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dimanche 14 janvier 2024

Les tueuses de Constance – Claude Rank

 

Fleuve Noir ed., Collection Espionnage, 1972.

Ces quelques mots sur « La Convergence des parallèles » pour parler d’un roman de gare, « Les tueuses de Constance » qui, semble t’il, n’a jamais été chroniqué sur le Net. Une occurrence le concernant m’est telle passée sous les yeux sans que je la déniche ? Possible. Prière, si elle existe, de me la signaler. On ne trouve au mieux sur le Web, et ce sur certains sites marchands, que le texte de sa 4ème de couverture… C’est bien maigre.

Petit retour sur un roman perdu.

Ce Fleuve Noir Espionnage (FNE), est paru en 1972 sous le n°1008 de la collection et la plume erratique et chaotique d’un des auteurs-maison du Fleuve, Claude Rank. Il possédait une prose quelques fois débraillée, parfois difficile à suivre, semée d’embûches (on y trouve nombre d’acronymes d’un autre temps devenus bien mystérieux et qu’il convient de décrypter). Rank : un style d’écriture qui, quand il se donne les moyens de l’empathie, dresse des portraits attachants : ici, celui, d’une jeune française aveugle ballotée par l’Histoire, emportée par certains aléas revanchards de l’après 39-45. Place à certaines séquelles sans doute exagérées du conflit, peu crédibles mais qui emportent le récit sur les chemins de la distraction romanesque agréable.

1972, Michel Gourdon est encore aux commandes des illustrations de couverture du FNE. C’est son époque graphique en N&B, la meilleure, AMHA. Gourdon, c’était ma came ; on trouvait dans ses dessins réalistes ce que l’on allait croiser dans le roman ; alors, pensez, des greluches comme celles-ci, belles de partout, de parution en parution, que demander de plus ? Pendant longtemps, à l’égal de René Brantonne, son voisin au FNA, Gourdon ne lisait que les premières pages des manuscrits qu’il avait à illustrer, ou s’en faisait brièvement expliquer le contenu juste histoire de s’imprégner d’une scène clef minimale, nécessaire et suffisante, représentative du contenant qu’il restituait sous ses encres et pinceaux. Ici, en arrière-plan, le château de Sigmaringen, des Hohenzollern, perché au-dessus des brumes, le fief pétainiste d’Outre-Rhin, siège de la France Collabo en débâcle des années 44-45 ; en background intermédiaire un joli visage féminin (celui d’un personnage inclus, une bien belle blonde, Eva, aux noires lunettes d’aveugle) ; et, à l’avant-scène, en bikini, sa sœur Bibiana.

Les lieux. Les eaux calmes du lac de Constance en Allemagne méridionale ; Sigmaringen (Cf Céline et Pierre Assouline pour le traitement autobiographique du premier et romanesque du second) ; Cannes, ses promenades et ses splendides demeures ; Paris et son haut-commandement de contre-espionnage.

L’époque. Des dernières lueurs crépusculaires du régime vichyssois jusqu’en 1972 à Paris, où et quand certains haut-fonctionnaires de la Vème de Pompidou espèrent que leurs passés pétainistes ne soient pas mis en lumières. Des documents cachés dans les bas-fonds du château, rendus au jour, devenus instruments de chantages entre les mains d’opportunistes audacieux peuvent détruire leurs carrières. Beaucoup d’argent à extorquer pour que certaines virginités politiques ne soient pas entachées ...

Les hommes. La 4 de couv, datée de 1972, soigneusement agencée, habile dans le choix de ses mots-clés, donne à saliver ; c’est une constante chez Rank qui, souvent, promet plus qu’il ne tient : « Trente ans ou pas loin après la guerre, une association revancharde de harpies haineuses, sorcières vieillies, mères, sœurs, femmes, filles d'ex-collabos des Nazis, de miliciens, la lie tragique de la défaite, toutes celles qui jadis avaient pris « Le Train des Veuves » pour Sigmaringen ! … On les a oubliées, ces tondues, ces humiliées, toutes celles ayant de peu échappé au poteau et qui ont vu leurs hommes s'y accrocher, gémir, tomber sous les balles ! Mais elles n'ont RIEN oublié ! … Et du fond d'un somptueux hôtel particulier de Constance, décoré comme un musée, elles recommencent à s'intéresser de près à ces sénateurs de la Ve, ces futurs ministres, ces politiciens qui, naguère, ouf ! ont échappé au grand coup de balai. »

 « Les tueuses de Constance » monte une intrigue d’espionnage somme toute classique où cohabitent l’Histoire (avec un grand H) et la fiction la plus improbable, la plus racoleuse. L’évocation d’un trio d’Amazones paramilitaires tueuses, fantasme masculin guerrier s’il en est, est de trop ; elles font pencher la balance vers l’improbable qui donne un ton James Bond inutile au tout. La ligne de crédibilité est ténue, fragile, difficilement discernable et c’est ici que le bât blesse.

N’empêche, pendant qu’autour d’Eva la narratrice s’agite la Force M du contre-espionnage français, le lecteur traverse la guerre et ce qui s’en suit sous son « regard aveugle » de jeune fille perdue, dont les parents avaient choisi, sans qu’elle y soit pour quelque chose, les chemins de la Collaboration.

6 commentaires:

  1. Coucou par ici,
    Désolé de ne pas passer assez souvent par ici, j'ai tout juste le temps de m'occuper de mon blog.
    Je crois que j'avais récupérer un Rank parce que ce nom me dit quelque chose mais j'ai fait du tri et je ne l'ai pas conservé, sachant très bien que je ne lirais jamais. Et tu décris parfaitement ce que je crains d'y trouver, une exagération, un ton qui gâche et qui le place en série b. Pourtant, ta chronique est une nouvelle fois digne de l'expert que tu es.
    Dommage

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    Réponses
    1. Merci d'être passé.
      Cà, Rank, pour de la série B, c'est de la série B..! Presque du nanar.
      Je le lis malgré tout ponctuellement parce que j'en ai encore sous la main à la cave. D'ici à le chroniquer, vas savoir pourquoi je m'y essaie ?
      Si jamais tu changes d'avis:
      Tu en trouveras un chez n'importe quel bouquiniste low-cost à un prix dérisoire. Les FNE avaient un tirage énorme par numéro, du genre jamais égalé depuis. Evite ceux à la 1 de couv photographique couleurs, la prose y est de plus en plus affreuse. Privilégie les couvs noir et blanc, les illustrations sont signées Gourdon et sont, AMHA, magnifiques.
      Quant aux exagérations, elles sont récurrentes; les pitchs sont systématiquement racoleurs. Rank semblait faire son beurre grâce à elles.
      Quant à l'idéologie, je te laisse faire ton opinion ...

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    2. Jean-Paul Martin, dans "Le roman africain, regards sur des sociétés en mutation", écrit à propos de l'auteur: "Claude Rank et Jean Bruce n'hésitaient pas à situer certains de leurs romans sur le continent [... africain...] ... ces livres, dont la force résidait surtout dans la qualité de leur documentation, ne brillaient pas par leur qualité littéraire et développaient une rhétorique néo-colonialiste" (page 7).

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    3. C'est bizarre car en tout autre art, j'adore les séries B à Z, mais en littérature ça passe pas. C'est peut-être parce que les éditeurs ont réussi à légitimer auprès du grand public les littératures des "mauvais genres"?

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    4. Ou que le lectorat "mauvais genres" se soit légitimé lui-même au gré de ce qu'il souhaitait lire. Va savoir ? Le lecteur, au final, n'a t'il pas toujours raison ?
      Le FNE publia de 1950 à 1987 mille neuf-cent-cinq romans à tirages conséquents (époustouflants au regard de ce qui se pratique de nos jours), il y avait une demande forte et ciblée, la maison s'est adaptée sur la base d'auteurs-maison à cadence rapide de livraisons.
      A ce sujet, il est peut-être bon de préciser qu'au niveau qualité de prose et d'idéologies certains de ces derniers (sans citer de noms) livraient bien pire que Rank.

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    5. Il devait y avoir pas mal d'économie sur la relecture et les corrections/améliorations de l'éditeur.

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