Accueil

Accueil
Retour à l'Accueil

mercredi 30 mai 2018

Bakhita - Véronique Olmi

ISBN : 2226393226 
Albin Michel (23/08/2017)



Du chaos de l'Afrique Noire coloniale de la seconde moitié du XIXème siècle, terrain de chasse des négriers musulmans, à l'Italiede la première moitié du suivant: l'itinéraire erratique d'une esclave noire de neuf ans devenue Sainte soixante dix ans plus tard.

D'une petite tribu du Darfourvers 1870, primitive et autarcique, jusqu'à une Italie fasciste sous la mainmise exclusive du Duce.
Des chansons, des rires et des histoires autour du feu jusqu'aux vociférations racistes et antisémites de Bénito Mussolini.
De la douceur d'une mère perdue jusqu'à celle d'un dieu choisi et révéré.
Des marches forcées dans le désert profond, fers aux pieds et fourche à esclave au cou, jusqu'à un long voyage en Italie pour promouvoir un livre sur sa vie, canne en main pour soulager l'arthrose.
D'un prénom perdu sous la Lune d'Afrique à celui retrouvé dans un couvent italien.
Des marchés à esclaves du Soudan jusqu'à cette chambre nue à Schio où elle vivra sa dernière nuit.

Bakhita ("La chanceuse", quelle ironie) était esclave. Moins que rien, moins qu'une chose, moins qu'un jouet qu'on détruit sur un caprice....

De scarifications au sel sur tout le corps en tabassages à mort pour un rien, pour une mauvaise humeur passagère; de maîtres en maîtres qui tous ont droit de vie et de mort sur un peuple qui n'est rien, qui n'a rien, si ce n'est le pouvoir de mourir pour que tout enfin s'arrête.

Bakhita vivra, survivra, accrochée à sa vie, à l'espoir toujours renouvelé mais jamais assouvi de revoir ceux de sa tribu. Elle croira les voir dans une silhouette dans la foule, dans un mort à terre; les entendre dans un cri, dans un rire, dans une intonation de voix.

Elle sera dans les harems, de viol en viol, impuissante face aux  castrations souvent mortelles subies par les enfants males.
Dans les caravanes, où l'on abandonne les malades en les clouant aux arbres pour qu'ils ne profitent à personne d'autre.
D'une maison l'autre, d'une fureur à l'autre, d'une ignominie à l'autre, d'une humiliation à l'autre.

Et puis un jour la chance peut-être enfin, l'espoir d'une vie presque libre mais toujours esclave.

.... l'espoir d'un autre monde, celui d'une Italie lointaine rêvée comme un Eden. Toujours esclave, un consul italien l'emmène à Zianigo, Province de Venise, comme accompagnatrice d'un jeune eunuque offert en cadeau, en jouet à un riche couple italien.

Un deuxième ange passe: elle sauve un enfant blanc mort-né, celui de ses patrons, en aspirant les glaires de ses poumons encombrés... Du diable à peau noire tel qu'on la voit elle va lentement glisser vers celle qui révère le Christ-Esclave.

Ici commence une autre trajectoire, l'itinéraire de Bakhita vers la Sainteté... et cette histoire appartient à l'Eglise.

Ce que j'en pense: Véronique Olmi nous offre ici une histoire de coeur, celui accroché à un destin hors norme, à une femme-tendresseballottée par le malheur, le sien et celui des autres, ses semblables. Olmi nous offre une histoire de sang et de douleurs, de violences et de souffrances, de morts et d'inhumanité, d'injustices, d'intolérances et d'irrespect . Olmi nous offre la Guerre et ses oubliés, la ville et ses pauvres...

Et dans ce fatras qu'est le monde entre deux siècles, Bakhita viendra comme un coin dans le bois, comme un espoir pour que tout change un jour.

Véronique use d'une prose poétique et belle, allusive dans l'horreur, comme pour attendrir l'intolérable, douce et tendre dans l'espoir, directe dans les dénonciations.

Prèts pour le voyage...?
Gaffe, vous allez y laisser des plumes, croyant ou pas.

7 commentaires:

  1. Magnifique chronique, pleine d'émotion.. on sent bien que tu y as laissé des plumes!
    Cette histoire m'avait hantée pendant plusieurs jours, après avoir refermé le livre...

    RépondreSupprimer
  2. Effectivement, j'y ai laissé des plumes..!

    https://www.purelypoultry.com/images/emu-head.jpg

    Mais au-delà de la précédente ânerie, il est vrai qu'il est très difficile d'en sortir indemne...! Dire qu'une part de l'humanité s'est engagée dans cette réduction des êtres au néant qu'était l'esclavage.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et quand tu vois que ça existe encore dans certaines parties de monde.. toujours cette manie de profiter de la détresse des autres...

      Supprimer
    2. en fait je crois que l'homme aime soumettre plus faible que lui.. à partir du moment où il a et le pouvoir et l'impunité, il y va !
      l"homme envers l'homme, ou l'homme envers la femme, les enfants, les animaux.. etc

      Supprimer
  3. Oui, l'Histoire sans cesse renouvelée. Et surtout du passé ne pas tirer les leçons.

    De l'esclavage, ce qu'Olmi est parfaitement parvenue à restituer, c'est l'étau psychologique inextricable dans lequel est sans cesse écrasé l'esclave. Tout espoir d'un autre horizon que celui des chaînes et des fers, tout espoir d'un autre sens à donner à l'existence (n'aimes pas l'esclave d'à côté, tu souffriras quand il ne sera plus là demain) est cassé, broyé, laminé, oublié. Il ne reste que le présent, le passé n'existe pas, le futur ne viendra jamais. Les négriers verrouillaient le passé et cadenassaient l'avenir, ne laissant qu'un présent aux aguets, un instinct de survie dans l'instant même, jamais au-dela. Pour Bahkita, en Italie, certains européens usèrent encore à son encontre des mêmes codes efficaces et sûrs. Arrachée tant bien que mal à l'analphabétisme, elle sera tout le reste de sa vie durant incapable de prononcer des phrases au passé ou au futur. Elle gardera çà, entre autres séquelles, de son passé d'esclave, ce présent éternel, toujours insécure et menaçant, voire source de souffrance quand on la séparait d'êtres chers.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

      Supprimer
    2. "et surtout du passé ne pas tirer les leçons"
      oui, j'y pensais l'autre jour, je me disais que le fait de faire des commémorations chaque années, de raconter dans les livres d'histoire toutes les horreurs du passé, tout ça c'est comme brasser du vent... comme se donner bonne conscience avec de beaux discours.. puisque de toute façon c'est cyclique, mais dans des circonstances différentes, avec des ennemis désignés différents, des moutons noirs différents.. etc

      Supprimer

Articles les plus consultés