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dimanche 3 septembre 2023

La nuit du carrefour – Georges Simenon (1931)

 

Edito-Service S.A., Genève éditeur. Réédition 1974

« La nuit du carrefour » décrit une enquête policière mouvementée qui, pour l’essentiel, est extra-parisienne. Au 36 Quai des Orfèvres, une garde à vue tourne court, grâce à la résilience inhabituelle d’un suspect. Carl Andersen est relâché faute de preuves. Le meurtre d'un diamantaire anversois par arme à feu attendra son coupable, le cadavre a été découvert dans son garage, dans une voiture qui appartient à son voisin. Le dénouement de l’affaire se jouera à court terme mais ailleurs, en Essonne. Le roman suit un déroulé d’intrigue très majoritairement campagnard. Trois longues nuits durant (d’où le titre) la traque d’un meurtrier… entre chien et loup jusqu’aux pales heures de l’aube, jusqu’au dernier matin, maussade et triste, celui définitif (ou presque) des aveux …. Coups de feu au ras des labours, meurtres, bagarres, courses-poursuite, cadavre échangé, suspect(s) traqué(s) comme autant d’ombres perdues au sein d’un brouillard laiteux. Une galerie de personnages contrastés … et ambigus. En somme, un petit bout de « mauvais genres », presque de roman noir US, qui flirte avec la littérature générale (comme d’habitude chez Simenon).

« La nuit du carrefour » est un des Maigret les plus connus (le 7ème  paru, en 1931, achevé d’écrire à la Ferté-Alais en Essonne), l’un des plus adaptés aussi pour le cinéma et la télévision. Dans le rôle du commissaire, on trouve successivement : Pierre Renoir (réalisateur, Jean Renoir), Jean Richard (deux fois), Bruno Cremer, l’inattendu et à contre-emploi Rowan Atkinson).

Avril en Essonne. Paris est à quelques dizaines de kilomètres. Le Carrefour des Trois-Veuves est un lieu-dit de rase-campagne à peine sorti de l’hiver ; il se montre tel qu’on pourrait l’entrevoir d’un train de nuit filant sur une plaine endormie, une vision presque subliminale. Une maison (les Michonnet), une autre (les Andersen), un garage automobile (Oscar et sa femme) et c’est tout. Un clocher au loin, égrenant lugubrement les heures nocturnes. Des aboiements, des frémissements dans les fourrés et les arbres dénudés. Météo maussade, gelées matinales et soleils du loup crépusculaires. Nuits froides et profondes, figées dans un brouillard rampant. Une atmosphère, en somme, comparable à celle du « Chien des Baskerville »). Un hameau comme sorti de nulle-part, isolé sur la longue ligne droite d’une route nationale très fréquentée entre Arpajon et Avrainville. Un incessant défilé de véhicules divers d’un bout d’horizon à l’autre, au rythme des plein-phares hystériques et des codes prudents, des points rouges de feux arrière s’éloignent à l’opposé ; entre les deux de longues pétarades moteurs augmentant puis décroissant au fur et à mesure qu’ils s’approchent puis s’éloignent, un souffle au passage devant Maigret, coups de klaxons, insultes … Des automobiles, des camions, des charrettes allant ou revenant des Halles parisiennes, des voitures faisant le plein à la pompe.

Des mots-images, à la Simenon, comme autant de clichés inspirés, tels ces photos des années 30, en noir et blanc, en gris tristesse, en gris hiver, habillés d’haleines givrées et de cols de pardessus rabattus sous la pluie. La lecture se peuple d’éclats de chiches lumières sur l’écran sombre de la nuit. J’aime.

L’impression générale est celle d’un huis-clos étouffant et glacial où s’agitent des hommes et des femmes qui, on le pressent, ne sont pas ce qu’ils paraissent être.

Un garagiste, Oscar, la trentaine, gouailleur et bluffeur, grande gueule, au passé incertain. Son épouse. Ses mécanos, qui, jour et nuit …

Un assureur, Emile Michonnet, et sa femme ; procéduriers et volontiers dénonciateurs ; un couple aux aguets de chacun derrière leurs fenêtres … Des choses à dire, toujours et encore.

Un jeune aristocrate danois, Carl Andersen, décorateur, en rupture familiale, fauché comme pas deux, en exil campagnard à moindre frais ; une grande demeure en location, délabrée, presque insalubre, un mobilier défraichi et moisi, de chiches lumières de rares lampes à pétrole au lieu d’ampoules électriques ; un homme hautain et décalé, œil de verre et monocle associé. Il a résisté à la garde à vue inaugurale, ce qui attise la curiosité de Maigret.

Sa sœur Else, typée roman noir US des années 30’s US ; une vamp sur son divan, en robe de velours moulante, telle ces unes de couverture en noir et blanc de la revue Ciné-Monde de l’époque ; une femme semble t’il inatteignable, un astre lointain, fatale, apparemment inconsciente du sex-appeal dans son sillage. Une femme pour laquelle se damner. En outre, du prestige, de la classe, langueur de gestes ronds et lents, sensualité de tout son être. Mais aussi, à l’opposé, un artéfact citadin, perdu en rase campagne entre vie austère, quasi monacale et son frère qui l’enferme chaque soir ... Maigret est troublé face à un bout de sein qui dépasse de l’entrebâillement d’une robe moulante. Else, déphasée mais attirante, face à un passé de luxe qui s’est enfui via les erreurs de jadis ; une femme face à une lente décrépitude des choses et des êtres autour d’elle.

Lequel des six du côté de la gâchette du révolver ? Maigret enquête … la suite appartient au roman…

Le background de départ : un meurtre par arme à feu, trois maisons, six suspects. D’emblée s’impose l’impression trompeuse, car réductrice, de participer à une partie de Cluedo. L’intérêt n’est pas là, dans ces coups de dés successifs sur le plateau de jeu mais dans cette atmosphère de nuit, humide et froide, mystérieuse et incertaine, comme sur la lande des Baskerville, dans l’étude pointue de personnalités troubles et attirantes. Le décor pèse de sa nuit noire sur tout le roman, de ses champs boueux et lourds, d’un épais brouillard impénétrable, d’un isolement campagnard où le mauvais voisinage prospère. 

Ne pas s’y tromper quand même … et si tout ce petit monde comme dans un Agatha Christie célèbre …


 

4 commentaires:

  1. Une impression cousine chez le voisin de palier via le lien ci-dessous:
    https://maigret-paris.fr/2021/07/la-nuit-du-carrefour.html

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  2. J'ai trop attendu, "Maigret se fâche" "Maigret et le tueur" et "L'amie de Madame Maigret" lus, pour écrire des chroniques fraiches et naturelles. Les faits, les lieux et les personnages, et c'est pourtant récent, se diluent déjà dans une mémoire qui s'en va. Ne me restent que des bribes et la sensation d'une similitude de fond entre les deux deniers.

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  3. Le film de Renoir est sublime !

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    Réponses
    1. Welcome, Mehdi.
      Je pense ne l'avoir jamais vu. Mais ce n'est pas sûr.
      Ci-dessous un lien d'ITW:
      https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpf86635736/la-nuit-du-carrefour
      "J'ai essayé de faire ce que fait Simenon dans ses livres; à savoir de transporter le spectateur dans une certaine atmosphère. Pour y arriver j'ai peut-être un peu exagéré l'obscurité" (Jean Renoir 1961)

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