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mercredi 13 septembre 2023

Maigret et le clochard – Georges Simenon

 

Réédition (2000) d'un roman initialement paru en 1963

Nous sommes fin mars de cette année-là (Simenon signe l’achevé d’écrire le 2 mai 1962). Des effluves de printemps flottent dans l’air. Paris s’éveille, frileux et ensoleillé, au petit matin d’un hiver finissant. Quais de Seine, à la hauteur du pont Marie, un clochard, jusqu’alors endormi sous l’une des arches est assommé, salement amoché, trainé en bord de fleuve, livré aux flots boueux. Pas de témoins directs ; on a seulement entendu d’une péniche à quai quelques bruits discrets sur berge : une auto au ralenti, un poids mort tiré sur le pavé, un plouf, deux hommes s’enfuyant. Le corps, repêché vivant, aux abords du pont par deux mariniers, est soigné en salle commune de l’Hôtel-Dieu tout proche. Coma, lent réveil, amnésie post-traumatique ou, tout simplement, refus de parler ; Maigret se heurte au silence de la victime. Ses papiers disent : François Keller, médecin. Le commissaire enquête, surpris que l’on attente à la vie d’un clochard. Le surnom de l’homme auprès des siens est Le Toubib ; il lit Bossuet, Verlaine et « La Presse Médicale », des livres échoués dans les poubelles, des ouvrages usés par le temps qu’il garde pourtant précieusement, rescapés d’un temps qui n’est plus le sien. L’homme torche ses deux litres de rouge par jour, soigne les bistrotiers et se fait homme-sandwich le long des boulevards. On retrouve sa fille, sa femme, une bourgeoise parvenue dont il n’a jamais divorcé ; toutes deux à deux pas, habitant le quartier … un autre monde, deux classes sociales à l’opposé l’une de l’autre. Keller se pose en passerelle fragile entre passé défunt et présent au jour le jour, en point de convergence de parallèles inattendues … à moins que.

La suite appartient au récit … ce n’est que le tout début d’une enquête fertile en rebondissements.

« Lhomme nu », en mécanisme romanesque cher à l’auteur, cible ici le personnage de François Keller. En tant que clochard, il s’est affranchi totalement de son passé, s’est résigné au pas en avant définitif, celui au-delà de la simple double vie récurrente chez Simenon, celui par lequel ne plus exister tout court. Il rompt brusquement les amarres avec une société qu’il ne comprend plus, s’enfuit, s’efface, se gomme, se dilue, disparait … Il n’est plus rien, plus personne, sinon un déclassé volontaire. C’est ce qu’il désire. Que vogue la galère ...

Pourquoi ce renoncement, cette tentative manquée d’assassinat ? Le commissaire s’interroge, le cas l’interpelle, l’étonne. Keller ne parle pas, même à la fin quand tout se dénoue (ou presque), en homme cadenassé, fermé, silencieux, taiseux, oublieux de tout. Maigret remonte le fil de ce qui n’est pas dit et déterre enfin une vérité dont il ne pourra rien faire. L’épilogue est fataliste et résigné, le commissaire gardera longtemps un sentiment d’échec ou, tout autant, l’espoir d’une lueur d’humanisme inattendu …

Un autre personnage se greffe à celui de Keller, les deux en binôme indissociable, comme attachés l’un à l’autre par un nœud mouillé, au final indestructible. « Homme nu » tout autant sous la plume de Simenon, il se voit récuré jusqu’à la moelle, disséqué d’une personnalité à l’opposé de celle de la victime. C’est le suspect lui-même ; sans preuve de sa culpabilité, fruit de la seule intuition de Maigret, il se montre opportuniste et buté, obstiné et calculateur, c’est une bête à sang froid qui résistera à la garde à vue ; Maigret, peu à peu haineux, lui tournera longtemps autour, comme d’une proie qui, hélas, lui échappera.

Le Toubib est un personnage énigmatique avec lequel le lecteur entre rapidement en empathie, comme en écho d’un monde qui ne verra jamais le jour, celui de la bienveillance … il semble, aux yeux de Maigret, que seuls les hors-normes, les rejetés et les oubliés en soient capables.  

Au rang de l’anecdote, l’épouse du commissaire, comme dans « L’amie de Mme Maigret », enquête pour le compte de son mari le temps de deux coups de fil passé à sa sœur qui, semble t’il, a connu le docteur Keller à Mulhouse. Elle sort, un temps, de son éternel rôle de femme au foyer.

Simenon, avec « Maigret et le clochard », signe une nouvelle fois un roman au contact des mariniers. Le background s’imposait tant les péniches et les écluses semblent un microcosme nomade cousin de celui des clochards que rien n’enchaine.

Peu de pages, un roman bref, des dialogues rapides, omniprésents, percutants. Keller se tait obstinément pendant que les autres, autour de lui, parlent, interrogent, menacent, mentent, omettent, agressent verbalement, bluffent (y compris Maigret), se confient … comme pour compenser.  L’épilogue se referme sur des destins un temps imbriqués, bousculés puis rendus à leurs quotidiennetés … comme si rien ne s’était passé.

 Réédition en omnibus France-Loisirs (2015) d'un roman initialement paru en 1963

1 commentaire:

  1. Versions TV : avec Jean Richard en 82 et Bruno Cremer en 2004 ; adaptation radiophonique: J.M. Thibault en 82

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