Ce qui suit est la double-chronique couplant mes ressentis d’une BD, somme toute récente, et d’un long métrage d’un autre temps qui avait enchanté mes jeunes années. Le second est une adaptation d'un roman de René Fallet (non lu).
Lisant la BD, j’ai tout de suite pensé (peut-être même dès la une de couverture) au pitch cousin de « Les vieux de la vieille », un long métrage de Gilles Grangier en 1960. En noir et blanc ciné, Jean Gabin, Pierre Fresnay et Noël Noël y tiennent, au cœur de la France profonde d’après-guerre, les rôles inoubliables de trois paysans septuagénaires, célibataires ou veufs, sur le chemin de la maison de retraite qu’ils appellent désormais (et bêtement) de tous leurs vœux. Copains comme cochons depuis la petite enfance, casse-pieds rigolards et éternellement pinailleurs, imbuvables systématiques, grossiers récurrents, ressasseurs jusqu’à plus soif de vieilles histoires de tranchées, rinceurs de dalle à l’alcool invariablement gai, diablotins mesquins et colériques, renâclant à offrir le merci à qui ils côtoient, chapardeurs pour le seul plaisir de courses-poursuite dans les vergers et les champs, gueulards incorrigibles et sentencieux, fêtards à la chopine de vin rouge greffée sur le gosier, cherche-midi sans répits ni remords, moqueurs et médisants, railleurs et espiègles. Bref, trois concentrés de vie, boostés l’un l’autre dans l’envie d’encore déconner avant que la vie ne finisse. Le trajet vers l’Hospice sera long, pavé d’engueulades, de bagarres, de bitures, de farces pendables et immatures, de souvenirs gaillards évoqués dans la nostalgie rieuse ou les remords masqués, de grivoiseries tendres … Trois ancêtres, pire que des gamins à tirer les sonnettes et à shooter dans le cul des vaches, insupportables petits vieux râleurs, presque méchants. Trois chenapans pour le prix d’un… le village les souhaite désormais chez les Sœurs, à l’eau claire et privés de tabac, bientôt de retour au village la queue entre les jambes.
Dans « Les vieux fourneaux », trois autres petits vieux de même tonneau que ceux ci-dessus évoqués, sont caricaturés à l’extrême et vont enchanter les lecteurs (Qu’est-ce que j’ai pu rire .. !). Ils montent à l’avant-scène du premier tome (2014) d’une série de huit (en 2024) et de 2 long-métrages (2018 et 2022, non visionnés). « Ceux qui restent » titre l’épisode ; et il s’agit bien de cela : ce sont les ultimes rescapés de leur génération face aux instincts hégémoniques de la Grande Faucheuse. En 2D, ils resteront saufs pour la postérité, au titre de ces héros de papier qui ne meurent jamais vraiment. Désormais éternellement incorrigibles, bouillonnant de vie et infatigables, grands gueulards insatiables, révolutionnaires d’un temps presque enfui, passéistes épuisants à ressasser leurs menus exploits de jadis, donneurs de leçons à baffer, chahuteurs impénitents et bois-sans-soif incorrigibles… etc. N’en jetez plus.
Bienvenue en pays de Troisième Age. Jeunots, c’est peut-être ce qui vous attend, plus tard, si vous prenez la vie du bon côté. Vieillards, laissez filer certains règlements de comptes justifiés : «Vous êtes inconséquents, rétrogrades, bigots. Vous avez sacrifié la planète, affamé le tiers-monde … épuisé les ressources … vous êtes la pire génération de l’histoire de l’humanité ».
Pierrot, un anar tout-terrain toujours en activité. Un vieux à foutre le boxon partout. Un homme tel qu’il fut jadis, indépendant et entendant le rester jusqu’au bout de ses jours, combattif et vindicatif, éternel dénonciateur universel, prosélyte insatiable.
Antoine, un ancien syndicaliste, désormais à minima sur la brèche mais qui n’en pense pas moins, grognon et passéiste, vaincu et terrassé sur le tard (sa femme a jadis couché avec leur ex-patron, il vient de le découvrir, ce jour, à son enterrement). Il cherchera, le temps d’un road-movie endiablé à avoir son boss en bout de fusil et à assouvir un crime passionnel. Une surprise l’attendra à l’arrivée.
Mimile, calme et flegmatique, en Ehpad par facilité, aujourd’hui de sortie car d’enterrement de Lucette, la femme d’Antoine son pote (« Quel p***** de caractère, que cette femme-là.. !). Il est embarqué, un peu malgré lui, le temps du road-movie qui s’amorce jusqu’en Toscane, lieu de résidence du PDG adultère. C’est un ancien rugbyman tatoué sur tout le corps, un aventurier assagi et pantouflard, un globe-trotter en chambre d’Ehpad, entre dentier et TNT télévisuelle.
Sophie, la petite-fille d’Antoine, enceinte jusqu’aux oreilles, un caractère bien trempé, le portrait de sa grand-mère.. !
« Les vieux fourneaux » : Le portrait, sans complaisance mais assaisonné de beaucoup de tendresse, d’une vieillesse repoussée par l’allant social offert à une vie sans dépendance. Un prix à payer néanmoins, celui du regard jeté par sa descendance sur certains de ses agissements antérieurs.
Graphiquement très soignée et détaillée, la BD s’offre un scénario aux petits oignons, crédible malgré son effervescence juvénile improbable, des dialogues surprenants, taillés au cordeau, souvent jubilatoires et gentiment provocateurs, des grincements de dents vite oubliés dans l’emballement général. Le tout offre du bon temps à qui le lit, un rire jaune libéré d’un sujet d’importance qui tutoie la déchéance de la fin de vie.
Vrai, j’ai kiffé et attend de dénicher la suite avec une impatience non dissimulée.
J'ai rigolé avec "Les hauts fourneaux" glissé en corps d'article... Lapsus calami? Rapprochement plus ou moins (in)volontaire avec la bande pittoresque dans "Les grandes gueules" (film adapté du roman Le Haut fer)?
RépondreSupprimerEn tout cas, oui, il vous en reste encore, du plaisir à venir avec la découverte des 7 tomes suivants!
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Mort de rire. Merci, je corrige.
SupprimerJe l'avais repéré en cours d'écriture de chronique, ce foutu lapsus potentiel qui me chatouillait le clavier depuis le début, que je n'ai pas visualisé actif lors des relectures attentives successives. Il était là, je le sentais, sous la langue, le bout de l'index. Il ne viendra pas, j'y veillais. Et pourtant, bougre de chameau, il a fallu que tu débordes ma conscience...
Et pendant ce temps là, "Les Barbares" de Bernard Lavilliers tournait en fond sonore sur la platine CDs.
"La nuit, le haut fourneau mijotait ses dollars
La fumée ruisselait sur nos casques rouillés
Dans le vestiaire cradingue, cinq minutes volées
À la fumée, au feu, au bruit, au désespoir"
Voila, l'explication était toute simple, une chanson aimée errait en périphérie de ma réflexion. D'autant qu'en parallèle de ce que chante Lavilliers, je suis d'un pays où les hauts-fourneaux cognaient jadis de longues nuits durant et que tout ce qui touche au charbon, à la mine et à la sidérurgie a de l'importance.
Oui, je mise beaucoup sur les suites. Du pitch initial peut découler matière à s'étonner, à rire et à réfléchir.
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