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lundi 2 octobre 2023

L’été en pente douce – Pierre Pelot

 

Réédition 2023 au Diable Vauvert Ed., collection "Les poches du diable"

Quelque part en France. De nos jours ou presque. Le roman ne date après tout que de 1980. L’empreinte des 70’s y est flagrante. On y sent l’Hexagone de cet âge-là … tant dans la manière d’y vivre (la 2cv Citroën, le lait frais de la ferme en petits bidons d’alu, le grand rush des vacanciers sur les nationales, la dèche des grands ensembles, la ruralité comme un retour aux sources …) que dans celle d’écrire un polar noir dans l’air de son temps, d’en trouver les thèmes et de les faire vivre au rythme d’une prose rapide et crue, métaphorique, forte et désenchantée. Certains entrevoient dans « L’été en pente douce » un roman noir culte via un film éponyme (tout aussi mythique) sorti sept ans plus tard ; mon ressenti sera un brin plus nuancé (la place laissée à la gent féminine me heurte) malgré l’énorme affection que je porte à l’auteur (surtout grâce à son versant SF).

Il y a la route, traversant le village, longeant deux garages de mécanique générale ; ils enserrent la petite maison familiale des Leheurt dans un carcan de bruits et de mitoyenneté gênante où l’on ne peut que haïr ses voisins. Y habitaient la mère, décédée l’avant-veille, et Mo, l’ainé des deux fils, un simple d’esprit. Fane, le benjamin, et Lillas sa compagne, venus de la ville pour l’enterrement, vont désormais y vivre aussi, c’est décidé … un loyer en moins, une pension en plus, celle du frangin débile, un job de misère laissé derrière eux sans regret ; après tout on verra bien ... puisque la malchance, via l’héritage, ne semble plus une fatalité et que des projets mûrissent.

Il y a, posés sur les nouveaux venus, les regards inquiets et les reproches muets des voisins, simplement curieux, voire haineux, pour certains envieux. A l’église, au cimetière, dans le village, par les fenêtres entre-ouvertes sur la nuit sombre on espionne ces « autres » dans le jardin d’à côté, derrière les rideaux opaques qui frissonnent dans la bise nocturne d’août … Être « différents » et ne pas vivre comme les autres, çà effraie les bienpensants, d’autant que Fane a la fâcheuse réputation de rechigner au travail, de vivre d’expédients et d’avoir un penchant constant pour la dive bouteille.

Il y a, dès les premières pages, le poids étouffant d’un été caniculaire, un ciel blanc comme chauffé au fer rouge, le soleil piqué droit au zénith, une atmosphère brûlante, sèche, râpeuse et pesante. Il y a la relative fraicheur de la petite maison, l’ombre du petit jardin, les corps nus sur les draps froissés et moites, les vêtements sales abandonnés au hasard sur les parquets et les meubles. Il y a l’alcool comme une nécessité, la vaisselle sale entassée dans l’évier qu'on laisse à Mo, l’argent qui manque ... c’est la dèche, la misère sociale, la vie sans thune. A moins que …

Fane Leheurt : la quarantaine à son crépuscule, il y a peu un boulot précaire en banlieue pourrave, une turne riquiqui dans un clapier vertical, l’alcool pour se nourrir ; maintenant, avec la maison en héritage, des rêves éthérés pleins la tête, des espoirs d’argent et de vie faciles débarquent. Il lui suffirait d’une machine à écrire achetée d’occaz, d’en dompter la mécanique ferraillante, d’en laisser jaillir tous les polars qu’il a en lui depuis toujours. Fane a lu toute la Série Noire, sait de quoi on y parle, comment çà fonctionne. Il n’est pas mytho, il suffirait de s’y mettre et d’être au vert loin des emmerdes. Illusions que tout cela.

A ses côtés, Lillas, avec qui Fane est à la colle depuis peu. Il l’a acheté (sic), avant de venir, à son voisin de palier pour une caisse de vin, un lapin et cinquante francs ; la jeune fille n’y voit aucun inconvénient car Fane ne la cogne pas, lui.… C’est une belle môme de 22 ans, sensuelle et solaire, en rupture de vie familiale. Les regards lourds et envieux des hommes pèsent sans cesse sur elle ; elle est perçue comme une proie, dans son sillage traine un sex-appeal irrépressible dans la moiteur chaude des jours et des nuits …. Elle est restée malgré tout une gamine, un brin ingénue. Elle a des Ciné-Revues plein ses valises. Hollywood vit dans ses rêves. Elle se contenterait néanmoins de mariage (peu importe qui) et d’un bébé à pouponner. Un ange passe, en somme … quoiqu’au-delà du mépris qu’elle suscite et des humiliations qu’elle subit pourrait se révéler un tout autre visage, un tantinet machiavélique … va savoir. Lillas semble la pièce maitresse du roman, c’est elle que l’on retiendra sur l’échiquier que nous propose l’auteur; les deux autres, forts tout autant, sont de factures plus classiques ; loin du personnage annexe qui parait le sien elle est là, entière, s’impose dans toute sa fragilité et sa sincérité, Pelot en ayant dépassé la simple carapace charnelle.

 Et puis il y a Mo qui ne peut vivre seul ; il est resté un enfant malgré sa cinquantaine débutante ; il a des trous dans la tête, le neurone en vadrouille; il est sans cesse à deux doigts du placement en hôpital psychiatrique. Jadis, une grenade trouvée, bricolée sur l’établi lui a emporté toutes promesses de futur. Fane, dans l’affaire, y a perdu quatre doigts en main gauche et gagné une hémiface ravagée, cicatricielle, boursoufflée, moche et définitive.

Fane et Lillas s’installent chez feu Mme Leheurt, aux côtés de Mo et de Nonosse, son clebs … pendant qu’à côté, les garagistes, deux frères, les Voke, cherchent à acheter, en vain, la petite maison. L’un d’eux rôde autour de Lillas

Voici venir le temps de « L’été en pente douce », celui par lequel la langueur pousse lentement et inéluctablement jusqu’à l’orage violent et bref qui ne manquera pas d’éclater …. La suite appartient au récit.

Il y eut un roman (1980), puis un film mémorable (1987) et enfin une BD (2017, non lue). J’ai visionné le long métrage à sa sortie (et ne l’ai jamais revu depuis), longtemps donc avant de lire tout récemment l’ouvrage de Pierre Pelot. Les acteurs sont au plus près personnages du roman, presque en copiés-collés parfaits : Bacri dans son rôle d’éternel râleur, son caractère de cochon, sa prose choisie ; Villeret l’ahuri, le benêt attachant, sa langue frétillante en fond de bouche béante, témoin de ses terreurs et appréhensions, recyclée dans une tout autre intention dans la « Soupe aux choux » (1981); Pauline Laffont, sa plastique de rêve dans le rôle touchant d’une Marylin Monroe-bis fragile et déroutante. J’ai trimballé ces trois acteurs tout le long du roman, en images collées au rythme des mots, en transpositions constantes involontaires ; si, ce faisant, elles brident un tantinet l’imagination du lecteur elles n’en sont pas moins judicieuses : le casting du film accouplé à celui du roman est parfait.

J’ai croisé Pierre Pelot pour la première fois (j’étais môme) en pays western quand son fils ne se prénommait pas encore Dylan ; ensuite au Fleuve Noir Anticipation, en pays de pseudo (Pierre Suragne), le temps de quelques tentatives SF réussies ; enfin sous son (peut-être ?) vrai patronyme en Présence Du Futur, J’ai Lu, Presses Pocket SF, A&D … pour des titres forts et déjantés aux contenus violents. Je l’ai perdu quand il a quitté la SF. Il me revient aujourd’hui en territoire polar, mais il semble y avoir perdu un tantinet ses tournures poétiques complexes et ses métaphores inspirées sous le poids de la rapidité et la simplicité d’écriture que lui impose le genre. Il a, semble t’il, souhaité donner au récit la tonalité du roman noir classique, brutal et sec tel que l’amateur le conçoit, via des dialogues crus (c’est un euphémisme) et rapides, des situations typiques du genre. Un autre Pelot m’est ainsi venu : j’aime bien au final … mais j’ai été surpris.

Je perçois Pierre Pelot d'abord par son usage des mots et de l'agencement qu'il leur applique. Son style. Sa manière. Sa marque. Je traque ses trouvailles, un sourire aux lèvres avec néanmoins le dépit de me dire: "Si tu essayais c'est ainsi que tu ferais mais tu ne pourras jamais".

C'est un des rares écrivains de SF que je perçois presque physiquement quand je le lis, comme perché au-dessus de mon épaule et me susurrant à l'oreille: "T'as vu, bien balancé non..? T'aurais dit autre chose, toi..?".

Et puis, je sens l'homme, ses rythmes de pensée, sa façon d'être, ses faiblesses, ses forces, son entêtement, ses renoncements, sa fidélité à certains idéaux, son empathie totale avec ses personnages.

Et puis ses romans m'ont tant marqué politiquement à une époque où un homme se cherche. Merci Mr. Pelot.

 

Version originale au FN Collection Engrenage (1980)
 


 Trailer long métrage (1987) version restaurée 2023


Version BD 2017

6 commentaires:

  1. Ps: Il ne me semble pas que le film se finissait comme le roman. Il y résidait, il me semble, comme un espoir; loin de la noirceur finale de la version écrite. Je ne me souviens plus. Il me faut trouver le long métrage en version DVD. Et dire qu'il est passé cette année à la TV et que je l'ai zappé. Dommage.

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  2. ça a l'air glauque dans le genre roman à ambiance qui accroche l'attention sans aucun doute!

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    1. Oui, et c'est totalement volontaire ... Tout va dans le sens du poil du roman noir US type; les sensations en conséquence sont à rebrousse-poil, urticantes mais addictives. Pas de concession, ni dans l'écriture (flopée de phrases crues), ni dans les thèmes (politiquement incorrects) ... ni dans l'épilogue. Le tout est destiné à se lire vite, très vite, et à n'en rien oublier. Surnage néanmoins une constante forte chez Pelot: sa forte empathie envers ses personnages, elle transpire à chaque instant sur le fil des mots. Ses héros pèsent de leurs (fichus) caractères, de leur tendre sensibilité, de leurs colères. Il n'y a, en outre, que peu d'action, tout réside dans la lente mutation d'une cocotte-minute portée à ébullition. C'est "L'été en pente douce": de la canicule jusqu'à l'explosion.

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  3. L'extrait du film ne me branche pas par contre.. je crois que je me contenterais plus du roman si je devais le lire :-)

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    1. De ce que montre le trailer (je ne me souviens que peu du film): c'est la même ambiance. L'un semble valoir l'autre.

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  4. Bifrost (revue trimestrielle SF) avait consacré un numéro à Pierre Pelot (ce fut un auteur privilégié du genre, du moins à mon sens). On y trouvait un article centré sur ses parutions polardeuses (... et autres qu'Imaginaires). Il y était expliqué que "l'été..." avait peiné à trouver sa place (sept refus éditoriaux), qu'une proposition en Fleuve Noir Special-Police lui avait été faite mais que Pelot l'avait refusé (ce n'est pas un roman policier) pour finalement accepter chez le même éditeur en "Engrenages" (plus centré polar noir).

    Toujours est-il que, 40 ans plus tard, on peut juger le roman comme débordant, de part sa qualité, du carcan populaire du FN et s'inscrivant de plein pied en roman noir cousinant avec la littérature générale.

    On peut aussi le percevoir comme un OLNI* qui ne sait pas trop où se garer.

    * Objet Livresque Non Identifié

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