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dimanche 23 juin 2024

Beckenbauer – Christophe Neyrinck

Editions « Vendeurs de mots » (2024) (Edition originale)

En « je narratif », Beckenbauer raconte le combat délicat et perdu d’avance d’un fils face à la lente et inexorable maladie d’Alzheimer qui va emporter sa maman. Roman ou autobiographie ? Va savoir, même si, me concernant, le doute s’est lentement effacé au fil de la lecture. Tout sent le témoignage se cachant pudiquement derrière la fiction. Bienvenue en enfer, celui d’un fils aimant tiraillé entre un corps qui a donné la Vie et un esprit qui ne l’y habite plus. Poignant défi à la raison.

La Vie par temps d’Alzheimer. Du moins ce qu’il en reste. Chez la victime, sur son entourage : à tous les coups l’on perd. Dissection sans fard d’une situation sans espoir aucun. Les mots pour le dire… entre instinct combatif, fatalisme et humour.

Un titre étonnant : « Beckenbauer ».

Alzheimer. Un nom propre d’origine germanique. Difficile à retenir, à restituer sans l’écorcher, à épeler sans faute. Même vérifiée par le correcteur informatique embarqué sous Word la justesse de son orthographe laisse des doutes. Alzheimer, à lui seul, c’est déjà un défi redoutable lancé à la mémoire. Ben voyons ..! ; çà ne pouvait mieux tomber quand cette dernière est au cœur du tableau clinique .. ! Alors pourquoi ne pas renommer la redoutable maladie « Beckenbauer », terme tout aussi allemand et compliqué ; ce par bravade métaphorique voire dérision, à la manière d’un pied de nez footballistique facétieux, d’un défi que l’on sait pourtant inutile ? D’autant que le footeux teuton des 70’s, ce Kaiser si bien surnommé, assurait une défense béton, tout autant que des contrattaques fulgurantes, redoutables et redoutées. Dans l’idée, Alzheimer n’est pas loin, la comparaison est pertinente, belle trouvaille que ce titre inattendu ; le sportif, implacable et déterminé, laissait ses adversaires impuissants et KO pour le compte.

Alzheimer/Beckenbauer. Saloperie de maladie prédatrice qui, depuis les premières morsures insignifiantes qu’elle assène en cachette, peu à peu mord, déchiquète et ne lâche plus sa proie, la dépouillant de tout ce qu’elle fut. Un bouquet de signes cliniques polymorphes et variable d’un malade à l’autre. Un syndrome implacable et inéluctable qui ronge les capacités cognitives de la maman du narrateur, la vide de tout passé et rend illusoires et vaines les tentatives désespérées de son entourage à l’extraire de la vase mentale dans lequel elle s’enfonce inexorablement. Le narrateur, à deux doigts d’y sombrer dans la foulée, le laissant échoué, pantois, impuissant mais soulagé à marée basse ; son besoin de s’en tirer au mieux par instinct de survie.

Le roman : un « Je narratif » sans pathos, mais nourri de tendresse, d’honnêteté, de sincérité et de franchise ; mais aussi d’un humour côtoyant l’autodérision préventive (une manière d’affaiblir le choc en retour asséné à la famille). Une prose précise, poétique et quelquefois percutante : des phrases électro-chocs qui tournent et tournent, patientent et frappent soudain à cœur et rendent l’œil humide ; des mises en abime aux aguets, à la survenue subite qui laissent des traces. Un sens de la formule indéniable, on se plait bientôt à attendre et espérer ces flashs récurrents qui peuvent survenir n’importe quand.

Des flashbacks comme autant d’instantanés polaroid sur le fil de nombreux chapitres plus ou moins brefs (74 sur 196 pages) ; un rendu de mini-photos en noir et blanc sur une planche-contact au nitrate d’argent ; chacune son message, son point focal et sa mise au point. Une Impressionnante mise en forme se dessine ; elle emporte l’adhésion. C’est le grand plus de l’ouvrage. Chapeau.

Un premier roman. L’art et la manière au rendez-vous. Introspectif sans excès, fluide et rapide. Des choses à dire et l’instinct pour les asséner au bon moment.

J’ai adoré. Merci.. !


 

 

2 commentaires:

  1. On est vraiment impuissants face à cette maladie. Quand la mémoire s’effrite c’est terrible.On est vraiment démunis dans les familles. Je le note.

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    1. Oui, elle agit à la manière de la taupe des champs, souterraine et quasi invisible, tout d'abord en émergences ponctuelles et discrètes, puis omniprésentes. Travail de sape qui ira aussi ronger l'assise des proches.

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