La présente chronique a pour but, via l'évocation d'un
groupe, "The Inmates" et celle
du premier de ses albums, "First
Offense" (1979), de ressusciter un pan oublié de l'Histoire du rock,
celui du Pub-rock.
De nos jours, les oreilles des nouvelles générations sont
centrées sur d'autres sons que ceux, en vogue, en 1979. Cette époque d'il y a
40 ans, en matière musicale rock, est désormais de l'histoire ancienne. 1979 devient un autre monde qui semble même n'avoir jamais existé, perdu,
oublié, effacé, disloqué, mûr pour l'ethnologie musicale savante et didactique.
Tant d'eau a coulé sous tant de ponts que maints albums de l'époque, tous
genres rock confondus, ont disparus de la mémoire collective. Seuls surnagent
les disques-phares d'un rock consumériste axé sur des profils vendeurs: Pink Floyd, Stones, Led Zeppelin ...
etc.
"First Offense"
est de ces bêtes rares oubliées, et ce d'autant plus que les influences qui ont
conduit à son enregistrement en 1979 puisent 20 ans plus tôt dans la presque préhistoire
du rock. On est ici, en compagnie des "Inmates", en pays de revival rock des années 50's, début des
60's, présenté et assumé par des dinosaures déterminés, revendiquant une
passion: celle du vrai rock, celui d'antan, celui des premiers pas, des
origines.
1979 est l'année charnière d'un rock rongé jusqu'à l'os par
un showbiz à la bouche en tiroir-caisse, d'un marketing à l'oeuvre du
consumérisme, c'est la curée à l'assaut des royalties. Il est miné par la
démesure de groupe-phares mégalomaniaques à l'épreuve financière de stades
remplis jusqu'à la gueule. Le rock est devenu le point focus de forces
commerciales de plus en plus éloignées en esprit des racines qui ont construits
peu à peu un maelstrom fécond de genres et de sous-genres.
Pour nombre de groupes amateurs à l'ombre des grosses
machines qui vendent c'est "marche
ou crève": s'inscrire dans le moule (...et échouer le plus souvent) ou
dans la différence marquée. De l'impossibilité (ou presque) de se faire signer
par une major naîtra, en aval, la spontanéité énergique du punk, en amont la
sauvegarde, le copié-collé assumé du pub-rock. Le premier se veut créatif et
novateur, le second à l'écoute et à la sauvegarde de ce qui fut. Opposition de
styles entre qui accélère son destin et qui freine des quatre fers.
Passéistes, has been, les musicos issus du pub-rock..? Pas
sûr. Les groupes tournent toujours, énergiques et décidés à la bonne parole
d'un rock'n'roll enthousiaste et salvateur. Leur public est fidèle et brasse
les générations. On les respecte dans leur rôle de passeurs.
On ne déterre pas avec Inmates
et "First Offense" les
antiques 78 tours et les gramophones à pavillon des vieux bluesmen des années
20, loin s'en faut, mais on fait remonter les mythiques Teppaz et les 45
tours associés des 50's, ceux des premières surboums prétextes à maints paradis.
Vous souvenez-vous d'une scène mythique du film "Retour vers le futur" dans laquelle
Michael J. Fox, voyageur temporel
venu de 1985, est propulsé en 1955. On le retrouve, après maintes péripéties,
sur une scène de ballroom US gentiment et archaïquement rock, typique de ces
années-là. Robes corolle couleur chamallow et jupons bouffants; nuques bien
dégagées derrière les oreilles de garçons bien propres sur eux. Notre héros est
armé d'une guitare électrique (Chuck Berry, une décennie plus tard, en
utilisera une semblable), face à un public old school très discipliné, devant
quelques musiciens pailletés, gominés et apprêtés grand style. En guest d'un
soir il propose, dix ans trop tôt, à un public US médusé les gimmicks posturaux
et musicaux outrés du rock du début et milieu des 60's, voir ceux des 70's..? On
est en terre d'anachronismes inattendus et jubilatoires...
"Je vois que vous n'êtes pas encore prêts pour ce genre
de choses...par contre vos gosses vont adorer ça..."
Le principe de l'album des Inmates est similaire à ce que montre le film; mais en est l'exact
inverse. Le groupe nous propose un voyage dans le temps à rebrousse poil: Le
but, sur le fil d'une dizaine de chansons, est de revisiter l'esprit des 50's,
de le réactualiser avec les moyens techniques et la puissance de la fin des
70's. Le mécanisme n'est pas nouveau et a fait (et fait toujours) les riches
heures de groupes plus célèbres: Dr
Feelgood et Nine Below Zero pour
n'en citer que deux. Pour une image plus précise de l'effet recherché: se référer
aux standards covérisés par les Stones sur leurs premiers albums. En
conséquence les morceaux sont courts, filent à l'essentiel, direct uppercut. Le
résultat, sur le fil du rasoir de rythmiques basiques mais rentre-dedans,
agrémentées de soli brefs, sporadiques et overclockés, est diablement efficace.
Les low tempos rares et simplement récréatifs et reposants (façon slows repos
du guerrier) contrastent au profit d'une énergie pure et simple, l'audience est comblée et
en redemande.
Les costumes de scène sont raccord avec l'époque visée:
costards sombres étriqués; cravate ficelle sur fin col blanc; pompes effilées
en accents aigus, cirées de brillantine luisante. Les faciès privés de sourires,
en poses hautaines de mannequins distants et énigmatiques semblent aussi ceux
de loubards en bout de nuit blanche. Les cheveux sont mi-longs, effraient le
militaire, ecclésiastique et la femme au foyer. "Tremblez parents, votre futur gendre est
peut-être l'un d'eux". On nous donne à voir la gueule rebelle
des Stones, pas le minois naïf et engageant des gentils Beatles. On est presque
déjà en pays des Blues Brothers à
venir, lunettes noires et dégaines chaloupées. The inmates nous renvoient l'image des voyous de l'époque, ceux en Flandria secouant le
pavé luisant des rues nocturnes de capitales endormies. Ce n'est pas le Paris de
Dutronc, le yéyé, le rockabilly, mais quelque chose dans l'entre-deux, que le fétard
croisait dans les pubs londoniens entre crépuscule et aube.
Flandia 1966. Le guidon court au ras du phare rendait la conduite très sportive voire casse-gueule
La pochette de "First
offense" est hommage aux premiers albums des Stones, mais quelque part en des domaines voisins de quelques uns
des Stooges et des Doors qui à la fin des 60's emprunteront un
sillon presque similaire. L'Histoire du rock n'est qu'un éternel
recommencement.
On s'attend presque en iconographie de pochette à du noir et
blanc, en écho aux productions cinématographiques de l'époque. On recherche la
mention "mono" au dos. En 1975, Dr
Feelgood, chantre incontesté du pub-rock,
sort au culot son premier album en mono pour correspondre au son minimaliste
des années 50s.
Pour conclure, "The
Inmates" offrent un voyage dans le temps; embarquez dans la machine,
réglez les curseurs quelque part au coeur des 50 ou des 60; vous y trouverez un
monde qui savait ce que rock et énergie signifiaient.
The Inmates - First Offence (You Got Me)
Dr Feelgood - Going Back Home
Nine Below Zero - Homework
The Inmates - First Offence (You Got Me)
Dr Feelgood - Going Back Home
Nine Below Zero - Homework
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