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mardi 3 septembre 2024

120, Rue de la Gare (NestorBurma) – Léo Malet (Roman) + Jacques Tardi (BD)

Réédition roman 1985
 
Adaptation BD 1988
Réédition 1988

« 120, Rue de la Gare », paru en 1943, semble inaugurer historiquement le Polar Noir Français. Il lui faudra d’ailleurs du temps pour se rendre compte de son caractère novateur. En cette époque d’Occupation, le genre, d’importation états-unienne, est naturellement devenu persona non grata en France Occupée. Au même titre que le cinéma anglosaxon n’encombre plus les salles sombres dédiées, les romans US disparaissent tout bonnement des vitrines des libraires. La censure allemande passe et cadenasse les envies d’Outre-Manche et d’Outre-Atlantique. Or le lectorat gourmand de ce type de littérature populaire ne s’est pas évanoui avec la guerre. Il réclame discrètement les stéréotypes du genre : impers mouillés dégoulinants, trenchcoats à col rabattu sous des Stetsons de guingois, cigarettes, chewing-gums et petites pépées, femmes fatales en bas de soie et longs fume-cigares à bout doré, whiskies on the rocks, armes de poing, caractères de cochon et force de caractère en « je narratif » ; argot, gouaille, cynisme, humour sarcastique et désabusé … action pétaradante et coups de théâtre à profusion.

 Leo Malet, opportuniste, jusqu’alors discret écrivain surréaliste, entrevoit alors un débouché à son envie d’écrire en créant un héros à la française en presque-copié/collé. Il mène à parution ce « 120, Rue de la Gare » en n’effarouchant ni la censure nazie ni la prudence éditoriale française de circonstance. L’auteur y régurgite en collection dédiée (« Le labyrinthe »), mais à la sauce franchouillarde, l’archétype du détective Polar Noir US. Il évacue de son récit les ingrédients cousinant avec l’Angleterre et les Etats-Unis, recadre les thématiques à la France Occupée (l’itinéraire de Burma en 41 dans « 120, Rue de la Gare » commence dans un stalag en Allemagne, se poursuit en Zone Libre à Lyon, se conclut à Paris en France Occupée. On ne peut faire moins anglo-saxon). Malet se dédouane de tout activisme pro-alliés, évacue toute critique des troupes d’Occupation, n’entrebâille la porte sur la guerre que de manière neutre en se recentrant sur les restrictions et le marché noir. Malet n’évoquera la DCA au-dessus de Paris, et encore n’est t‘elle que lointaine et assourdie, qu’à la fin du roman pour dramatiser l’intrigue à l’approche du final. De la même manière, la mainmise des troupes d’Occupation ne semble qu’un background, il convient de faire avec … ou plutôt sans : pas de flic allemand gravitant en périphérie d’intrigue ni en son centre ; juste, par exemple, quelques gardiens de stalag. « 120, rue de la gare », à la mi-temps de WW2, prend bien soin de rester franco-français ; le roman aurait  t’il été tout autre écrit après la Libération, pas sûr ?

Burma se montre détective US type, plus souvent dans la dèche que dans l’opulence ; franchouillard bon teint jusqu’en bout d’argot, de gouaille et de clins d’œil aguicheurs à la gente féminine ; intelligent, débrouillard et pragmatique dans sa recherche d’indices et l’utilisation qu’il en fait ; fort en gueule, têtu mais intelligent ; prêt au coup de poing ou au pétard qui défouraille, il ne supporte la police à ses côtés que s’il peut s’en moquer ouvertement, haït les larbins domestiqués couleur de tapisserie bourgeoise. On sent en lui le regard nihiliste, un rien humaniste, libertaire et anarchiste de son créateur, son amour pour Paris, ses rues, ses gens, ses lumières assourdies de couvre-feu dès le tôt crépuscule hivernal venu, ses passants qui vont et viennent d’une vie à l’autre …

Polar Noir à la sauce hexagonale, le roman ne perd pas l’habitude US des scénarios complexes, tarabiscotés, offerts à la mémoire affutée de l’auteur et à celle de son lecteur. Au fil des pages, ne pas perdre le fil, rester au contact des indices qui vont nourrir les fausses pistes jusqu’à la révélation finale, se souvenir des uns des autres, de ce qu’ils font, disent ou ne disent pas. On sent ici le roman policier à l’anglaise qui vit des détails enchevêtrés de l’enquête en cours. Beau travail de construction scénaristique même si parfois les coïncidences sont bien trop fortes pour être crédibles.

Au final : une lecture d’intérêt, de plein pied dans un genre que je souhaite explorer plus avant. « 120, rue de la gare » : un incontournable du polar noir mijoté made in France. Le lire c’est faire bonne pioche. D’autres Nestor Burma, de la même plume aisée et directe, s’offrent à ma curiosité et à mon envie de retourner dans ce Paris d’un temps pas si lointain mais qui, pourtant, s’est effacé peu à peu.

Tardi, en 1988, adapte l’ouvrage de Léo Malet dans une BD magistrale de 190 pages ; il y offre sa vision de l’œuvre qui, comme attendu, se montre au plus proche du roman. Quand le dessinateur côtoie une œuvre écrite préexistante sur sa planche à dessins il s’attache au rendu scénaristique le plus fidèle. Presque une question d’honneur, d’hommage à celui par qui tout est venu. Ainsi, le texte, emprunté à Malet, noie les phylactères d’une prose indispensable. Tardi reste maitre de la situation et impose un noir et blanc de circonstance, un panel de gris, un trait caractéristique opposant la rigueur du background architectural et la manière bonhomme d’aborder les visages et les expressions, toutes en rondeurs rapides et la minutie de trait apportée aux restitutions architecturales appliquées aux bâtiments lyonnais et parisiens.. Le roman est la matière première, celle dans laquelle le dessinateur puise et élagué à minima. On a l’impression de cartes postales d’époque en noir et blanc dans lesquels s’insèrent des personnages de fantaisie (si l’on peut dire). C’est beau, on admire.

Merci Messieurs Tardi et Malet.

Édition originale du roman (1943)

 


 


 

1 commentaire:

  1. Il en existe, semble t'il, une version ciné qui n'a pas du rester dans les mémoires et une autre sous la forme d'une pièce radiophonique (assez fidèle elle aussi) avec tout plein d'acteurs que je ne connais pas.

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