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mardi 13 février 2024

Can – Tago mago (1971)

 



            Article en hommage à Damo Suzuki, le chanteur mythique et mystique de Can décédé le 09/02/2024 à l’âge de 74 ans. RIP. 

            « Tago Mago » est le troisième opus de Can, à mon sens le plus intéressant mais aussi le plus troublant album de sa discographie.

Bienvenue en pays Krautrock (ou « rock choucroute » via la traduction de l’allemand) : une mouvance rock singulière propre aux 70’s et, en queue de comète affaiblie, aux 80’s ; un marché musical alors de niche géographiquement circonscrit à la RFA et à l’exportation vers l’extrême Europe de l’Ouest.

Illustration sonore : «Paperhouse » 

Au cœur des années lycée, à l’orée des 70’s, écouter Can c’était, à l’égal de s’intéresser aux britanniques de Van Der Graaf Generator ou Gentle Giant, plonger dans un underground rock obscur et mystérieux. Le groupe développait une musique progressive, un brin expérimentale voire "bruitiste", bizarroïde et marginale/confidentielle ; elle se positionnait au ras des échos-radars de la rock-critic, un cran en dessous de la notoriété acquise Outre-Manche par Genesis ou Yes, à peine au-dessus de la ligne de flottaison. De la série B ? Que non point. Avec Can, chef de file à venir du Krautrock naissant, s’ouvrait un espace musical différent à la convergence des parallèles avec le hard-rock et ses ténors. On y trouvait, Outre-Rhin, le foutraque et bordélique Amon Düül 2, Ash Ra Temple, Faust, Popol Vuh et/ou autres Neu ... etc.

La France fut particulièrement sensible aux compos de Can. La musique rock du groupe, étonnante, atypique et singulière, semblait puiser ses racines dans autre chose que le fond commun jusqu’alors admis du blues et du rock n’ roll natifs. Parait qu’on y trouvait du Stockhausen (Irmin Schmidt aux claviers et Holger Csukay à la basse en furent élèves) ; vous m’en direz tant.. ! Mais dans l’idée y’avait de çà, une scission d’avec le mainstream rock anglo-saxon omniprésent jusqu’alors ; Can ouvrait ses compositions à d’autres univers, se profilait au-delà de l’horizon vers des mondes encore inexplorés, quelque part entre un ailleurs rock, de la musique contemporaine, des acidités et sécheresses psychédéliques bien dans l’air du temps, du rock progressif et des envies jazzyformes rythmiques propices aux impros.

Sur la plupart des morceaux, la cellule rythmique basse/batterie s’affaire, dès le départ, autour de maigres et minimalistes squelettes percussifs, hypnotiques, répétitifs, métronomiques et lancinants. Autour de ce schéma presque constant viennent peu à peu se greffer, s’enrouler, s’entrelacer des improvisations vocales, guitaristiques (d’inspirations psychédéliques) et aux claviers. Tout s’étire en longues impros changeantes et fertiles. On croit rapidement à trop de simplicité, on a tort : les paysages sonores s'étoffent, fluctuent, s’enroulent et s’imbriquent les uns dans et autour des autres, des changements naissent peu à peu alors que la rythmique ne bouge que peu, parait s’engluer dans des boucles rythmiques qui ne doivent rien à des effets-boucle électroniques, reste quasi immuable et inchangée de longues minutes durant. 

Étonnantes métamorphoses de morceaux immobiles. 

Le line-up du groupe, somme toute classique (v,g,b, claviers) tourne autour de l'acidité psychédélique de sa guitare aux sonorités aigrelettes, sa batterie répétitive, marquée parkinson jusqu'à l’obsession et l'étrangeté rythmique du chant proposé par Damo Suzuki.

Je sais: Can, on aime ou on n'aime pas. C’est selon, tout l’un ou tout l’autre, comme pour le « zeuhlien* » et hexagonal Magma. Le ressenti est catégorique et définitif ; pas de no man’s land où hésiter, tergiverser, réfléchir, changer d’avis. L’auditeur encense ou rejette brutalement dès les premières mesures ; il adhère d’emblée, s’enthousiasme ou envoie bouler. Pas d’alternatives autres que la poubelle ou l’autel où idolâtrer. 

Pour ou contre irrémédiablement (?) alors que, perso, j’ai, au fil des ans, bel et bien retourné ma veste concernant le groupe, passant d’une musique qui m’a longtemps hérissé/énervé à une autre, la même, m’enchantant désormais. « Tago mago », le LP, puis le CD, enfin celui double intégrant des live inédits (2011) ont tant tournés sur la platine vinyle ou laser que j'en connais désormais la moindre des secondes à venir. Je ne me lasse pas de son apparente simplicité qui n’est que trompeuse, et pressens que ces 74 minutes recèlent encore des pépites sous-jacentes à découvrir. 

Je suis blues-rock dans l’âme. Can, pourtant, ne m’a jamais laissé indifférent, du brutal rejet initial qui, à parution de Tago-mago (troisième album du combo en 1971), me fit illico revendre le double-LP tant son contenu m’avait horripilé, jusqu’à l’adulation présente et installée depuis une décennie environ qui me le ferait bien choisir sans sourciller pour une île déserte. J’avais, de prime abord, jugé son succès issu de certaines plumes trop élitistes de la rock-critic qui, une nouvelle fois en opérant ses choix s’était trompée, élisant sur l’autel de l’atypisme et de la singularité underground un groupe qui, à mon avis, ne valait pas grand-chose. Funeste erreur. J’ignorais alors tout du krautrock naissant et en appréciant peu à peu d’autres combos du même tonneau (Amon Düül 2 par exemple) je revins vers Can via un angle différent, enfin convaincu par ses qualités.

Illustration sonore : « Ohyeah »

* Zeuhl-music: mouvance rock issue de la musique de Magma, un combo français entre rock, jazz, musique contemporaine et rock progressif. Les incantations en kobaien (une langue inventée) se rapprochent parfois de celles de Damo Suzuki au sein de Can, tout en restant plus accessibles et mélodieuses.

Line-up :
Damo Suzuki – vocals
Holger Czukay – bass
Michael Karoli – guitar, violin
Jaki Liebezeit – drums, double bass, piano
Irmin Schmidt – keyboards, vocals on "Aumgn"

01. Paperhouse 7:29
02. Mushroom 4:04
03. Oh Yeah 7:23
04. Halleluhwah 18:33
05. Aumgn 17:37
06. Peking O 11:38
07. Bring Me Coffee or Tea 6:47

Durée totale:     73:31




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