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mardi 28 janvier 2020

Cache ta joie – Jean-Patrick Manchette



Rivages/noir 1999

Quelques fonds de tiroir assemblés post-mortem en 1999 par Doug Headline (le fils de Manchette)

1.    1. Cache ta joie :
Hiver 78-79, Jean-Patrick Manchette a besoin d’argent pour faire bouillir la popote familiale. Il accepte une commande de la Comédie de Saint-Etienne : une pièce de théâtre musicale avec le groupe rock régional Factory (qui chante, Ô miracle, en français). Le combo doit intervenir en direct live le temps de quelques chansons persos ou en brèves ponctuations sonores. Reste à trouver une histoire, des mots sur papier, des répliques, des idées de décors … etc.

Le commanditaire espérait sans doute des tranches de vies franchement rock, hyper-réalistes et violentes, taillées dans la chair du neo-polar français dont Manchette se montrait peu à peu tête de file.

L’auteur ne connait presque rien à l’art dramatique, encore moins au rock lui-même, n’a jamais côtoyé la loubard-zone industrielle prolétarienne où s’enracine le rock d’alors ; par exemple celle de Givors (à mi-distance de Saint-E et de Lyon, à 30 kms de l’une et de l’autre) qui vit poindre quelques groupes à ambitions nationales (Factory, Ganafoul, Starshooter …). Le public local est potentiellement client car en prise sociale avec « ses petits musicos qui apportaient du sang nouveau au rock Made in France», l’entreprise peut être rentable.

Manchette accepte le défi.

L’expérience débouchera sur un OTNI (Objet Théâtral Non Identifié). La première représentation eut lieu au Théâtre des Mutilés le 8 novembre 1979 (j’y étais ... ou dans les jours qui suivirent).
L’auteur contourne le réalisme imposé qu’il ne peut rendre, s’attache à un rendu abstrait pointant du doigt les difficultés à vivre d’un genre artistique mineur et encore à l’époque marginal. Manchette élargit son propos à sa perception du monde d’alors, à ses idées (radicales) de gauche, nous offrant dans l’abstraction et le symbolisme une façon de voir particulière. Subsistent des personnages archétypaux : le rocker-banane, le producteur véreux, le syndicaliste vindicatif, la mécène nymphomane, le prolétarien opportuniste, la groupie hystérique, Monsieur-Tout-Le-Monde en mouton sociétal … et même un serial killer anticlérical ( ?).

 
Parallèlement Factory sort un 33 tours au titre éponyme, qui eut un certain succès mais ne fut, à ma connaissance, jamais réédité en CD. Je l’ai en rayonnage, je ne le fais que peu tourner de peur de l’abimer. Quelqueschansons sont accessibles sur You Tube.

Au-delà d’un spectacle vivant vécu en direct (Yep.. !), ne restent, 40 ans plus tard, que le sillon vinylique d’une galette noire poussiéreuse où courre la pointe du saphir, quelques courts articles de presse et photographies d’époque disponibles sur le Net … et ce texte de théâtre qu’il faut considérer en l’absence du visuel des acteurs à l’œuvre (je n’ai pas trouvé de vidéos sur la Toile), des intonations de voix et des chansons en direct live. Que m’a-t-il apporté en le lisant depuis quelques jours ?

J’appréhendais ce retour vers un fragment de mon passé, vers un instant heureux, vers une parenthèse temporelle où l’insouciance régnait encore, vers ce petit détail de l’Histoire du rock qui expérimenta la spontanéité énergique du genre accouplée à la rigueur mécanique du monde du théâtre.

Le pari de la nostalgie est souvent risqué, elle se fracasse sur le reflet d’une époque qu’elle embellit, sur un passé peu à peu déformé et reconstruit à convenance, sur une réalité d’hier que les souvenirs maquillent. Ne reste que ce qui arrange. J’y étais, dis-je, alors que je dois me taire quand les répliques de scène, maintenant sous mes yeux, noir sur blanc, vraies par sauvegarde, n’éveillent que peu d’échos dans mes souvenirs. Ma mémoire n’est que visuelle : je retrouve par exemple trait pour trait le personnage d’Oscar sur certaines photos d’époque, rock n’roller typique des 60’s, à banane, jeans retroussés sur les chevilles, et blouson clouté … Je me souviens de la musique, des airs qui tournaient. Les mots se sont envolés, j’ai oublié l’histoire qui me fut contée. Curieuse sensation. Curieuse déconvenue…

Confusément, j’ai toujours eu de la difficulté avec le théâtre écrit, non joué, art vivant quand livré sur les planches, ressenti comme hibernant quand livré sur papier. Suis-je le seul à penser ainsi ? Surement pas.

« Cache ta joie » ne colle plus à mon passé, je suis devenu tout simplement un autre homme qui a peut-être triché avec certains de ses souvenirs.

2.       2. Nouvelles et textes divers :
3.        
Au nombre de 7, ils sont inédits ou ici réédités.
Je ferai l’impasse sur certains car jugés, à mon humble avis, dispensables quand d’autres sont de vraies perles ou méritent commentaires.

Naturreich (1985) : 14 pages très punchys pour décrire la vision SF d’un Paris post apo mâtiné « Je suis une légende » et « Le monde enfin » d’Andrevon. Le point de départ : l’écologie usant de l’informatique pour rendre les villes à la nature et l’homme au néant. Je ne suis guère étonné du nihilisme « manchettien » s’essayant à la science-fiction.

Le discours de la méthode (1985) : 16 pages bien dans la manière béhavioriste de Manchette. Tout dans les actes, rien dans l’explication psychologique. Que le lecteur se débrouille. Un voyage violent dans l’Europe politique marginale des 70’s. Sortez les flingues. Scotchant. Cà secoue et c’est bien écrit. L’apogée du recueil.

Conquistador : Synopsis cinématographique pour un film de P. Labro. Typique des lieux de prédilection de l’auteur : la ville grise, la banlieue, les usines désaffectées, la rouille et de ses thèmes récurrents : le tueur à gages, le loubard traqué, la fille paumée. Très typé polar noir made in France des années 70’s. On entrevoit potentiellement l’archétypal Delon dans la peau du héros solitaire, déterminé et peu bavard.

Mélanie White (1979) : nouvelle pour la jeunesse, Sf de fond et de forme. Anecdotique si ce n’est que le background colle aux qualités descriptives de l’auteur.

Et pour finir : un petit mot de remerciement amical et chaleureux à celui qui m’a permis de vivre cette expérience inattendue et qui, en magicien postal, s’est fait agent "translateur" de bouquins de son bureau de Poste vers ma boite aux lettres. Merci Jim..! (Quelqu'une à gardé les timbres, mdr)

A noter que le présent article fait naturellement suite à un autre mis en ligne il y a trois mois sur les //s.


 Image "Le Progrès"
 Image "Le Progrès"


 Image "Le Progrès"


Ps: et un petit coucou à Yves Matrat (chanteur de Factory) qui, semble-t'il, tourne toujours. Et à tous ceux du combo légendaire. Factory fut un p***** de bon groupe. Long live rock n' roll..!

Et je m'en vais en chantant à tue-tête:

 ♫♫♫♫

Cache
Cache
Cache 
Cache
Cache
Cache
Cache
Cache ta joie 
Je peux pas dire
Que ce soit si facile...." 

♫♫♫♫

26 commentaires:

  1. Quand j'ai vu la pièce, il y a 40 ans, c'était pour entendre Factory sur scène. Je ne savais pas alors Manchette auteur du texte et, au mieux, l'apprendre ne m'aurait rien apporté. Presqu'un demi-siècle plus tard je reviens vers Manchette en oubli relatif de Factory.

    La nostalgie n'est plus ce qu'elle était.

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  2. Je comprends que tu sois un peu déçu, que tu ne retrouves pas en tout cas l'émotion de la pièce jouée..
    Je pense vraiment que le théâtre est fait pour être regardé. L'écrit c'est juste pour en garder une trace ^_^

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    1. Oui, une pièce de théâtre est faite pour être incarnée par des comédiens.

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    2. Ce n'est pas tant de la déception que du désappointement de n'avoir gardé aucun souvenir de l'intrigue proposée. Je n'attendais à tout sauf à çà. Mais bon, je suis content d'avoir tenté l'expérience. Tout n'est qu'enrichissement.

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    3. t'es marrant toi aussi! tu as regardé la pièce il y a 40 ans !
      moi je ne me souviens même plus des intrigues des films ou livres qui datent de quelques semaines mdrrrr

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    4. MDR..! C'est un privilège (ou un malédiction) de l'age avancé que de ne se souvenir, peu à peu et uniquement, que de faits de plus en plus rapprochés de la naissance. Bongu: que cette phrase est lourde.

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    5. Pareil que vous pour le théâtre. Mais qui donc à lancer cette mode d'éditer des pièces à destination du public?

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    6. Dans le genre policier/polar, et encore était-ce un scénario ciné publié tel que, je me souviens sans véritable écho de l'un des titres suivants (mais lequel ?) signé Sébastien Japrisot et paru en Folio: Adieu l'ami, La Course du lièvre à travers les champs, le passager de la pluie.
      Dans le genre SF: "Théâtre pour demain et après" de Bradbury (pas lu)

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    7. De Bradbury, le recueil La colonne de feu comporte aussi des textes de théâtre.
      Je l'ai lu mais ne me souviens plus de quoi parlait celle qui donne le titre au bouquin.

      _ Cheyenne : « Je pense vraiment que le théâtre est fait pour être regardé. L'écrit c'est juste pour en garder une trace »

      Idem pour le cinéma ?
      Je me souviens avoir été bien déçu en m'essayant à la lecture d'un scénario après visionnage : c'était pour le film des frères Coen, The barber - L'homme qui n'existait pas.
      Le passage où l'avocat fantasque plaide le principe d'incertitude d'Heisenberg pour faire acquitter son client reste plaisant ; mais à part ça ? La lumière, la musique, le jeu des acteurs/actrices..., tous de premier ordre, manquaient cruellement.
      Pour étudier la technique scénaristique, si l'on veut en faire son métier, c'est sûrement intéressant ;
      pour le plaisir de lecture du spectateur, c'est frustrant.

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    8. Jim, je n'ai jamais lu de scénario de film.. mais j'imagine bien que c'est le même topo..
      au final, je préfère préférer les romans :-D

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  3. Pour autant, j'ai très envie de découvrir Manchette tant il me semble que je vais l'aimer mais ce ne sera pas avec cette compil. Elle me semble très hétérogène, de commande en plus.
    C'est bizarre, je suis en train de mettre en place le plan d'un roman Post A dans lequel les villes retournent à l'état de nature… Ce n'est que la toile de fond mais j'ai l'impression que je suis plus proche de Manchette que je ne le crois.

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    1. Citation: "Elle me semble très hétérogène, de commande en plus."
      >>>> Dans le même genre d'objets livresques hétéroclites en "Rivages/Noirs" via Fayot.ed sont parus "Chroniques" et "Chroniques cinéma". Manchette s'était fait une réputation de critique érudit dans le roman noir et le cinéma. Cela ne m'étonnerait pas que Jim ne se soit pas penché (ou envisage de le faire) sur le second versant.

      Citation: "le plan d'un roman Post A dans lequel les villes retournent à l'état de nature"
      >>>> Les temps incertains écologiques que nous vivons semblent catalyser le thème. A l'image de ce que l'atome fit craindre au monde après Hiroshima et Nagasaki. Le post-apo semble aujourd'hui avoir ainsi le vent en poupe. Dans le genre: "Le monde enfin" ,il y a une dizaine d'années, d'Andrevon exponentialise la nature et rend à l'homme un statut insignifiant. Attention, en chro le roman favorise le clivage et la polémique.

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    2. Pour le coup, des trois Rivages/Noirs, ce sont les "Chroniques cinéma" qui ressembleraient le plus à une collecte de fonds de tiroirs. 150 pages de textes peu approfondis : déçu, je fus.

      Les "Chroniques", sur le polar littéraire, sont d'un autre acabit (et pas que pour leur taille : 400 pages).
      N'étant pas expert en la matière, je les ai trouvé très instructives et en ai ressorti plein de suggestions de lectures.

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    3. Je serai curieux de certains noms d'auteurs de polar qu'il ai apprécié ?

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    4. Je n'ai pas le bouquin à portée de main mais, de mémoire, il y avait beaucoup de classiques américains édités en "Série noire" : Dashiell Hammett (Moisson rouge), Chester Himes (La reine des pommes), Jim Thompson (1275 âmes)...

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    5. Merci Jim.
      Le dernier est d'un cynisme total, à couper au couteau, d'un humour noir époustouflant, presque terrifiant.
      Je conseille.
      Et sans nul doute que Nicolas (livrepoche.fr) aussi.
      Les deux autre: Zou >>>>> en PAL.

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  4. _ Avin : «L’auteur ne connait presque rien à l’art dramatique, encore moins au rock lui-même, n’a jamais côtoyé la loubard-zone industrielle prolétarienne où s’enracine le rock d’alors (…) contourne le réalisme imposé qu’il ne peut rendre (…) élargit son propos à sa perception du monde d’alors, à ses idées (radicales) de gauche, nous offrant dans l’abstraction et le symbolisme une façon de voir particulière. Subsistent des personnages archétypaux (…) »

    Tout à fait.
    Symboles et archétypes se succèdent. Le trait est gros mais porté par le talent de Manchette à manier les mots, c’est souvent savoureux.
    J’ai beaucoup ri au début (souvenir de beaux passages satiriques), moins à mi-lecture car je trouvai que ça tournait un peu trop à la mécanique.

    Et puis le rire vire vite au jaune : il y a toujours ce fond de noirceur : récupération de l’art par l’économie, dévoiement des idéaux, violence de l’individu comme du système…

    Parmi les personnages, j'ai bien aimé celui du commissaire, au parcours bien singulier.

    _ Avin : « Ma mémoire n’est que visuelle : je retrouve par exemple trait pour trait le personnage d’Oscar sur certaines photos d’époque, rock n’roller typique des 60’s, à banane, jeans retroussés sur les chevilles, et blouson clouté … Je me souviens de la musique, des airs qui tournaient. Les mots se sont envolés, j’ai oublié l’histoire qui me fut contée(…) »

    Les images, la musique…
    L’ambiance. Les émotions.
    Tu l’as bien vécu ce spectacle vivant, que ta bougre de mémoire a enregistré/modifié à sa guise !

    Bien choisi, cet acteur qui joue Oscar : il a vraiment le physique de l’emploi.
    Désormais, c’est avec ce visage que je me souviendrai du personnage.

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    1. @Jim, citation: "cet acteur qui joue Oscar"
      >>>> https://www.lesarchivesduspectacle.net/?IDX_Spectacle=8754
      Trois noms possibles. A noter que sa trogne repérable s'est à coup sûr montrée ailleurs. Il avait sur scène une présence physique et une voix tonitruante, qui portait presque au-dessus du chahut mené par Factory. En 79, sa tenue scénique appartenait déjà au passé, mais l'acteur était dans son rôle. Il avait un côté Coluche dans Tchao Pantin mais le côté cocker triste en moins.

      NB: présence de François Berléand au générique

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    2. Et donc il s'appelait Jean-Pierre Laurent :
      http://www.zoomdici.fr/actualite/Deces-de-Jean-Pierre-Laurent-id126973.html

      " (...) rocker loubard dans Cache ta joie, gardien écorché vif dans Mickey la Torche de Natacha de Poncharra (...), maîtresse femme paysanne dans La Gonfle de Roger Martin du Gard (...), bouleversant paysan dans Le bout de la route de Jean Giono (...)"

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    3. Merci Jim..!
      Une trogne, une puissance, un physique à monter sur les planches, à se frotter au public. Sans nul doute.
      http://4.bp.blogspot.com/-DY-5S6hwjL4/UPFBzXlZZrI/AAAAAAAAFls/QxcvN4o5EoU/s1600/IMG_4142.JPG

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  5. Polar et théâtre.
    J'ai trouvé çà sur un site qui semble faire référence en matière policière:
    https://www.bepolar.fr/Le-polar-au-theatre
    A noter que "Fatale" est le titre d'un roman de Manchette et que l'atmosphère semble tournée vers le polar US des années 30. Ah la vamp fatale en noir et blanc, au fume-cigarette, à la moue dédaigneuse et au regard lointain (à 16s du début) Sans oublier le jazz de rigueur en fond sonore.

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    1. SF et Théâtre.
      R.U.R. De Karel Kapek, mythique, jamais lu, jamais vu, systématiquement présent dans les ouvrages de vulgarisation du genre, préhistorique et apparemment responsable de l'émergence en roman Sf et dans la vie de tous les jours d'un substantif qui prend toutes les formes pour tous les usages ....
      https://mediartinnovation.files.wordpress.com/2014/06/1921_capek_rur_scene_c.jpg

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  6. en fait, y a qd même des pièces de théâtre que j'ai bien aimées, ce sont celles de Molière.. mais je ne les ai pas vues jouées encore..donc je ne peux pas faire de comparaison!

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    1. Ah, les années "lycée", on râlait face aux textes en cours (Molière n'était pas le pire); et on rêvait face aux acteurs dans les MJC, d'être à leur place, d'enfiler un costume et la peau d'un autre.

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  7. Au théâtre, des acteurs se préparent, stressent, mettent leur vie en jeu sur les planches; c'est un art de l'instant, qui ne pardonne pas l'erreur (ou peu, même si certains en jouent). Ils doivent tous les soirs faire décoller un texte du papier.
    Au cinéma, tout est déjà joué, seul le projectionniste désormais fait ses gammes.
    Et pourtant:
    J'avais adoré "Cinema Paradiso" avec Philippe Noiret, humble projectionniste, qui montre un pan d'Histoire du 7ème art et la passion émouvante et tragique d'un homme pour les images en mouvement. La fin est redoutable: sortez vos mouchoirs.

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  8. Bravo! Je ne connaissais pas ces textes que je vais me procurer d'urgence.

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