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mardi 18 janvier 2022

Finsterau – Andrea Maria Schenkel

 

Collection « Actes Noirs » chez « Actes Sud » (2015)

 

    En 1947, l’Allemagne, vaincue et ruinée, à l’épreuve de la reconstruction, a bien d’autres chats à fouetter que de résoudre certaines affaires de droit commun à la une de son actualité. Elles entravent l’élan du pays, distraient de l’essentiel. Quand un coupable présumé, un suspect d’évidence, fait des aveux certes précipités, forcés mais probants sur un double meurtre en huis-clos, familial et miséreux, on s’empresse de le croire sans vraiment vérifier. Quand nul ne s’arrête au fait qu’aux berges d’une aliénation gériatrique balbutiante mais manifeste il n’avoue que ce que l’on attend de lui, tout concoure à l’erreur judiciaire. Des ambitions policières sous-jacentes ayant intérêt à un "cold case" rapide et valorisant, la mauvaise interprétation d’indices, des faux témoignages évidents, l’aveuglement naïf d’un magistrat débutant et confiant : tout conduit via une enquête et un jugement hâtifs à des vies grugées et détruites...

    Tel est le cas de l’affaire Zauner en Bavière. Sous le toit d’une ferme familiale isolée, deux meurtres sanglants simultanés: ceux d’une jeune mère célibataire et de son enfant non souhaité (Quelle honte pour le village que celle d’avoir couché avec un STO français et enfanté un bâtard ..!). Un coupable tout désigné émerge (indices concordants): le grand-père, bientôt inculpé, bientôt en prison, bientôt en asile psychiatrique. Vogue la galère …

    Dix-huit ans plus tard, une langue se délie : « le vrai coupable court toujours ». Preuves à l’appui, affirme t’il, il veut délivrer sa conscience. L’affaire revient sur le devant de la scène …

    La suite appartient au récit …

    « Finsterau », novella de 108 pages au grand format « Actes Noirs » de chez « Actes Sud » est un court roman (presque) polyphonique. Le « je narratif » n’apparait, en effet, que dans les comptes-rendus d’enquêtes ; le reste use de manière classique de la troisième personne du singulier ; l’impression persiste néanmoins d’un chœur de témoignages successivement à l’avant-scène de chapitres brefs et nombreux. Ces derniers renvoient à divers angles de perception. Les vécus diffèrent d’un rien. Chaque témoin ne possède qu’une pièce du puzzle. La structure générale du roman montre un entrelacs astucieusement géré de témoignages imbriqués mais parcellaires. Chaque intervention apporte une révélation fragmentaire, qui plus est non chronologiquement insérée dans l’enfilade des faits. La compréhension tour à tour s’embrouille, se voile, s’éclaire, perd de sa netteté, sort à nouveau de l’ombre, se fixe ... Curieuse alternance dans laquelle le lecteur curieux se laisse embarquer. Le voile se lève peu à peu, il y faudra maints flashbacks emboités.

    Le traitement narratif conduit par l’auteure, essentiellement factuel, s’exonère de portraits psychologiques fouillés, ne dissèque que peu l’intime. On les sent néanmoins déductibles de l’enchainement des faits, comme en filigrane, perceptibles au-delà des mots, dans l’ombre des phrases. Travail à l’économie, donc, qui rétrécit le nombre de signes nécessaires, raccourcit le tout à une novella en course rapide.

    Andrea Maria Schenkel met son récit à l’épreuve presque exclusive des indices, ce qui en fait un roman policier classique ; l’inscrit dans un cadre historique inhabituel (à mon sens insuffisamment exploité), celui de l’après-guerre immédiat ; on a envie en outre de parler de roman de terroir où s'agite un huis-clos campagnard tendu d' aprioris de classe et de rancœurs ancrées.

    Lecture rapide, prose aisée, thématique engageante, narration emboitée en flashbacks intrigants, tout concoure à un bon moment de détente. Je n’ai pas boudé mon plaisir. Reste néanmoins que l’épilogue apparait bien faiblard, n’offre pas de mise en abime tortueuse. L'aspect ludique du roman policer s'échappe. La conclusion est taillée dans une logique humaine simple. Le tout pourrait être un épisode de la vraie vie, digne d’un roman de littérature générale. 

N'empêche, j'ai bien aimé et c'est l'essentiel.


 

2 commentaires:

  1. J'ai en PAL un roman de cette autrice, lui aussi court. Ce que tu dis sur celui-ci me met dans une curiosité sur la structure du récit que tu décris. J'aime quand les romans font montre de travail structurel intéressant et un peu plus fouillée que la simple linéarité à un seul narrateur.

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    Réponses
    1. Alors là, je pense que tu vas être intéressé. Cà va, çà vient. Presque aléatoirement. Mais c'est prémédité.

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