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mercredi 28 février 2024

Auto-Uchronia (Fugue en ZUT mineur) – Francis Berthelot

 

Dystopia Ed. (2023)

 

 

Francis Berthelot (né en 1946), en sus d’une brillante carrière scientifique, s’inscrit dans le paysage SFFF hexagonal à titre de romancier, d’essayiste ... etc. L’implication de l’auteur dans la vie du genre lui confère en outre une place à part. Il semble reconnu par le milieu littéraire professionnel qui est le sien et le lectorat qui le suit entre SFFF et « transfictions ». Il est l’auteur de « Bibliothèque de l’Entre-Mondes », un essai recensant et disséquant quelques-unes de ces dernières ; sous ce nom se trouve une frange d’œuvres romanesques oscillant entre SF et Littérature Générale.

Je ne connais que peu (voire pas) l’œuvre de Francis Berthelot malgré mon goût marqué pour le genre dans lequel elle s’inscrit majoritairement, la Science-Fiction. L’écho positif que nombre de forums et blogs spécialisés renvoient d’elle et de lui m’intrigue. J’en suis curieux et cherche à m’en faire une opinion. Il me fallait y venir pour enrichir ma culture SF.

Fin 2023, Berthelot a 75 ans. « Auto-Uchronia » sort chez « Dystopia Ed.». L’ouvrage permet à Berthelot de revenir dans l’actualité des parutions récentes après quelques années de silence. Son titre a de quoi étonner. Comment le décrypter ? Tout s’explique par l’association de deux termes, l’un renvoyant à la littérature blanche (une autobiographie) et le second à la SF (une uchronie). Tout s’explique à la convergence des parallèles entre deux genres. Tentant postulat de départ pour le moins transfictif .. ! L’antagonisme apparent des termes éveille la curiosité, appelle la lecture.

Le versant autobiographique ouvre le bal. Il couvre les 20 premières années d’une vie (1946-1965). L’exercice est classique. Une petite enfance modèle ; un cercle familial qui impose un formatage social ; un milieu scolaire et universitaire élitiste à marche forcée ; un carcan sentimental bienveillant mais rigide ; une homosexualité qui n’avance que masquée…

A mi-volume, l’auteur change de cap brutalement, ouvre le chemin à l’uchronie. Berthelot l’applique à sa propre personne. Nous voici, le temps du printemps, de l’été et de l’automne 1965 en pays de fiction. L’auteur fantasme, dissèque un passé hypothétique qui n’est pas le sien. Le « Et si.. ! » s’impose, brouille les pistes et courre jusqu’à l’épilogue.

Le point de divergence : Francis a 19 ans, est mineur au regard des lois de l’époque ; un inconnu, rencontré dans la rue, lui propose de fuguer durablement. L’envie est là. Francis ne donne pas suite dans la vraie vie mais accepte dans la virtualité uchronique. Ses intentions : fuir alors qu’on le prive de sa vraie ambition, écrire, devenir romancier. Plutôt affronter une société particulièrement homophobe au mitan des 60’s ou du moins vivre sa différence sans trop se cacher.

Le « que ce serait-t-il passé si .. ? » est habilement conduit, le postulat de départ est original. Le pari était difficile à tenir. La réussite est au bout. Cette double-vie est tour à tour prenante et attachante, éclairante. N'empêche, le lecteur a, par instants, l’intuition de trouver dans la partie uchronique de gros bouts de réalité, ceux-ci semblent avancer masqués, négociés à l’ombre de la fiction.

« Auto-uchronia » est le double regard d’un homme sur son passé : une vision en différé née de la réalité, une autre décalée issue de la virtualité de son imagination ; à l’égal de ces rétroviseurs en deux parties qui détectent en périphérie ce qui se niche dans les angles ; on n’est pas loin des « univers parallèles ».

Berthelot possède une belle plume, vive, facile, franche, directe et précise. Il conduit un propos critique, malgré tout apaisé et sans trop d’amertume, en écho à la virulence homophobe d’une époque somme toute récente qui, violente ou hypocrite, aurait pu le détruire. 

« Auto-Uchronia », ouvrage de « Non-Fictions » (dixit la 1 de couv) ou roman pleinement SF ? Quelle importance ? Seule certitude : ce n’est qu’un premier pas, un marchepied, une passerelle vers le gros d’une œuvre romanesque qui, elle, est SF. Il me faudra aller, en ce sens et pour l’essentiel, vers la réédition en 3 intégrales des 9 tomes de son cycle SF majeur : « Le rêve du démiurge ».

Merci Babelio, Masse Critique, l'auteur, l'éditeur..!



 

 

13 commentaires:

  1. Je trouve original de partir d'une base réelle ( l'autobiographie ) et de déborder dans la fiction...la liberté de l'esprit!

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    1. D'autant que la ligne de démarcation est physiquement clairement précisée via:
      _ une illustration scinde le livre à mi-parcours. Comme un marque-page inamovible: un amont autobiographique et un aval uchronique. Deux parties d'égales importances et chronologiquement successives.
      _un bref avertissement , placé en avant-propos, à la manière d'un texte de 4 de couv ectopique.

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    2. Cheyenne, citation: "la liberté de l'esprit" >>>> J'ai cherché le terme sans le trouver. Oui, y'a de çà. On a tous nos nœuds de déviation uchronique, la liberté d'y penser, celle d'extrapoler de nouvelles vies. Souvent, c'est plus un mécanisme ludique que, comme ici, un règlement de compte sans réelle amertume avec son passé (ou alors c'est bien caché).

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  2. En général, j'apprécie énormément les uchronies.
    Cet art romanesque qui réécrit l'Histoire en modifiant le passé à partir d'une arborescence différente, d'un nœud causal sensible géré de manières différentes. Il y a divergence de futurs.
    Par celles lues: "Pavane" de Keith Roberts, "Le maitre du Haut-Château" de P.K. Dick, "Fatherland" de Robert Harris, "23/11/63" de King, "Roma Aeterna" de Silverberg ... etc
    Et, les finissant, un doute: notre présent est t'il le bon où une branche parmi tant d'autres ?

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  3. Merci pour cette chronique sur ce drôle de récit auto-uchronique dont les poussées contraires me tiennent encore à distance, l'aspect métafictionnel m'attire mais l'aspect intimiste m'éloigne. Berthelot. Je regrette d'avoir abandonné Rivage des intouchables en plein milieu, tandis que j'allais au bout de L'Etrangère de Gardner Dozois, faudrait que je tente de le reprendre avec les quelques souvenirs (dépaysants) gardés. Le rêve démiurge avait des fans persuasifs sur csf et je me suis toujours dis que j'y jetterai mon dévolu...
    Je n'ai pas trouvé ta chronique sur : https://www.noosfere.org/livres/niourf.asp?numlivre=1526387064
    ;-)

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    1. "A la croisée des parallèles" de Claude-François CHEINISSE & Christine RENARD m'a, à l'ouverture du blog, causé problème. J'adorais l'idée maitresse du titre, elle correspondait vraiment à ce que je souhaitais faire, mais ne put que le triturer pour en sortir une idée similaire sans plagier. D'où "La convergence des parallèles" qui, je m'en suis aperçu après, a déjà été utilisé dans un domaine autre. Basta, pour le moment on me fiche la paix. Je changerai s'il le faut.

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    2. Le problème avec le "Rêve du démiurge" est que c'est énorme et qu'y entrer promet d'être chronophage. Déjà que les cycles m'embarrassent (Cf CSF) et me font préférer les one-shots...! Mais ce n'est pas dit qu'un jour peut-être ..?

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    3. Info: Bdn, sur CSF, c'est Bouquet de Nerfs (belle idée..!) ... mais il y eut des variantes rigolotes (que de souvenirs).

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  4. BouquetdeNerfs30 mars 2024 à 20:22

    Pierre Pelot a peut être écrit un roman s’approchant avec « le sommeil du chien ». Mais n’ayant lu ni l’un ni l’autre, je les rapproche probablement à tort du fait de leur essence SF, autobiographique et univers/vie parallèles.

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    1. Peut-être ? Il ne me semble pas l’avoir jamais lu ; je n’en garde aucun souvenir. Toujours est-il que je le possède en bibliothèque chez Presses Pocket SF ; ce qui, en collection spécialisée, semble accréditer en effet à minima son versant SF ; couplé à ce que la critique en disait à l’époque : que c’était, de ses romans parus, le plus autobiographique, celui à la prose la plus travaillée, mais le plus difficile à lire. Quant à son côté uchronique (ou univers //), la 4 de couv semble l’évoquer. Je me souviens m’y être essayé pour, classiquement chez moi, y renoncer au bout de quelques pages seulement.

      https://images.noosfere.org/couv/p/pocketSF5166-1983.jpg
      https://images.noosfere.org/couv/p/pocketSF5166-1983-4eme.jpg

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    2. .... Le texte de 4 de couv finit par "autobiographie fantastique" >>> çà peut coller avec ton hypothèse, BDN..!

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  5. Oui, «  Renouvelant le thème des univers parallèles, Pelot imagine un monde si proche du nôtre qu'on pourrait les confondre. Il écrit là son livre le plus personnel, à mi-chemin de la chronique intimiste et de l'autobiographie fantastique. (4ème de couverture, 1983). »
    Je gravite autour de Pelot sans avoir encore tenté. Pour une première, j’hésite entre « Maria » à l’occasion peut être de mes prochaines vacances estivales dans les Vosges, ou bien son versant SF avec Transit, Delirium Circus ou encore la Guerre olympique. Ce dernier serait aussi de circonstances pour cet été.

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    1. J'ai lâché Pelot quand il s'est soustrait à la SF pour se cantonner, plus ou moins, à la lit blanche. Je ne le connais donc que par ses versants western et science-fictionnesque. L'auteur est prolifique, il convient d'éviter le FNA où le plus souvent, il a tiré à la ligne et de se rabattre vers ses productions chez J'ai Lu, PP SF, PDF, A&D où, outre les titres déjà cités, surnagent "Le ciel bleu d'Irockee", "Les barreaux de l'Eden", "La rage dans le troupeau" ou "Parabelum Tango". Néanmoins, j'ai crainte que, si son art virtuose pour manier les mots soit resté intact, ses productions d'antan n'aient socialement et politiquement pris un coup de vieux.

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