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vendredi 14 septembre 2018

Rhino - Dominique Douay


FNA n°1360, 1984


A travers cette chronique je souhaite raconter à ma manière (et je l'espère sans erreurs) l'Histoire  d'une partie de la trajectoire du mythique Fleuve Noir Anticipation.  Son lit, de sa naissance à sa fin, courre de 1951 à 1997, tout du long de ses 2001 titres (quel beau clin d’œil hommage à Stanley Kubrick en guise d'adieu..!). La période qui va m'occuper se situe plutôt après la mi-parcours.

Le FNA était à sa mort la doyenne des collections SF françaises: populaire, abondante, recherchée, mythique, légendaire...etc. Elle connut plusieurs phases successives qui marquèrent son histoire et celle (avec un grand "H") de la SF. "Rhino" signé Dominique Douay, n° 1360 de la série, parut en 1984. Ce roman appartient (si je ne me trompe pas) à la troisième tranche d'évolution de la collection.

Graphiquement, ce titre appartient encore à cette période de la collection qui affiche en 1 de couverture des illustrations non originales issues de fonds anglo-saxons. Quelquefois même, le lecteur n'a que des fragments arrachés à des peintures plus grandes, de simples détails recentrés pour devenir arguments graphiques essentiels. On laisse souvent ignorer le nom des dessinateurs. Celle de "Rhino"est pourtant, précise t'on gentiment, et on a de la chance, signée Jim Burns: une pointure galloise de l'époque en matière de peintures SF. L'original illustre sans aucun doute, si l'on cherche bien, une toute autre parution anglo-saxonne, un roman qui n'a aucun rapport avec celui qui nous occupe.

Au sein du FNA, en tant que contenants, ces dessins n'ont très souvent aucun rapport avec les contenus. Pour faire simple, le lecteur ne lit jamais ce qu'il voit, ce qui visuellement l'a attiré à l'achat. La une de couv de "Rhino" nous montre trois licornes; on a de la chance, il y en a une dedans. Sinon, ailleurs, pour d'autres titres, les illustrations tombent à côté de la plaque.

Le Fleuve de l'époque se moque de ces approximations graphiques, il vend, il a affaire à des aficionados qui achètent en masse dans les tabac-presse, sur les quais de gare, en librairies... etc. La collection est aisément repérable, elle a des codes graphiques forts, reconnus par les fans, repérables par les habitués de passage. C'est désormais une institution solide qui a ses fidèles irréductibles. Et ils sont si nombreux. Et puis ces illustrations hyper-réalistes, aérographiées, très typées SF et/ou Fantasy ont le vent en poupe, font un tabac outre-atlantique et sont recherchées en France; c'est nouveau, créatif et travaillé à la perfection. Le vent, les concernant, les oubliera bientôt sur l'autel de la mode. Ce fut une époque graphique lyrique et ébouriffée. On est si loin, hélas, de la sèche sobriété actuelle.

Le fan de base de 1984 n'est pas dupe de ces libertés prises avec la réalité, mais il s'en fiche. Il n'attend que sa dose d'exotisme spatial rapide. Six parutions par mois, la machine ne peut bloquer sur des détails.

En 4 de couv, en guise de résumé, l'éditeur fait au plus simple et au plus discret: quelques mots en bas de page que l'on cherche sous une pub presque pleine page, ici on vend au hasard des parutions de l'alcool, des cigarettes, des voyages ..etc

"Rhino"pour nous allécher propose le sobre et peu attirant texte suivant: "La foule s'immobilisa: hautes de cent mètres et plus, les lourdes portes de bronze du temple s'écartaient en silence. Occupant toute l'embrasure, une forme massive se profila. Le Rhinocéros. Le dieu vivant, mais aussi l'arme la plus formidable que l'homme est jamais conçue." On peut faire mieux, mais est-ce important ?

Au dos, on trouve une pub Air France, une plage ensoleillée, un palmier, le vert de l'océan et une fille bronzée en maillot de bain blanc.



Drôle d'époque me direz-vous ? Celle qui accepte de tels codes impensables aujourd'hui et ne s'en voit pas pénalisée en termes de ventes.

Le fan addict du FNAet le lecteur occasionnel ne se posaient alors pas tant de questions: le voyageur SNCF achetait deux heures de lecture divertissante et offrait au book-crossing le livre qu'il laissait sur les sièges; le collectionneur se frottait les mains, il possédait à sa plus grande joie des romans qui n'étaient jamais réédités (ou presque).

Un autre fait notable, à cette époque, change la donne et glorifie la collection. Le FNA sous la nouvelle houlette de Patrick Siryen tant que directeur de collection, se met en tête de livrer des romans plus aboutis, plus littéraires, plus travaillés, signés de grands noms déjà en place chez d'autres éditeurs ou de talents à venir: Michel Jeury, G.J. Arnaud, Joël Houssin, R.C. Wagner, Pierre Pelot..etc. Peu à peu, de populaire la collection fait peau neuve, revêt des habits de fête et attire un lectorat plus exigeant.

C'est dans ce contexte étonnant que Dominique Douay débarque au n° 1360 en 1984. Ce sera sa seule apparition au sommaire du FNA. Et il y a peut-être une raison à cette unique livraison. Il n'en est pas à ses premiers pas, il a un passé reconnu au sein de collections SF prestigieuses: Opta Nebula, Présence du Futur, J'ai Lu SF, la collection "Dimensions"chez  Calmann-Levy...et une cohorte de nouvelles au sein de Fiction, Galaxie et autres Horizons du Fantastique...

"Rhino": dans un lointain futur, Terre, le Berceau Nourricier, a colonisé des centaines de mondes. Ils se sont réunis sous l'égide d'une Fédération Centrale, la HWO. Son pouvoir est contrebalancé par celui de la MNA(fédération des Mondes Non Alignés). Le point névralgique de cette structure politique est, à l'égal d'Arrakispour le Dune d'Herbert, la planète Falume. On y trouve une prêtrise centrée autour de l'adoration des Bêtes, gigantesques et omniprésents objets de culte. Ce sont trois entités spatiales déifiées, vénérées par des Fidèles décidés au prosélytisme extra planétaire agressif. Une Licorne, un Rhinoceros et un Mammouth. En réalité trois vaisseaux spatiaux surarmés, fruits d'une technologie avancée, capables de déplacements instantanés dans l'espace profond. Chaque entité a son pilote, un cornac humain (Rhino, Liquorice et Mammon) qui fait corps avec elle. Falume porte une religion à l'échelle d'une planète, en prosélytisme centrifuge constant. Ses dirigeants en habiles manipulateurs vénèrent, en le sachant pertinemment, une banale technologie, instrument d'hégémonie aux mains de la Fédération qui la possédera. On va assister à maints affrontements politiques, diplomatiques, religieux et guerriers autour de la possession des Bêtes. A cela s'ajoutent les Qalagsà l'image des Navigateurs de Dune, les lémuses (mini peluches vivantes, E.T. capables d'empathie) et une caste féminine (Bene Gesserit à minima).

Le projet est ambitieux, Dune n'est pas loin dans l'intention. Douay n'a semble t'il pas prévu d'inscrire son récit dans le cadre d'un cycle, le roman apparaît comme un one-shot au regard de son épilogue fermé. L'auteur se montre vite à l'étroit dans le cadre serré des 184 pages standard des FNA de l'époque. Il n'a pas le temps de l'exposition sereine des tenants et aboutissants de ce qu'il a imaginé. Il lui faut aller à l'essentiel et il sabre les détails. Les informations servant à bâtir le background se bousculent, certaines ne sont pas crédibles car mal ou pas expliquées, la construction ambitieuse s'effondre alors sur elle-même. Ne restent que des personnages qui interagissent mal, dans un cadre présenté à minima, peu défini et en conséquence peu crédible. C'est dommage, l'horizon d'attente était large et séduisant. La promesse d'un bon planet-opera tombe à l'eau. Dans ce genre de récit la crédibilité (moteur essentiel de la qualité) ne prend racine qu'au prix de la lente et patiente construction d'un background solide et précis. 184 pages étaient un carcan trop étroit, comprimant les bonnes intentions. Ce livre, plus dilué dans l'évolution de l'intrigue et plus patient dans ses révélations, aurait du paraître dans une autre collection, au sein d'un cycle ou d'un volume plus épais.  

11 commentaires:

  1. Clap, Clap, Clap
    Un grand merci pour ce récit historique. Je découvre une époque, une ambiance.
    C'est bizarre, mais en lisant ce que tu racontes sur cette époque, je ne peux m'empêcher de ressentir un genre de nostalgie.. ça peut paraître bizarre de la part de quelqu'un qui n'a pas connu cette période. J'aurais pû ceci-dit, puisqu'elle s'est étendue jusqu'en 1997, mais j'étais sur une autre planète à ce moment là :-D
    Il me semble qu'il y avait alors une sorte de boulimie de lecture.. j'ai bien aimé l'image du lecteur qui abandonne son bouquin sur le siège d'un train..
    De nos jours il est plutôt rare de voir les gens plongés dans les pages d'un livre. Le smartphone a pris le dessus, phagocyté les esprits, mobilisé les attentions, lobotomisé les cerveaux et annihilé toute volonté de débrancher la perf' numérique.

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  2. Durant les années 50, le FNA eut quand même la partie belle avec son lectorat. Pas de télévision (ou vraiment très peu), la radio qui quelquefois passait des pièces radiophoniques teintées de SF ou de Fantastique, le cinéma de quartier, seul le livre omniprésent contentait les imaginations fertiles. Le lectorat était par obligation peu regardant et le FNA s'est glissé dans ce créneau. Il n'a fait ensuite que courir sur son aire.
    "Rivière Blanche" est une collection qui de nos jours essaie de prolonger cette magie d'une SF populaire en reprenant les codes du FNA, en embauchant des anciens auteurs du FNA encore en vie et en faisant paraître des romans qui ravissent les nostalgiques.
    Chez les bouquinistes d'une certaine envergure on trouve encore des rayonnages pleins ce ces FNA (à l'exception de ceux de la première mouture qui cotent désormais très cher: 250 euros sur ebay pour le n°1 de la série), ils ne se vendent pas ou plus: on peut les avoir pour 1 euro.
    C'était une autre époque..!

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  3. et à l'époque, ça coûtait combien?

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  4. Je ne peux pas vraiment te répondre. La collection courre de 1951 à 1997: soit des anciens francs aux nouveaux francs. Quand j'ai eu l'age de m'y intéresser je n'avais d'autre choix financiers que l'occasion, et encore était-ce via l'échange. En fait je récupérais gracieusement tout ce que les voisins, copains et famille destinaient à être jeté. Je gardais ce qui m'intéressais, j'échangeais le reste. Le ratio d'échange était largement en faveur du bouquiniste de marché, je ne payais presque rien.
    Les seuls FNA que j'ai acheté neufs, autant qu'il m'en souvienne, furent ceux de la dernière période (j'y faisais moisson des auteurs "nouvelle génération". et les 62 tomes de la Cie des Glaces de G.J. Arnaud.
    Concernant les premiers FNA et considérant que ce fut d'emblée une collection populaire, ils ne devaient pas se vendre à des prix prohibitifs. La qualité papier de ceux qui ont survécus aux années écoulées va dans ce sens: ils ne tiennent le coup que si on les protège.

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    1. les 62 tomes de la compagnie des glaces tu les as achetés neufs?

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    2. Oui, patiemment, en presse-tabac, un à un, tous les deux mois pendant x années. Il me semble me souvenir que le prix à l'unité était de 28 francs (mais je peux me tromper). J'aimais bien ce côté feuilleton XIXème siècle à la Eugène Sue. Il y avait des erreurs d'un tome à l'autre, mais quelle importance ? Je sais que les bouquinistes ont encore des clients qui les cherchent pour collectionner (ils deviennent rares).
      L'histoire d'Arnaud, l'auteur, est étonnante. C'est un auteur FNA maison. Essentiellement Espionnage et Special-Police. Il avait écrit trois FNA (juste pour essayer) en cycle qui avaient été remarqués. Il n'était pas SF pour un sou, pas son truc du tout. Le directeur d'édition l'obligea à la Cie et renâclant il commença: on connait la suite, c'est la plus longue série SF française et peut-être le premier prix SF que reçut la collection (je peux me tromper).

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    3. A noter que seuls les 36 premiers tomes de la Cie sont inclus dans le FNA. A partir du 37ème le Fleuve inaugura une collection spéciale.

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    4. Je viens de vérifier: c'est le Prix Apollo 1988..!

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    5. je dois t'avouer que je ne m'y connais pas du tout en prix littéraires..

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    6. Le prix Apollo décerna en France de 1972 à 1990 le meilleur titre SF paru au cours de l'année précédente. Quand on regarde le palmarès, 2 titres sur 19 seulement semblent s'être résorbés à un minimum de reconnaissance ultérieure.

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  5. Merci pour ce rappel de l'histoire d'une collection mythique !

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