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mardi 5 septembre 2023

Adieu Brindavoine + La fleur au fusil – Tardi

 



Casterman Ed., réédition de 1987 (Vo de 1974)

1914. A quelques semaines du conflit à venir.

Toile de fond : le Paris de la Belle Epoque. La page de garde d’« Adieu Brindavoine » illustre merveilleusement le background de l’ouvrage sur une double-page d’anthologie où pullulent les détails auxquels se référer : lorgnons et moustaches fines, képis et pélerines sombres, chapeaux-melons et casquettes apaches, faux-cols amidonnés et cravates ficelle, gilets étriqués et montres à gousset, pavé luisant, fiacres clopin-clopant et taxis De Dion Bouton pétaradants, « Café de la Paix » et affiches publicitaires géantes sur les murs borgnes de part et d’autre d’une grande avenue. Une carte postale typique de ce début de XXème siècle qu’affectionne l’auteur. En somme : un univers à la « Adèle Blanc-Sec » ... et bien, non, on ne l’y trouve pas, et pourtant ...! A suivre.

« Adieu Brindavoine » (1974) est une bande dessinée française signée (Jacques) Tardi qui préfigure la série-phare de l’auteur, « Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec ». Le héros, Lucien Brindavoine, figurera à son générique dès « Le secret de la salamandre » (tome 5) ; il y restera jusqu’au dernier épisode au rang de personnage récurrent, indispensable et incontournable. En attendant, ici, il vit sa vie, en one shot, en attendant mieux (?).

Toutes les composantes du cycle à venir (1976) sont déjà au rendez-vous d’« Adieu Brindavoine ». On y trouve, déjà : un univers Vernien cousin du steampunk (même s’il n’est pas encore officiellement né) ; un humour de situation décalé mais omniprésent, comme prisonnier de l’époque ; l’impression d’une uchronie figée dans les prémisses de la Première Guerre Mondiale ; des aventures rocambolesques, foutraques, loufoques, oniriques et farfelues en contraste avec le réalisme graphique apporté aux décors (mobilier Art Déco, Paris urbain de la Belle époque méticuleusement dessiné ; désert afghan à l’aplomb d’un soleil brûlant. Cerises sur le gâteau : une gigantesque construction métallique en creux de dunes, à la Gustave Eiffel, comme l’artéfact d’un repaire digne d’un ennemi de James Bond 007 ; un dirigeable fantôme balloté au gré des vents de l’océan, un cuirassé tsariste ... etc.

Et, au-delà des décors, des personnages étonnants : un anglais à l’heure du thé, un tueur à motocyclette, une caricature d’autocrate financier, une momie en aéroplane … bref, la faune habituelle chère à Tardi (Pourvu que çà soit barjo ..!).

« Adieu Brindavoine » est sorti en prépublication (N&B probable) dès le n° 680 (novembre 1972) de « Pilote, le journal qui s’amuse à réfléchir » tout du long de quelques numéros consécutifs hebdomadaires. On le trouvera ensuite en album Casterman (1974) cartonné et agrémenté de quadrichromie. L’exemplaire lu pour la présente chronique est une réédition couleurs de 1987 incorporant, en sus des 44 planches d’origine, 12 autres embarquant le même héros dans les combats de 14, ceux encore hors des tranchées, en képis, uniformes bleu garance et pantalons rouge. Ce supplément a un titre : « La Fleur au fusil ». Nous voici de plein pied dans l’autre versant de l’œuvre de Tardi , au-delà des loufoqueries d’ « Adieu Brindavoine » s’initie l’obsession de l’auteur : dénoncer l’aberration de la Grande Boucherie.

« On croit mourir pour la patrie et on meurt pour des industriels » Anatole France (page 50, 4ème vignette)

Il me semble trouver une parenté graphique entre Brindavoine et Monsieur Même. Silhouettes longilignes, comme désarticulées et dégingandées, chapeau-melon étroit. Cousinage de personnalités également quand, en eux, végète cette même facilité à se laisser balloter par des évènements irrationnels, loufoques, comme d’un rêve éveillé à l’autre.

Ni « Adieu Brindavoine », ni « La fleur au fusil » ne sont, encore, à l’apex de la carrière de Tardi. Ils laissent transparaitre les deux tendances principales de l’œuvre à venir ; ce sont deux bourgeons à la bifurcation entre « Adèle Blanc-Sec » et « La guerre des tranchées ». Le premier, pour le fun et le rire, en roman-feuilleton tout en couleurs chatoyantes, avance à l’instinct, à l’envie, à l’intuition, souvent à la « va-comme-j’te-pousse ». Le second, en pacifiste convaincu et dénonciateur furibard et sans concession, dessine, du blanc au noir, des gris au rouge écarlate, la tristesse inutile des jours de guerre et tout ce sang qui va couler pour rien, 4 ans durant.

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