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vendredi 27 septembre 2019

Satan était un ange - Karine Giebel





Réédition en poche 2015 (Presses Pocket n°16312) d'une première parution Fleuve Noir en 2014

Adapté au cinéma "Satan était un ange" aurait pu être le support d'un road-movie de bonne facture. Il n'est pas que pur thriller versant polar noir, action, violence et suspense à satiété mêlés, mais convie le lecteur, cerise sur le gâteau, à une étude psychologique sérieuse des protagonistes à l’œuvre. Dans ce genre de récits, les kilomètres avalés débouchent traditionnellement, à l'épilogue d'une errance chaotique et violente, dans un bain de sang. Dans "Satan était un ange" ils vont plus loin et sont prétextes à une mise en abîme des héros, de leurs passés et de leurs hypothétiques futurs; toute la problématique étant de savoir s'ils en auront seulement un.

Le background.
Le réseau autoroutier français, souvent de nuit, en automne comme aux crépuscules de vies finissantes. Quelques routes nationales et départementales d'un axe nord sud allant de Lille à Saint Martin de Vésubie en passant par Lyon, Fréjus et Marseille. Des villas provisoirement inoccupées, isolées et forcées. Des planques incertaines et insalubres. Des hôtels d'une nuit, miteux ou de grand renom quand l'argent ne compte plus face à la mort brutale qui rôde.

Ici, pour François et Paul, les deux héros, le même ruban asphalté devient un fil d'équilibre instable, incertain et dangereux qu'ils empruntent en funambules de la vie perdus au sein d'un maelstrom qui les dépasse et dont ils cherchent désespérément à reprendre les rênes, pour rester tout simplement en vie, malgré tout. Deux lignes de fuite parallèles vont converger sur une trajectoire unique, dans l'habitacle d'une même automobile. Un nœud mouillé, inextricable, va les unir d'une amitié indéfectible et improbable, jusqu'à ce qu'en bout de ligne le destin les attende.

Socialement, François et Paul n'étaient pas prédestinés à faire un bout de chemin ensemble, tout les opposait.
Le premier, avocat de renom bien ancré dans une vie aisée et privilégiée, menait dans la soie et le travail une carrière dorée; le pouvoir et l'argent en étaient les ressorts principaux dans l'oubli presque total de l'axe familial. Tout pour lui bascule quand un scanner lui débusque une tumeur cérébrale inopérable, fatale à très court terme. Il n'est désormais plus maître de son destin, choisit la fuite devant ses responsabilités de mari jusqu'alors aimant et fidèle, élit en finalité la mort en solitaire confiée aux hasards de la route. La loterie de la maladie l'a ciblé; celle des aléas de l'asphalte fera le reste.
Du second, Paul, je ne dirai rien, si ce n'est que son profil est tout autre: trouble et marginal, dangereux, violent, asocial, opaque ... il est l'objet d'une traque maffieuse implacable qui ne saurait trouver un terme autre que dans le sang. C'est le noyau d'incertitude du roman, c'est le conducteur de la danse de mort qui unit les deux êtres, celui par qui tout peut arriver, le meilleur comme le pire. Alors que l'avocat suit les rails prédestinés vers une mort certaine, Paul déraille sans cesse et l'entraîne vers un destin autre, presque comme une promesse de survie.

Le roman véhicule une action sans cesse renouvelée, une foultitude de ressorts dramatiques qui se déclenchent et claquent à chaque instant, des rebondissements qui s'entrechoquent l'un l'autre, du suspense à brûler une allumette mouillée. On ne s'ennuie pas, l'auteure n'est pas avare de coups de théâtre brutaux, de cadavres qui ne doivent rien à une espérance de vie normale. L'épilogue est un pétard mouillé, mais quel importance quand le propos est ailleurs et tend vers la rédemption de deux êtres, la sublimation de deux vies vers la lumière, loin des ténèbres qui ont précédées leur rencontre.

Le style d'écriture de Karine Giebel est sec, diablement efficace, peuplé dans le vif de l'action de phrases brèves à l'orthodoxie incertaine; dans ses phases d'apaisement de propos plus sagement agencés taillant dans des psychologies peu à peu très bien rendues.

"Satan était un ange" est mon premier pas plaisant en compagnie de Karine Giebel. J'y reviendrai volontiers, d'autant que les chroniques sur le net rencontrées laissent entendre que le roman n'est pas son meilleur.

Ps: il est intéressant de noter que la trajectoire choisie par François  ressemble beaucoup à celle élue par le héros de "Le petit bleu de côte ouest"* de Manchette. Les deux choisissent la fuite devant le réel, mais pour des raisons différentes. Autant on peut être perplexe face à celles qui animent le héros de Manchette, qui tiennent à la volonté de redonner du peps à une vie tristounette; autant celles de François tiennent du drame pur et posent vraiment question: "Et nous, que ferions nous ?"

En souvenir de la brillante adaptation que fit Tardi du roman de Manchette, je me dis que le dessinateur aurait pu trouver chemin d'élection avec "Satan était un ange" tant les intentions y sont presque voisines. J'entrevois certaines scènes du roman de Giebel sous la plume et les encres de Tardi: du noir et blanc, une auto qui file dans la nuit sur l'asphalte mouillé, des regards anxieux dans le rétroviseur, les architectures à la nuit tombée fidèlement reproduites de Lyon et de Marseille, la sérénité sauvage des Gorges de la Vésubie, les révolvers qui aboient des onomatopées et le sang en taches écarlates sur les fronts et les habits.



15 commentaires:

  1. Je n'ai lu qu'un thriller de Giebel moi aussi ( Toutes blessent, la dernière tue) et ce que tu en dis colle avec ce que j'en ai pensé de mon côté... j'aime bien son style, du coup même si la plupart de ses romans sont des pavés, ça passe comme du p'tit lait :-D

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    1. Oui, non seulement c'est du page-turner de part le(s) thème(s) abordé(s) mais aussi grâce à la manière tant les phrases ne s'embarrassent pas du superflu. C'est du direct pour une compréhension immédiate.

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  2. C'est le genre de bouquin à lire après un Zola mdrrrrr histoire de se reposer la cervelle :-D

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    1. :-) Je l'ai pris dans cet esprit là, comme un intermède entre deux ouvrages plus conséquents, une attente de réception d'un autre livre, un frisson de thriller pour passer le temps, mais force est de constater qu'il a quelque chose de plus que çà: une matière à réflexion sur un sujet précis: comment attendre la mort quand elle vient de frapper à la porte.

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  3. A y réfléchir je suis assez réticent au thriller en général, de part son côté un peu irréel, de part cet hécatombe de faits souvent violents qui caractérise ce que j'ai lu jusqu'à présent du genre; mais "Satan est un ange" est passé comme lettre à la poste. Je suis content de ce j'ai lu.

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  4. tu en as d'autres, des romans de Giebel ?

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    1. Non. Aucun. Son nom m'était même totalement inconnu si ce n'était qu'un jour, il y a peu, tu en a fais la chronique d'un et elle m'a paru favorable. Et à cette occasion je me suis dis: "Tiens, A suivre". Et puis un jour, une boite à livres...

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    2. il me reste " Meurtres pour rédemption".. faudra que je me décide un de ces quatre!

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    3. Ce que j'ai pu lire des critiques de ci de là, "Satan était un ange" valorise le reste de la production en le citant comme le moins bon. Me concernant il arrache la moyenne sans problème

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    4. bon, si tu en trouves un autre dans une boite à livres, fonce!

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    5. Attends, maintenant que la boite à livres a fait son travail de me montrer que l'auteure me plaisait, je vais passer à l'étape de l'occasion en bouquinerie ou au poche en librairie. Cà sert un peu à çà cette belle idée communale, à nous amener vers des auteurs dont on aurait pas fait forcément la connaissance sans çà. Et puis j'aime bien le hasard, quelque part c'est le chef, il amène qqfois de bonnes surprises.

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  5. Tentant ce que tu dis de ce roman. Avec ce que tu dis sur le style, j'ajoute qu'il me semble déceler chez Giebel un sens aigüe de la dramaturgie. Certes elle use d'un romantisme passionnel pour ces histoires ce qui peut paraître exagéré mais ça fonctionne.

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    1. Pour faire monter la sauce du thriller elle use de ficelles narratives à elle propres me semble t'il; mais que je ne suis pas encore vraiment parvenu à discerner. Il me faudra aller plus avant, en compagnie d'une autre intrigue, pour mieux les comprendre. Il y a qqchose dans les dialogues abondants qui pousse vers la finalité du thriller: le suspense.

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    2. C'est vrai, il y a beaucoup de dialogues dans ses romans. Ça participe de ce côté "page turner".

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    3. Et comment..! Et ils ne sont pas trop bouche-trous car véhiculant beaucoup d'informations.
      Ps: ce n'est plus un page-turner mais un ventilateur: les feuilles tournées en sont les pales.

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