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samedi 9 juin 2018

Le Crépuscule des Stars - Robert Bloch



Rivages/Noir 2011

Au temps du cinéma muet on criait simplement "MOTEUR".
Tout changea quand "SILENCE, ON TOURNE" devint la règle.

Résumé succinct:
Hollywood. 1922. Tom post est coursier sur les premiers plateaux de tournage. Par amour du 7ème art il va gravir tous les échelons de l'industrie du cinéma muet. De coursier à rédacteur des intertitres (textes insérés entre les plans ou les séquences filmés); jusqu'à scénariste en chef. De l'Hollywood des pionniers jusqu'au crack boursier de 1929, en passant par l'avènement du parlant.

L'auteur:
En 1957, Robert Bloch, jusqu'alors nouvelliste fantastique et romancier policier en devenir, écrivit le premier tome d'une trilogie qui ne vit jamais le jour dans son intégralité. Seul le premier opus parut et non sans difficultés. Aucun éditeur américain n'y crut avant 1968. Le projet ne correspondait pas au profil de Bloch auprès de son lectorat.

"Si je ne devais pas gagner ma vie en faisant peur aux gens, c'est ce genre d'histoires que j'écrirais" Bloch,1979*

En trois tomes ("Colossal", "Gigantesque" et "Stupéfiant"), l'ambitieux projet prévoyait de décrire Hollywood des premiers pas du muet jusqu'à l'émergence de la télévision. Le propos n'était pas tant l'Histoire du cinéma US que l'évocation romancée de "La Machine à Rêves" via les destins de personnages imaginaires mais crédibles. Son but n'était pas de révéler certains scandales retentissants accolés à certains grands noms de l'époque.

L'objectif était de vider Bloch de tout l'immense amour qu'il ressentait pour le 7ème Art made in US.

"Si j'avais du choisir entre Hollywood et le Paradis, je n'aurais pas hésité une seconde."

Seul "Colossal" vit le jour, et encore pas sous ce titre...
Première édition aux USA, en 1968, soit 11 ans plus tard et, par défaut en format poche, sous le titre trompeur de "Star-stalker" (le chasseur d'étoiles). Une pin-up aguicheuse trônait en une de couverture. Contenant et contenu désormais sans rapport aucun.

Bloch ne dit rien, il s'était résigné à l'enterrement sans fleurs ni couronnes de son roman préféré. Et pourtant...

... "Colossal" sort en 1979 en version française sous le titre "Le crépuscule des stars" dans la collection Red Label (PAC ed.), puis en 1985 aux Nouvelles Editions Oswald dans la collection "Le Miroir Obscur".




Certains chefs d’œuvre peinent à émerger. Ce roman en fait partie. Commence ainsi pour lui une nouvelle carrière...

"A Hollywood, on ne sait pas trop pourquoi, le soleil semble toujours être au zénith - même la nuit, lorsque le néon donne l'illusion que l'on est en plein midi"

Le "Crépuscule des stars" traite de l'Age d'Or du cinéma muet, il raconte la décennie hollywoodienne fabuleuse des années 20. Blochy décrit l'amateurisme inspiré et visionnaire des débuts, le bricolage à l'arraché et le Système D sans cesse à l’œuvre. Bloch nous promène, dix ans durant, des premiers hangars-studios jusqu'aux coûteux complexes cinématographiques d'avant-guerre.

"...transformer le celluloïd en or massif..."

Bloch conclut par le big-bang du parlant, des conséquences qui s'en suivirent, et le crack boursier de 29.

Que commence le grand show...dans les décors truqués.

"Le crépuscule des stars" décrit:
_un monde ne vivant que pour et par le cinéma, par amour de l'art pour une minorité et pour l'argent et la gloire du plus grand nombre.
_un monde clos dans un rêve éveillé que ne limite que l'imagination des participants; un univers où le réel côtoie le fantasme et son cortège de scandales.
_une bulle presque autarcique quand elle n'est pas dominée par l'argent-roi sans qui rien ne serait. Le besoin incessant de liquidités devient un étau impitoyable qu'il faut desserrer en acceptant de rentables mais pitoyables séries Z. Les milieux bancaires poussent au rendement et deviennent seuls maîtres du jeu.
_un rêve éveillé aux berges du cauchemar, ignorant volontairement tout ou presque des choses et des gens de l'extérieur; un grand cirque où se côtoient la misère des simples figurants qui espèrent se faire remarquer** et l'opulence ostentatoire et honteuse des belles demeures, l'extravagance outrée de celles et ceux qui se sont fait un nom, et leur manière de lâcher des millions pour un rien.
_un univers où l'alcool prohibé coule à flots, où la drogue commence à faire son apparition.

_mais où surnagent encore près de 90 ans plus tard des chefs-d'oeuvre et des noms encore en mémoire: Keaton, Chaplin, Eric Von Stroheim...

"The show must go on"

"Le crépuscule des stars" est aussi la description de l'effet raz-de-marée que provoqua l'avènement du parlant. Le muet n'y survivra pas***. Bon nombre de stars incapables de s'adapter sombrèrent dans l'oubli et la déchéance. Chacun avec des fortunes diverses encaisse le choc. Ainsi pour cette vedette dramatique qui prend à l'écran la voix de Mickey Mouse, pas de pardon, pas d'espoir, c'est la chute irrémédiable. Et en parallèle on assiste à l'ascension d'une cohorte de jeunes loups issus du théâtre et des cours d'art dramatique. Ils balaieront sans remord les antiquités du muet.
Seules surnageront quelques bêtes éternelles: Von Stroheim, Garbo ... et Chaplin qui, en 31, osera enrayer le parlant, mais en vain, avec un film muet qui, paradoxalement, devint chef d’œuvre: "Les lumières de la ville". 

Ce que j'en pense:
Je connaissais Blochnouvelliste. Il y était en réussite: virtuose de la concision et du raccourci, incisif, rapide et efficace, sarcastique, pince-sans-rire, surprenant, débordant d'humour noir. Nombre de ses nouvelles tournent autour du cinéma et plus particulièrement du muet. Il sera le scénariste de Psychose signé Alfred Hitchcock. Ainsi, sur un sujet qui lui est passion, il nous sert un roman d'ambiance, élégant, documenté, émouvant, nostalgique et tendre, souvent angoissant et drôle quelquefois, empli de rires, de larmes, de douleurs et de désillusions.

Grandiose et émouvant. Petit chef d'oeuvre de littérature générale. Peut t'on parler de policier sans meurtre, sans détective ni enquête ?  Ne subsiste qu'un grand roman d'amour pour le cinéma, la passion de toute une vie, celle de Robert Bloch.

Ps: Ne pas croire qu'avec "Le crépuscule des stars" Bloch régla définitivement ses comptes avec une époque idolâtrée, bénie des dieux mais à tout jamais enfuie. Le projet avorté de la trilogie pesera de son poids jusqu'à sa mort. Il eut néanmoins brièvement recours, par la suite, à son héros, Tom Post, qui nous rend à nouveau visite dans le roman Psychose 2 (1982). Il tient un hôtel, a des photos d'époque à nous montrer et des souvenirs à nous raconter...

On n'enterre jamais vraiment ses amours passées. Il en reste toujours un bout, un rien qui nous fait chavirer.




19 commentaires:

  1. Intéressante chronique, et bien complète, puisque tu parles du contexte de l'époque et un historique des œuvres de l'auteur..

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  2. Merci.
    J'ai sabré nombre de rééditions qui via les illustrations en 1 de couverture sont totalement à côté de la plaque. Déja celle de NeO me parait limite. Elles ne sont pas le reflet de ce qu'est ce roman: un roman d'amour dédié à une époque, un documentaire romancé. "Le crépuscule des stars" n'a pas eu le destin qu'il méritait.C'est de la littérature générale de bonne facture. Y voir un policier est peut-être une erreur. Mais comme avec lui, c'est çà ou rien autant se contenter du minimum.

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    1. c'est vrai que la couverture de droite ne me donne pas du tout envie de lire le bouquin! je me dis " qu'est-ce que c'est cette daube?" :-D
      comme quoi, les couvertures influencent pas mal!

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    2. Oui, çà donne au roman un aspect série Z policière qu'il ne mérite pas*. Il n' a presque aucun argument policier: pas de meurtre, de détective, d’enquête. L'illustration du "Rivages/Noir" est beaucoup plus parlante: on y sent un regard cinématographique typique, un regard marquant et parlant.Cà peut aller.
      *Encore que Claeys (l'auteur de l'illustration) ait beaucoup fait pour le polar, surtout via cette collection.

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  3. Quelques recherches ont été nécessaires à cette chronique. La Toile m'a été utile. Les critiques (pro et amateurs) semblent unanimes pour trouver de l'éclat et du panache à ce roman.
    Sur Babelio, sur la base des statistiques du site, il n'a que 20 lecteurs (ce qui me parait peu), a été chroniqué 5 fois (ce qui, au regard des 20, me semble beaucoup) et a obtenu 3.95/5 (ce qui est une très bonne note); peut t'on en déduire qu'il a loupé sa cible..?
    Oui, je le pense.
    A cause de son thème de niche..? Oui sûrement.
    Mais surtout parce que l'image de l'auteur n'était que celle d'un écrivaillon de fantastique, d'horreur et de polars; d'un scénariste de cinéma. D'un mec attaché aux "mauvais genres". Ce roman fut un problème éditorial dès le début. A l'image de l'influence du monde de l'argent sur le muet que nous décrit Bloch, les premières maisons d'édition contactées ont senti très tôt que le profil de Bloch ne pouvait pas porter la trilogie.
    Et c'est bien dommage: on y a perdu deux tomes prometteurs.

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    1. l'éternel problème des étiquettes ;-)

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    2. Tout à fait.
      Peut-être sous pseudo aurait t'il eu plus de chance..?

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    3. ah oui, c'est pas bête ça!
      même sur Amazon, il y a très peu de critiques pour ce roman..

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    4. Oui, trois seulement: deux dithyrambiques (ou pas loin) et une négative (ou pas loin). La dernière encense l'ambiance et émet des réserves sur le caractère stéréotypé des personnages. Je suis un peu d'accord avec le propos mais cela ne m'a pas vraiment gêné.
      Quant à la rareté des commentaires, peut-être faut t'il voir çà sous l'angle qui pousse les lecteurs à venir vers le roman ? Poussés par l'aspect policier ils repartent déçus (il n'y a pas d'intrigue policière) ou en repartent envoûtés par ce qu'ils n'attendaient pas, un docu romancé d’intérêt.
      Au final on se retrouve dans le marché de niche d'un marché de niche. Portion congrue pour le moins. Et le roman n'a aucun espoir (ou si peu) d'en sortir si ce n'est de loin en loin pour un petit tour et puis s'en va. Tout se passe comme si roman classé policier, le détective de garde qui n'existe pas avait claqué le clap de fin de tout espoir de voir ce roman reconnu à sa juste valeur.

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    5. .... il me semble quand même un peu maudit, ce roman. Une sorte de frein qui lui colle aux basques.

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    6. il devrait être édité avec une nouvelle couverture et un nouveau classement alors :-D

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    7. Et quand j'y pense quand même. C'est un des rares romans de 300 pages à peine dans lequel le lecteur rencontre au fil des rôles principaux ou de ceux des figurants: des cow-boys et des indiens, des vampires, des romains, des reines victoriennes, des rois et des empereurs, des déesses mythologiques, des dieux de l'Olympe....etc
      Bongu: quel casting..!

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  4. Citation: "Il devrait être édité avec une nouvelle couverture et un nouveau classement alors :-D"
    >>>>> Oui. Et il y aurait pas mal de lecteurs déjà atteints (on dirait un truc viral) heureux d'écrire aux rescapés tentés: "allez y, çà vaut le détour".

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  5. ça me fait penser aux acteurs.. certains ont tjs eu des rôles particuliers, genre des rôles de méchants, du coup ça fait pas crédible qd on les voit en gentils.. les étiquettes sont parfois collées à la super glue!

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  6. Oui,et Bloch semble pâtir de son horrifique profil qui s'essaie subitement à la tendresse et à la nostalgie. Il n'en parait plus crédible.
    Ah, le jour où je verrai Depardieu jouer le rôle de Cendrillon...

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  7. Ah oui,j'oubliais, cette présente chronique fait suite à une relecture d'il y a trente ans (à la louche). Le plaisir reste le même. Ce n'est pas un roman à usage unique, on y revient et il n'a pas de date de péremption en 4 de couv. Il a, de la sorte, un caractère intemporel.

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  8. « un roman d'ambiance, élégant, documenté, émouvant, nostalgique et tendre, souvent angoissant et drôle quelquefois, empli de rires, de larmes, de douleurs et de désillusions »

    Oui, il est bien tout cela ce magnifique roman.

    « il sera le scénariste de Psychose signé Alfred Hitchcock »

    Le scénario tiré du roman est en fait signé par Joseph Stephano (qui ne fit rien de remarquable par la suite).

    Toutefois, Hitchcock disait que Psychose, le film, était tout entier dans le roman de Bloch, battant en brèche la bête rumeur qui voulait que le cinéaste ait tiré un grande œuvre d’un roman médiocre.

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  9. Nous partageons, tous les deux, Jim, un amour inconditionnel pour Robert Bloch et Richard Matheson. Ils se rejoignent dans leurs passions communes pour le cinéma et ce qu'ils ont faits pour qu'il vive et soit passionnant. Et là,dans ce domaine, tu as des connaissances que je n'ai pas et que je souhaiterais avoir. Merci d'avoir corrigé mon erreur.

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