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mercredi 3 mars 2021

Pierre Christin, le grand rénovateur du récit en bande dessinée – Caurette Ed. + dBDmagazine (2020)


Pour cibler ce grâce à quoi Pierre Christin est essentiellement (re)connu, on retiendra de première intention (l’homme a tant d’autres cordes à son arc, on en reparlera) le fait central, qu’en compagnie du dessinateur Jean-Claude Mézières, il fut le « papa-mots » (lire le scénariste) de « Valerian, agent spatio-temporel ». Ce volumineux (et passionnant) cycle BD a contribué, dès ses premières planches publiées en 1967 sous forme de feuilleton hebdomadaire dans « Pilote, mâtin quel journal », durant vingt-deux tomes et six décennies, à sortir la BD des 60’s de l’ornière des « publications pour la jeunesse » strictement encadrées. La saga Valérian ne fut pas, historiquement et d’évidence, la seule force à l’ouvrage ; l’explosion créatrice de la BD made in France des 70’s fut un travail collectif enthousiaste quand, par exemple et entre autres, tous ceux du Pilote qui « s’amusaient à réfléchir » y contribuèrent avec tant de cœur et de succès ; mais Christin, par sa polyvalence scénaristique au service de nombreux dessinateurs y apporta un axe fécond autour duquel ses histoires gravitèrent en multiples duos scénariste/dessinateur de luxe.

Les « petits Mickeys » d’alors, si réalistes furent t’ils, à l’égal des « petits hommes verts » de la SF filant vers l’expérimentation de la New Wave britannique, vont passer sous son impulsion créatrice de l’état d’enfance à celui d’adulte. Le 9eme art français va croquer à pleines dents dans un avenir peu à peu mâture qui tiendra toutes ses promesses.

« Pierre Christin, le grand rénovateur du récit en bande dessinée » passe en revue les nombreuses facettes du personnage. Elles sont étonnamment imbriquées les unes au service des autres, une pour toutes et toutes pour une, comme autant de poupées-gigognes ou à l’image de ces patates de mathématiques modernes qui voient des parts d’elles-mêmes se chevaucher et se partager leurs influences. La raison de créer de Christin semble être de ne rien gâcher de toutes les vies qui habitent l’homme : scénariste, prof et directeur universitaire, musicien et collectionneur de jazz, journaliste, homme de lettres, chroniqueur…

Cette luxueuse et magnifique monographie, j’use d’euphémismes pour la décrire, part à l’assaut enthousiaste (et communicatif) de toute une carrière tissée de passions diverses ; d’avant-gardisme graphique; de révolutions scénaristiques nécessaires ; d’explorations de thèmes frais (la politique enfin abordée, la geo-politique itou, l’écologie comme une prise de conscience … s’insèrent peu à peu en arguments de lecture). Christin défriche, explore et concrétise les potentialités d’un art relativement jeune.

L’ouvrage, paru en 2020, est une co-production entre les Editions Caurette et le magazine dBD. Son socle repose sur 6 articles non inédits parus dans ce dernier. Ils furent copieusement actualisés pour la circonstance. L’iconographie est représentative de l’homme et de l’œuvre, de ses intentions, de ses objectifs et de la manière dont ils ont été atteints. Et en plus c’est un bien beau régal pour les yeux.. !

A l’origine, passionné de BD et désireux d’y œuvrer, conscient de ses prédispositions à « monter » des histoires, sur le point de renoncer à cause de ses faiblesses avouées en dessin, Christin fut l’un des premiers à penser que dessinateurs et scénaristes pouvaient, à la convergence des parallèles de leurs arts respectifs, œuvrer en commun. Le tout allait se montrer se montrer plus grand que la somme des parties. De cet amalgame de compétences il entrevit, pour lui, un métier à sa portée. Valerian naquit et pesa de son succès. Le chemin était ouvert mais pas encore balisé. Scénariste : un vrai job désormais, que Christin a poussé vers l’âge adulte et la reconnaissance non seulement de ses pairs mais de ceux qui, au départ, étaient loin d’être convaincus. Sa force de frappe : la passion pour un art nouveau et l’émulation qu’il produisit chez d’autres. Il est ainsi devenu un pivot autour duquel a gravité tant de destins graphiques (Bilal, Tardi, Lesueur, Annie Goetzinger, Juilliard … etc).


 

Pierre Christin m’est nostalgie sur le fil de vie des sept dernières décennies écoulées. A cheval sur deux siècles, du crépuscule des 60’s à l’orée des 20’s, il a nourri mon imaginaire. En pur amateur, tant de mes années à lire de la BD (un peu), du polar (itou), de la SF et du Fantastique (surtout), du « mauvais genres » (toujours) ; souvent me cachant toujours me passionnant, indifférent aux avis de ceux qui n’y entrevoyaient que de bien trop juvéniles « petits Mickeys », de si peu crédibles « petits hommes verts », des univers inutilement et juvénilement fantasmés, bien trop naïfs, crédules et décalés du réel. C’est que, derrière, pour les détracteurs, il y avait la vraie vie à prendre au sérieux et qu’avec de telles fadaises rien ne s’y ferait. La littérature générale était ce qu’on m’imposait, la SF ce que je m’étais choisi et qui, quelque part, bon an mal an, a conduit une large part de ma vie. Il fallait alors avoir la certitude de la maturité latente de ces genres pour continuer à y croire.

Valerian me fut ce que j’entrevoyais et appréciais dans la SF. Le cœur de cycle battait SF, le mien itou. De quoi matcher entre nous ? Evidemment. Le cycle a su m’enthousiasmer dès première parution en album (1971).

Au rang des influences on peut creuser et trouver :

_Déjà, rien que le titre, « La cité des eaux mouvantes », avait tout pour faire rêver. Je devais, plus tard, l’emporter en filigrane de lecture pour le « Monde englouti » (1962) de J.G. Ballard.  Si çà ce n’est pas du paradoxe temporel ..!

_Valerian est, le sous-titre de la série le précise, un « agent spatio-temporel ». Et c’est tout à fait çà. Space opera au rythme des immensités noires et vides traversées via l’hyper-espace, planet-opera via le bestiaire E.T. ébouriffant peu à peu édifié (« La faune de l’espace » de Van Vogt n’est pas loin et fait partie des influences avouées dans la monographie). Empire Galactique entrevu comme celui d’Asimov dans Fondation. Voyages dans le temps au regard des paradoxes de même eau accumulés (dont Christin aura, faiblesse avouée dans la monographie, de la peine à se dépêtrer pour finir le cycle) (Poul Anderson et sa « Patrouille du temps » sont en ligne de mire) 


Et puis Laureline, la chaste copine de Valérian prit du corps et du caractère, du charme et de la séduction, voire même un certain sex-appeal stylé et de grande classe. Valerian, dégommé du premier plan, se fondit dans le background. Laureline prenait le pouvoir. Christin et surtout Mezières, semble t’il, lui laissèrent l’initiative du scénario. Laureline, un prénom tout en douceur bientôt accolé à celui de Valérian au titre générique de la série. Une rousseur flamboyante (pour qu’en vignettes, du premier coup d’œil, on la distingue bien du fond d’E.Ts. aux incertaines et quelques fois peu ragoutantes particularités physiques. Mezières l’a voulu de premier plan sous les feux de la rampe. Un minois délicieux. Une silhouette de mannequin, élancée, toute en rondeurs fines étirées (Mezières l’affine, la cajole et ne cache pas sa préférence sur Valérian à la dessiner). Une voix sexy en bulles, câline en phylactères, espiègle en mots. Une meuf qui affiche même un sacré caractère. Décidée et maitresse d’elle-même annoncent ses expressions de visage. Valérian, montré insipide s’efface. Luc Besson, en interview incluse dans la monographie (un long chapitre est consacré à l’adaptation au cinéma), dira qu’il tomba amoureux jeune de cette fille de papier. Je peux comprendre et même jalouser. Laureline, c’est la classe élégante dans les gestes et les attitudes, le style jusque dans le scaphandre bibendum qui pourtant ne montre rien, la femme rêvée, celle d’une vie, des amours et des emmerdes, des disputes et des câlins, bref le fantasme intégral ( « Laureline veux-tu m’épouser ? Même si j’ai vieilli et pas toi »).


Christin fut aussi, au mitan des 70’s, au cœur d’une SF française engagée dont il essaya de se démarquer (il s’en explique) non pas tant de ses idées que de la force de persuasion disproportionnée qui leur était appliquée, l’auteur de quelques romans, dont l’un, quand même, fut accueilli dans la mythique collection argentée Ailleurs & Demain de G. Klein chez Robert Laffont. Son titre : « Les prédateurs enjolivés »). Un autre, « Le futur est en marche arrière », qui en collectionneur SF que je suis fait partie des raretés à débusquer au détour des étals de bouquinistes. Christin semble n’avoir désormais qu’un regard lassé et beaucoup de recul, sur cette époque durant laquelle la SF française s’est enlisée ; les forums de SF ne se lassent pas d’y revenir pour remuer les antagonismes entre membres. L’auteur semble désormais préférer sa production littéraire généraliste (« ZAC » par son thème pourrait, par exemple, me plaire).


Christin est polyvalent, on le voit ; le voici maintenant infatigable reporter globetrotter. A vélo le plus souvent, apaisant sa boulimie de voyages autour du monde, nourrissant sa soif journalistique d’un monde sans cesse en mouvement, curieux d’une géopolitique qui convulse et soubresaute. Les changements perçus lui semblent centripètes, par vagues venues des banlieues se brisant sur les façades touristiques figées et inamovibles des centres-villes. Les quartiers périphériques grouillent d’inattendus  photographiques qui nourriront au retour des illustrateurs de renom ou en herbe chargés d’en faire des carnets de voyage.


On trouve inclus dans la monographie un article/reportage journalistique hallucinant (ce n’est pas de la SF mais du réel) consacré à Tchernobyl après l’accident mais avant la fermeture totale du site. Quelques pages qui n’auraient pas désavoué J.G Ballard Ballard dans ses apocalypses immobiles. Son titre : « Sarcophage », le texte est illustré par Bilal.


Merci à Babelio, Masse Critique, l’auteur, Caurette Ed. et dBDmagazine d’avoir chatouillé la fibre nostalgique d’un adulte resté addict aux années Pilote, Metal Hurlant et (A SUIVRE) qui suivirent… etc qui prirent inlassablement et successivement le relais d’une BD à la française adulte qui a toujours su se renouveler et prouver la part littéraire de son âme.

Ainsi pour conclure, coucou nostalgique à mes années lycée au cœur des 70’s, celles du « journal Pilote qui s’amusait à réfléchir », revue BD iconoclaste à minima, jadis disponible tous les mardis à l’étal du tabac-presse (en compagnie, hélas, des premières Gauloises Bleues).


4 commentaires:

  1. à travers cette magnifique chronique , on sent l'homme passionné que tu es.. et quelle culture BD tu as! hallucinant pour une inculte totale comme moi!!

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    1. Faut pas dire çà. J'ai eu du bol d'avoir 20 ans au mitan des 70's, c'est tout. Et à cette époque la BD made in France a connu un big bang énorme, comme un piment dans le c** qui l'a boosté au premier rang mondial. Toute la BD qui a précédé a glissé sous le paillasson au rang de poussières historiques. Et j'ai mijoté là dedans pendant 10 ans, à cheval entre les derniers soubresauts de Pilote et les premiers cris de Metal Hurlant, jusqu'à ce que la SF disparaisse trop (à mon goût) avec(A suivre)(j'ai alors lâché la BD, presque totalement). Les pros d'ailleurs étaient mes pères culturels en es-mauvais genres dessinés (comme d'autres l'étaient en SF écrite qui connaissait aussi une faste période). J'avais acheté en kiosque le n°1 de Metal Hurlant: quelle claque en plusieurs aller-retours avec Moebius, Druillet, Corben ... etc, c'était alors un trimestriel et il fallait attendre trois mois le n°2 (une éternité)(de quoi mourir). Christin a commencé sa carrière BD quand j'ai commencé à en lire, le scénariste m'a été un fil rouge, comme Charlier un peu avant avec Blueberry. Quand je tourne les pages de cette monographie je vois défiler ma vie, c'est dingue comme sensation.

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    2. https://static.lpnt.fr/images/2015/12/15/2633453lpw-2633500-jpg_4832161.jpg

      Quand apparait çà dans les kiosques de 75, çà a secoué les jeunes adultes dans la France de Giscard habituée aux ronronnements au coin du feu. Ce fut dans la suite logique du rock et de la SF qui passaient sans tapage sous les portes fermées, dans l'espoir d'oreilles neuves et d'yeux tout frais tout beaux. De nos jours , çà ne fonctionnerait pas de la même façon, l'impact serait moins fort car dilué dans le tout (et tout de suite) accessible du net de maintenant. En 75 la culture "mauvais genres" restait dans la lenteur des choses et des évènements de l'actualité, du peu qui nous parvenait via la presse écrite, la radio pas encore libre et la télé qui se taisait plus qu'elle ne disait. La BD parlait à nos envies de liberté et de voir plus grand, plus beau, elle écrivait un avenir.

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  2. Décès de Jean-Claude Mézières, le créateur graphique de Valerian et Laureline.
    RIP
    J'ai cherché une illustration montrant les deux personnages de papier adressant de la main un adieu au papa-dessin qui les a créés.
    Pas trouvé.
    Pensée satellitaire à Pierre Christin.

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