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lundi 9 novembre 2020

L’Arithmétique Terrible de la misère – Catherine Dufour


 

Le Bélial 2020

Catherine Dufour est une nouvelliste semble t’il rare. Elle préfère, Bifrost n°70 page 22 dixit, le long cours du roman. Sa dernière incursion, en recueil dédié, sur les terres exigeantes de la forme courte datait de 2008 avec « Accroissement Mathématique du Plaisir ». Elle y revient, 12 ans plus tard, avec un second opus sous le titre générique tout aussi alambiqué (et tristement évocateur) de : « L’Arithmétique terrible de la misère ».

17 nouvelles de SF (ou presque) ; une illustration de couverture signée Caza (déjà rien que çà, sa présence ; lui qui a eu une si belle part justifiée dans l’iconographie du roman SF et que l’on ne voit hélas plus autant) ; un bandeau rouge surprenant signé Alain Damasio : « Tel est ce recueil : un contre-poison à l’infobésité. L’avers du divertir : subvertir » ; le même en préface (inattendu pour le moins), une 4 de couverture qui promet : «  … une SF radicale, à l’os, à en faire mal parfois, souvent à en rire … ».

Intriguant donc, et alléchant (j’avais adoré Dufour en prof de maths. Paré pour les leçons d’arithmétique, je suis).

Exercice difficile que celui de la chronique d’un recueil, j’y aurai souhaité le pitch de chaque nouvelle. Là, dix-sept ; la somme ferait longueur. On oublie donc. De plus, y rajouter un ressenti pour chaque ferait embrouillamini au rythme de celles qui ont plu, déplu, laissé mitigé. Heureusement, le recueil propose un biais d’attaque, celui de son homogénéité, qui permet ainsi un ressenti global.

Chaque nouvelle est anticipation très réaliste, à très court terme, d’un monde à venir, le nôtre ; celui qui nous attend, sans coup férir, à quelques encablures à peine, à l’horizon de très peu d’années pour les unes, d’une poignée de décennies pour les autres. On y dissèque nos futurs sans avenirs, nos lendemains qui grincent, le pire à venir dans le plus banal de nos faits et gestes quotidiens. Dufour enfile une ribambelle de cauchemars sociétaux, petits ou grands, sur le fil d’une prose dérangeante, lucide et froide, habillée d’un humour caustique qui fait grincer des dents. Les thèmes à la moulinette, presque au hachoir, déboulent. Tout y passe : l’écologie en faillite (Brunner) ; les phénomènes migratoires (le même, toujours) ; le nucléaire larvé ; la rédemption d’un influenceur mode du Web ; l’art (à la Ballard de Vermillion Sands), la robotique fofolle (en Asimov speedé) ; la politique qui ment, trompe et démissionne tout en gardant le pouvoir …. L’auteure nous met les deux doigts dans la prise, la main dans le mécanisme qui broie, histoire de nous réveiller, de nous dire « Faites gaffe.. ! ». Ce n’est pas gai, je sais ; mais Dufour n’est pas là pour nous offrir des chamallows moelleux mais les dragées poivrées d’un Halloween qui ne sera plus de carnaval mais de triste réalité quotidienne. Elle nous aura prévenue …

Les dix-sept nouvelles en enfilade construisent, l’une quasi indissociable de l’autre, un chapelet de textes décrivant peu à peu un monde hypothétique unique, concret et crédible. Je l’ai vécu, pour ma part, malgré l’humour grinçant sous-jacent, comme un cauchemar offert pour prix de notre laxisme, de notre incapacité à ouvrir les yeux, à affronter une réalité quotidienne qui nous attend comme aux aguets, tapie dans les recoins sombres des quelques années à venir. Le message est passé, Catherine .. !

La nouvelle, à mon sens, est une flèche rapide en cœur de cible, dégraissée de l’accessoire, une idée unique qui file file file et se fiche droite et tendue, frémissante, percutante et vive, au plus près de son objectif. Catherine Dufour parait souvent en trop plein d’idées, d’objectifs, de choses à dire, à dénoncer, à asséner, décidée qu’elle est à nous convaincre et prévenir à tout prix. Chaque nouvelle regorge de thèmes à foison comme brassés dans un maelstrom d’idées jetées à la « grattaille ». Le trop à écrire déborde à jets continus, pousse les murs, se cherche une vie propre au même titre que l’idée principale, celle centrée sur la ligne de mire, celle qui suffirait. La piste de l’idée forte se perd et le lecteur patine un temps à trouver celle maitresse, celle qui fait qu’on en est arrivé là, au point de tension extrême, à la mise en abime qui scotche et dont on se souvient des années durant. Le débord pourrait être matière première aux flèches d’autres nouvelles, voire support à des romans entiers ... Mais, au final, est-ce un défaut d’ainsi en donner trop quand les effets cumulés du tout crédibilisent le propos principal, donne le relief du vrai à ce qui n’est après tout que virtuel et potentiel, offre un maillon central riche de tous ceux qui l’entourent, restitue la variété complexe d’un monde plausible ? Quand la SF proposée ne sonne pas le creux mais renvoie la matité d’un monde bien rempli, que demander de plus ? L’imbrication d’une nouvelle dans l’autre, le fil de chaque histoire s’entremêlant aux autres en effet pelote, apportent un effet de fix-up, renforce l’unité de l’ensemble, rend le tout homogène. En guise d’intermèdes ingénieux apparaissent des ilots publicitaires étranges (l’effet est le même que celui rencontré dans Ubik de Dick en en-têtes de chaque chapitre).

Je conçois que l’ensemble puisse diviser, les pour, les contre, les mitigés, coincés entre le dithyrambique et le rejet. Pour ma part, Dufour ma chopé via son atypisme, son engagement, son(ses) combat(s), ses causes à défendre. J’aime bien les gens qui ne vont pas dans le sens du courant et affichent leur singularité, imposent leurs différences.

La prose de Dufour crisse et racle (Damasio entrevoit l’os), comme griffant longuement à la craie l’ardoise du tableau noir. Elle a une force corrosive et brutale (« Coucou les filles » par exemple, l’ultime nouvelle (hors SF) où l’on trouve, jusqu’au boutisme, jetée en pâture la terrible et (trop) suffocante part d’ombre d’un représentant de l’espèce humaine). Elle a l’humour du désespoir qui rue encore avant de laisser faire. Au-delà de la SF elle devrait (a du, doit) aisément et efficacement tailler dans le Fantastique, j’en suis curieux. Pour crédibiliser son monde elle use d’une abondance de petites trouvailles, récurrentes d’un texte à l’autre, de néologismes, acronymes, mots valise ingénieux qui se font, pour le lecteur, mini-jeux à décrypter.

Au final, mon compte j’ai trouvé, vous l’aurez compris. Vers Catherine Dufour je reviendrai, au gré de ses romans : « Le Goût de l’immortalité » et « Outrage et Rebellion » que je possède en PAL.

Merci à l’auteure, Le Belial, Masse Critique et Babelio

 

3 commentaires:

  1. _ « Catherine Dufour parait souvent en trop plein d’idées, d’objectifs, de choses à dire, à dénoncer, à asséner, décidée qu’elle est à nous convaincre et prévenir à tout prix. Chaque nouvelle regorge de thèmes à foison comme brassés dans un maelstrom d’idées jetées à la « grattaille ». Le trop à écrire déborde à jets continus, pousse les murs, se cherche une vie propre au même titre que l’idée principale, celle centrée sur la ligne de mire, celle qui suffirait. La piste de l’idée forte se perd et le lecteur patine un temps à trouver celle maitresse, celle qui fait qu’on en est arrivé là, au point de tension extrême (...) est-ce un défaut d’ainsi en donner trop quand les effets cumulés du tout crédibilisent le propos principal, donne le relief du vrai à ce qui n’est après tout que virtuel et potentiel, offre un maillon central riche de tous ceux qui l’entourent, restitue la variété complexe d’un monde plausible ? »

    J’essaie de comprendre ce qui m’avait laissé mitigé aux premières nouvelles de Dufour qui a priori, par son sens de l’humour et de la spéculation critique, a bien de quoi me plaire.

    Au-delà d’un effet de buzz qui ne rend pas toujours service à l’auteur en le « survendant », ça tient peut-être à ce que tu pointes ici...

    D’autant que son premier recueil où les genres se mélangeaient (SF, fantasy et fantastique) l’unité d’un monde fictionnel par accumulation de détails croisés ne se faisait pas.

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    1. >>> Oui, « L’accroissement… » était polyforme, le résultat multi-azymuthé. Cela ne m’avait pas dérangé. Je l’avais pris comme une somme, des nouvelles à picorer de temps à autre, à l’envie, pas comme une construction unique. Il y avait bien des textes à laisser-pour-compte, comme dans tout recueil, mais bon l’énorme majorité me plaisait. Ici, en « arithmétique » l’homogénéité est palpable et fait son bonhomme de chemin efficace.
      PS : à l’exception notable des deux derniers textes, le premier une évocation assez amusante de la vie sexuelle d’Alfred de Musset qui envoie paitre le romantisme attaché à l’auteur (j’ai bien ri), le second une plongée abyssale dans l’enfer d’une vie (j’ai bien eu peur).

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  2. Je ne connaissais pas cette autrice mais une préface de Damasio, c'est une sorte d'adoubement public. Tentant qu'en s'ajoute ta critique qui me laisse penser que son style pourrait me plaire (là où la couverture me fait fuir). Je suis plutôt roman et je me demande vers quoi devrais-je me pencher en premier dans sa bibliographie.

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