplômés décrétaient la patrie en danger. "

    ... le nihilisme de l'auteur ne présage d'aucun arc-en-ciel à venir. La "Der des der" n'est qu'une utopie. Le pire reviendra, c'est dans la nature humaine. Les "Gueules cassées" dénotent mais peuvent toujours servir.

    " Et peut-être bien que d’ici quelques années, quelques mois, ce pauvre brave mec à demi-trogne serait en tête du cortège des tristes abîmés, crachats sur la poitrine, béret sur le crâne, drapeau déployé, devenu simple prétexte à réclamer plus de crédits, plus de puissance, plus de secret pour ce qu’on appelait pudiquement Défense Nationale, monstre qui produirait d’autres Pétain, d’autres Mangin, d’autres Des Gringues destinés eux, à trépasser béatement dans leur paddock, après avoir fait massacrer les humbles connards. "

    1919. Le Paris ouvrier, l'Armistice depuis peu, la Paix enfin retrouvée. La France essaie de se redresser en minorant les cicatrices béantes laissées par 4 ans de tranchées; on encense et décore le Poilu, mais plus encore le Haut État-major militaire malgré les millions de morts inutiles à sa charge; on exècre les mutins de 17 et ostracise leurs familles; on subit la grippe espagnole comme la seconde lame d'un rasoir apocalyptique. 

    On est à deux doigts des Années Folles (Didier Daeninckx s'inspirera du roman pour écrire "Le der des der") sans qu'il soit encore question, pour certains, de manger la vie par les deux bouts. Mais en attendant, place aux ténèbres sociales absolues dans lesquelles est plongée une fraction des "Pupilles de la Nation", ces fils et filles de mutins morts sur le poteau d'exécution.

    1919. Le môme Lhozier a 8 ans à peine. Son père a été, en 17, fusillé pour l'exemple en conséquence d'un refus de monter à l'assaut. C'était à Perthes-Les-Hurlus sur le chemin des Dames. Sa mère, à l'armistice, subit l'opprobre violente de son voisinage, une attitude classique et lâche à l'égard des familles de mutins. Cela l'amène à la folie, bientôt à l'internement psychiatrique et aux électro-chocs cérébraux qui l'enferment peu à peu dans l'isolement. Le temps n'est pas encore venu de réhabiliter les fusillés pour l'exemple; il faudra, hélas, attendre longtemps.

    Le môme à l'orphelinat (religieux) connait l'humiliation ("Fils de salaud ..!") , subit la tonte rasibus et le badigeonnage iodé du crane en prévention de la grippe espagnole régnante. Il y a aussi la faim légalisée sur les bancs de l'Institution, le froid au fond des galoches en bois, un enseignement religieux vite haï. 

    Lhozier s'est juré de se venger du général Des Gringues , surnommé le Boucher des Hurlus qui a fait fusiller son père et sacrifié sur le Front 140 000 poilus sur l'autel de ses ambitions personnelles. S'en suit le périple haut en couleurs de 4 enfants et ados orphelins mus par une cause commune. La suite appartient au récit au contact de belles-de-nuit en goguette campagnarde, des charniers de l'ex-front .... etc.

    Amila écrit à hauteur de mômes martyrisés côtoyant un monde d'adultes oublieux de leur rôle d’éducation et de protection. Son bouquin a le gout des rancunes violentes de l'enfance, celles rentrées et tenaces, intérieurement exacerbées par les humiliations et l'indifférence. La violence couve; d'ici à ce que le meurtre ne s'y mêle....

    Il y aurait dans ces 4 enfants et jeunes ados en goguette le parfum des Chiche-Capons des "Disparus de Saint-Agyl" si ce n'est que le background de "Le Boucher des Hurlus" est autrement plus dramatique via son background guerrier.

    Une prose à part, volontiers argotique, dure et sans concession, claquante, mordante, cinglante, incisive, des mots uppercuts comme autant de réglements de compte, une dénonciation virulente de l'homme en temps de paix et/ou de guerre. Une vision noire de l'Humanité. Une centaine de pages hors des sentiers battus. Un roman noir plus qu'un polar noir. 

Je conseille.

 

3 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas Amila et j'imagine que tu y es arrivé par Daeninckx. J'avoue que ni la couverture du folio, ni l'époque ne me pousse à lire ce roman, sinon ta chronique, toujours aussi inspirée et aguichante (malgré l'histoire).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui. Via Daeninckx, mais aussi Pecherot (Tranchecaille). J'avoue focaliser sur un sujet peu folichon (14-18).

      Supprimer
  2. D emon côté, j'aurais du mal à focaliser sur une période comme celle-ci. Un roman par ci par là, pour se rappeler la merde de l'humanité. Pas plus.

    RépondreSupprimer

Articles les plus consultés