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jeudi 24 septembre 2020

Fatale – Jean-Patrick Manchette (1977)

 


Réédition Folio Ed. n° 44 (2019)


Réédition Gallimard, collection omnibus Quarto (2005)

 

Assez curieusement, ayant terminé il y a peu la lecture (enthousiaste) de « Mortelle randonnée » de Marc Behm, je suis tombé en compagnie de « Fatale » de Jean-Patrick Manchette sur une thématique vraiment très voisine, celle des tueuses en série. L’intention cachée révélatrice des choix de mise en PAL du lecteur n’est pour rien dans l’affaire, je ne savais rien de « Fatale » (même si le titre aurait du me mettre la puce à l’oreille), si ce n’est la présence de ce dernier dans la bibliographie de l’auteur ; je n’ai pas pris connaissance de la 4 de couv (et pour cause : la réédition lue en Omnibus Quarto de chez Gallimard sous le titre générique de « Romans Noirs » n’en présentant pas). Le phénomène se trouble encore du fait de l’achat récent (hier) de «Les Seins de glace » de Richard Matheson dont le dos ne fait pas mystère d’une dynamique, là encore, semblable à celles des deux titres déjà cités. Par contre, ici, je n’ignorais rien du sujet, via le long-métrage de G.Lautner en 1974 avec Delon et Mireille Darc. Curieuse propension ponctuelle qui tend en rafale courte un lecteur vers certains sujets, ici le thème de la tueuse en série. Ce triptyque recense des titres qui ne sont pas récents (les 50’s pour Matheson, 70’s pour le présent roman, 80’s pour Behm) et ignore les parutions récentes (le sujet est commercialement porteur) qui doivent abonder. Mais, par-dessus tout, il y a cette passion pour Manchette qui m’a poussé, n’en ayant pas lu depuis quelques temps, vers ce « Fatale » au titre prometteur.  

Nous avons ici affaire à Aimée XXXX (peu importe le patronyme, elle en a tant d’autres sous la main, tous plus faux les uns que les autres), belle et attirante jeune femme (comme il se doit), qui a fait et va faire plein de misères à plein de gens pour plein de raisons. Reste à savoir pourquoi ? Si je vous convaincs de lire le roman il vous faudra en attendre l’épilogue, bien que certains pressentiments présagent très tôt de la solution.

Aimée emménage dans une importante bourgade de la côte Normandie (où personne ne la connait), une zone portuaire et industrielle qui agglutinent population bourgeoise et prolétaire un statu quo fragile. Elle est à pied d’œuvre ; avant c’était ailleurs, dans d’autres cités semblables … mais toujours pour les mêmes raisons.

Un thème classique du roman policier est ici à l’œuvre. Celui de l’inconnu, sorti de nulle part, que personne ne connait, qui débarque en ville sans motivation apparente et qui, peu à peu, embarrasse puis inquiète par les questions sans réponses qui jalonnent son sillage, par les actions troubles qu’il mène, qui crée l’inquiétude, la suspicion et bientôt le drame dans une bourgeoisie bien installée qui a bien des choses à se reprocher. Mais Aimée, dans le rôle de catalyseur, si elle ne dit rien de ses intentions comme le modèle l’impose, est bien différente : elle s’insinue en douceur, diplomatie et sensualité dans les beaux quartiers, sans vagues, pratique le bridge en bonne compagnie et l’équitation dans le club le plus huppé; s’insère dans les habitudes, les us de façade et celles souterraines de la politique, de l’argent et du pouvoir ; se fait adopter par sa gentillesse et sa bienveillance, par les potentialités d’entre-aide que l’on devine en elle. Elle observe, patiemment et prudemment, en coin de bois dans un rondin qui peu à peu se fendille et bientôt éclate, une classe sociale recroquevillée sur soi par des accords de circonstances et rongée par de vives mésententes larvées qui n’attendent que l’étincelle.

Aimée frappe … et simplifie le paysage social (Manchette donnera à un final d’apocalypse toute la puissance cinématographique de son style d’écriture sobre, rapide et plein de punch).

Le récit est très typé années 70’s dans les intentions politiques (connues) de Manchette qui ne s’embarrasse pas de détails pour critiquer ce qu’il déteste, on le sent, viscéralement. On y retrouve (mais sans humour) l’atmosphère feutrée, délicieusement trouble et délétère de « Poulet au vinaigre » (1985) et « L’inspecteur Lavardin » (1986) de Claude Chabrol avec Jean Poiret. A l’égal du réalisateur, le dégout d’une certaine classe n’est pas loin, provinciale et feutrée. Manchette sait très bien nous y conduire. Il ne s’embarrasse que de peu de mots, juste des actes à peser.

Le roman est très court, brièveté délibérée, telle que décidée par l’auteur dans l’avant-propos de l’édition Quarto. Manchette s’oblige à l’action vive et rapide pour un effet choc, à des phrases cœur de cible percutantes. Comme d’habitude il ne dissèque rien des portraits d’hommes et de femmes qu’il met au premier plan ou dans l’ombre des seconds rôles. Au lecteur de juger.

 

En 2014, Cabanes proposera du titre une adaptation BD dont la chro, ici, ne saurait tarder

5 commentaires:

  1. Illustration sonore:
    https://www.franceinter.fr/emissions/cent-mille-polars-au-soleil/cent-mille-polars-au-soleil-19-aout-2017

    Excellent trailer sonore ..!

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  2. Depuis le temps que Manchette me trotte dans la tête, il va falloir que je trouve un titre à me mettre sous la dent. Alors pourquoi pas fatale.

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    1. "Fatale" dans la bibliographie de Manchette eut une trajectoire éditoriale atypique, Gallimard refusa le manuscrit pour la Série Noire, le comité de lecture émettant un jugement négatif sur le roman, mais l'accepta paradoxalement dans une collection plus généraliste de la même maison d'éditions. Manchette n'en pris pas réellement ombrage mais nota: "Je suis seul à comprendre ce que je fais" (JPM dans "Romans Noirs" chez Quarto Gallimard, page 797). Et c'est en ce sens que lire l'auteur c'est adhérer ou n'y trouver que peu d’intérêt, il n'y a pas de demi-mesure.

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    2. Je me souviens du parallèle (clin d'oeil) que tu faisais entre mon roman et celui de Manchette. Depuis, avec ce que tu en dis, je crois que je vais apprécier.

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    3. A mon souvenir, ton bouquin est longtemps généraliste masqué, puis délivre une toute autre ambiance quand tous les éléments s'emboitent d'une manière différente, celle que tu as décidé de garder sous la main le plus longtemps possible pour un effet maximum.
      J'aime bien la notion de "parallèles": les bouquins quand ils échappent aux cloisonnements vivent différentes vies à différents niveaux. Celui de Manchette voulu polar a eu une vie première généraliste, le tien est polar dans l'âme même s'il ne le montre pas.

      Au fait où en est-tu du second. J'ai hâte.

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