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mercredi 21 février 2024

Jean-Paul Martin - L'interview autour de "Le roman policier africain, regards critiques sur des sociétés en mutation"

 Presses de l'Université Laval ed. - Collection "Sociologie contemporaine (2023)


Le présent article fait suite naturelle à la chronique, sur le blog « La convergence des parallèles », de « Le roman policier africain, regards critiques sur des sociétés en mutation » signé Jean-Paul Martin. Il prend la forme conviviale d’une petite interview virtuelle de l'auteur. Merci à lui d’avoir accepté.

 

    Quelle place tient la littérature et plus précisément le roman policier et ses déclinaisons dans votre vie ? Tout semble signer une profonde, lointaine et toujours actuelle passion pour le genre et ses sous-genres.

    Les livres, c’est une vieille histoire, la littérature, cela commence au lycée, puis avec mes études universitaires. Si l’intérêt pour la littérature en général n’a jamais faibli, celui pour le roman policier a commencé tôt avec les Maigret (on y reviendra) et les romans de la collection Le masque. Puis dans les années 70, il y a eu une longue période pendant laquelle je me suis intéressé à la science-fiction, surtout à celle qui, à la suite d’Orwell et d’Huxley, se penchait sur les dystopies : Dick, Sturgeon, Nolan & Johnson… Je suis ensuite revenu au roman policier pour ne plus le quitter, même si je lis aussi d’autres romans, des romans « durs » comme disait Simenon.

    On tourne ici, en parlant roman policier et SF, autour de la notion de « Mauvais genres ». Y êtes-vous sensible ? Percevez-vous, dans l’appellation, une nuance dépréciative ?

    Je trouve l’appellation « mauvais genres » très dépréciative. Il y quelques années, on parlait de littérature populaire ou de paralittérature et c’était, il me semble, mieux. Mais on s’accorde à considérer aujourd’hui qu’il n’y a que la bonne et la mauvaise littérature. Et nous savons aussi que les auteurs de cette littérature populaire, SF, roman policier, thriller… ont apporté et apportent encore des éclairages indispensables sur nos sociétés. Comme le dit Jean-Bernard Pouy à propos du « polar » : « C’est un genre qui permet la critique sociale, le regard sur l’époque, tout en acceptant la stylistique. Il y a de tout dans le polar, et pas seulement des flics et de la viande au plafond. On peut y trouver de la dérision et de l’humour, de l’idéologie politique et des recettes de cuisine, des amours à faire pleurer (ou rêver) et, surtout, des détails ethnographiques de première bourre. » On pourrait dire la même chose d’œuvres d’anticipation qui, il y bien longtemps, décrivaient des sociétés qui sont en partie les nôtres aujourd’hui.

    Une appétence particulière, pour la BD ? … particulièrement quand elle s’acoquine au polar ? Pour le cinéma, quand il agit de même ?

    J’ai une assez belle collection de BD. Sur les liens avec le roman policier, il y a bien sûr ce qu’a fait Tardi à partir des romans de Manchette, même si je trouve qu’il se contente de mettre en images (de façon géniale) les textes. Je trouve son travail avec Daeninckx pour Le der des der ou avec Legrand pour Tueurs de cafards beaucoup plus intéressant. On pourrait citer aussi Cabanes (toujours avec Manchette) ou les enquêtes de Canardo ou de Blacksad.

    Le genre policier au cinéma reste très présent. Mais il y aurait tant à dire, que ce soit le film noir, les premières adaptations de Maigret, les films de Lautner…

    Pourquoi resserrer le propos de votre essai, qui vient de paraitre, à l’Afrique ? Une affaire personnelle ? Une carence éditoriale ?

    J’ai beaucoup voyagé pour mon travail mais je n’ai eu qu’un seul poste, le dernier, en Afrique. L’intérêt pour la littérature policière du continent a commencé, comme pour beaucoup, par l’Afrique du Sud avec Deon Meyer, qui reste une des grandes plumes du roman policier et représente bien ce qu’est pour moi le roman policier africain : la résolution d’une énigme criminelle sur fond d’évocation, et souvent de critique, de la société. J’ai ensuite découvert des auteurs francophones comme Moussa Konate (Mali), Janis Otsiemi (Gabon), Yasmina Khadra (Algérie), etc. 

    Il n’y a pas vraiment de carence éditoriale, car nombreux sont les chercheurs et les universitaires qui publient sur le roman policer africain. Par contre, la plupart se concentrent sur son aspect littéraire ou se spécialisent sur le roman francophone, ou anglophone, etc. Comme je m’étais intéressé dans mon blog « Polars urbains » à la place de la ville dans le roman policier, il était logique de continuer sur le même thème avec l’Afrique, ce que j’ai essayé de faire dans « Polars africains ». Puis, il m’a été suggéré de développer le blog sous forme d’un ouvrage plus complet. Le travail a alors commencé, favorisé par les loisirs forcés du confinement…

    Vous parlez en sous-titre de « sociétés en mutation ». Existe-t-il, pour elles, dans l’avenir proche ou lointain, un espoir de « fixation » ?

    Les sociétés contemporaines sont effectivement des sociétés qui évoluent, le changement social étant une des caractéristiques de la modernité et, à cet égard, l’idée d’une fixation, d’un arrêt, n’a guère de sens. Mais ces transformations ne sont pas nécessairement négatives. 

    Un travail de longue haleine ? Documentation. Lectures. Classification. Écriture et relectures. Recherche des ayants-droits concernant le versant anthologie, d’un éditeur etc.

    La lecture, des romans comme des articles et des essais tient une large place, mais la principale difficulté, pour certains romans (on trouve des de nombreux essais et d’articles sur le net, souvent en accès libre), a été de se les procurer. Car beaucoup, publiés dans les années 80 n’ont pas été réédités, des maisons d’édition ont disparu, d’autres ne répondent pas aux sollicitations… A commencé alors une longue recherche qu’ont facilitée heureusement les réseaux de libraires et de bouquinistes indépendants. Pour certains romans cela a été assez laborieux, comme par exemple Fella’s choice de Kole Omotoso (Nigeria), trouvé en ligne dans une librairie d’occasion de New York, à un prix absolument prohibitif pour un « poche » d’une centaine de pages ! Ensuite, les textes sélectionnés échappant à la tolérance de « brève citation », il a fallu négocier les droits auprès des éditeurs. Certains ont été généreux, d’autres moins… Pour les auteurs n’ayant pu être joints, une note en début de volume précise qu’ils peuvent contacter l’éditeur s’ils se reconnaissent.

    La classification a pris beaucoup de temps, car mon idée était de travailler non pas par pays (à l’exception de l’Afrique du Sud) ou par groupe linguistique mais par thèmes. Il a donc fallu sélectionner des romans qui s’inscrivaient dans les thèmes choisis : la trahison des politiques, la tradition contre la modernité, les diasporas… Une fois le travail bien avancé, il a fallu susciter l’intérêt d’un éditeur. J’ai eu de la chance de travailler avec Les Presses de l’Université Laval, à Québec, qui sont des professionnels sur qui l’on peut compter : accompagnement éditorial de bout en bout, mise en page, maquette, triple relecture et corrections… Mais le fait de publier dans une collection universitaire a demandé de répondre à d’autres exigences par exemple en matière de bibliographie.

    Vous tenez sur le Net un blog tripartite centré sur trois déclinaisons du roman policier « Polars urbains », « Polars africains », et « Maigret à Paris ». Pourquoi Simenon ? 

    Dans l’œuvre de Georges Simenon, en particulier dans la série des Maigret (75 romans et 28 nouvelles), le lecteur est confronté à la réalité des faits divers, mais surtout à la vie quotidienne de catégories sociales très diverses : professions libérales, rentiers, ouvriers, truands de Montmartre, pêcheurs de Vendée, mariniers, notables de province, aristocrates… Chaque enquête est aussi prétexte à découvrir une ville (Paris bien sûr, mais aussi Bergerac, La Roche-sur-Yon, Vichy, Bruxelles, Liège) ou une région (la Vendée, la Côte d’Azur, l’Allier, les Flandre). En cela, Simenon suit Somerset Maugham pour qui le roman policier doit être un reflet de la société contemporaine. C’est la description fouillée des milieux dans lesquels le commissaire Maigret évolue qui est la marque de la série des Maigret et qui fait basculer le roman policier vers un roman à dimension sociologique où l’environnement humain, social et géographique importe autant ou plus que la résolution de l’énigme, ce qui lui a été parfois reproché.

    C’est cela qui me passionne chez Simenon : lire un Maigret, c’est rentrer dans un univers social et ce n’est pas pour rien qu’il a parfois été comparé à Balzac. En ce sens son œuvre a fait école et on sait que le roman policier moderne n’a plus rien à voir avec le roman à énigme et que chez Manchette et ADG, puis Pouy, Daeninckx ou Thilliez, pour ne citer que des auteurs français, le roman policier est une critique sociale. On peut dire la même chose de la plupart des romans que j’ai étudiés dans l’anthologie du roman policier africain.

    Pour revenir à Simenon, j’ai donc entrepris de livrer ma propre analyse des romans et des nouvelles, largement illustrée de mes photographies dans « Maigret à Paris ». Je participe également aux activités de l’association Simenon en Bourbonnais. Simenon a en effet passé un an dans cette région où il fait naitre le commissaire et où il situe L’affaire Saint-Fiacre.

Pourquoi écrire ? D’autres projets ?

Pas de roman, je laisse cela aux auteurs.  Je n’ai pas de projet immédiat mais j’ai en tête une étude sur les romans « exotiques » de Simenon (Le coup de lune, Le blanc à lunettes) dans lesquels il se livre à une brillante analyse critique des sociétés pendant la période coloniale. Ce qui nous ramène à l’Afrique.

Merci, Jean-Paul, de vous être prêté au jeu des questions et des réponses.

3 commentaires:

  1. Merci pour cette belle idée! JP

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  2. Intéressante interview. Merci

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  3. Une ITW sur RFI:

    https://www.rfi.fr/fr/podcasts/caf%C3%A9-polar/20240328-le-roman-policier-africain-d%C3%A9crypt%C3%A9-par-jean-paul-martin?fbclid=IwAR1BCPpAXjHkUHVNhFHkos5InpqwKM1dG7Q0tta7tMIIwJ8uI-R4sgi2alk_aem_AULc0GLYg7QRpEO6dqUYYksUXGfvKsb6ldVc0hW1RvxrNsjv7w5WoFFvnMFwVnwBQZCH9L_qKz0F-D7FXA6B0dKD

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