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jeudi 27 mars 2025

Le sursis 1&2 – Gibrat

 

« Le Sursis », signé Jean-Pierre Gibrat en tant que dessinateur, scénariste et coloriste, est une superbe bande dessinée française, initialement parue en deux tomes (1997 et 1999) chez Dupuis éditeur dans la collection « Aire Libre ». Le tout a été réédité en « Intégrale » (2010). Une suite, toujours en deux parties, à minima reprenant certains personnages, voit le jour en 2002 et 2005 sous le titre « Le vol du corbeau ». « Cécile et Jeanne » (2011) parait ensuite, c’est un artbook regroupant des dessins et des croquis de qualité. Les deux tomes initiaux ont été multi-primés.

Juin 1943, en Aveyron. Cambeyrac sous l’Occupation, un petit village, perché et tranquille, typique de la France profonde d’alors. Entre Résistance et Collaboration, Milice et Radio Londres, tickets de rationnement et jours sans alcool, recels d’armes parachutées et marché noir. C’est le temps des haines larvées d’un camp face à l’autre. Et puis, il y a celles et ceux pour qui rien n’a vraiment changé, l’horizon guerrier ne s’étant pas tant rapproché que cela de leurs habitudes, comme si tout se passait au loin. Cambeyrac, une place sous les arbres, un « Café des Tilleuls », une église et son curé en soutane noire et bicyclette, une pompe à essence, un garage. Un panel de personnages presque en huis-clos, du limonadier au benêt du village, du vieil anar dont le fils est mort il y a peu sous les griffes franquistes à Saragosse jusqu’à Serge le milicien, cette ordure pétainiste qui pense que tout lui est dû ; de Paul le toubib en contact avec les FFI vers tous les autres. Des gens ordinaires, en somme, de la vie de tous les jours, confrontés à une parenthèse guerrière qui ne les affectent que de loin et occasionnellement, quand, par exemple, par-delà l’horizon des parachutages ouvrent leurs corolles sombres sur un ciel étoilé ou qu’une colonne blindée traverse le village (non sans conséquences).

Et puis il y a la jeune et jolie Cécile qui, d’une vignette l’autre, au cœur des scènes qui lui sont consacrées, va montrer sa gracieuse silhouette élégante en socquettes blanches et robes fleuries, son minois frais, souriant et engageant, le pastel bleu pâle de son regard doux et tendre, son humour fin et piquant. Cécile est-elle, comme tant d’autres avant, un prétexte à s’émoustiller, un fantasme sexy en 2D BD ? Une héroïne de papier sensuelle, provocante et allumeuse, fausse-naïve et sûre de ses charmes ? Même pas ; en elle rien de provoquant ou de vraiment sexy, juste une « belle des champs » simple et agréable, heureuse de son sort, fraiche, sérieuse et attachante, qu’un homme se plairait à épouser en promesse d’éternelle douceur et de jours sereins. M’a tapé dans l’œil, la tendre demoiselle ; oui, c’est mon genre, j’avoue.. ! Gibrat, dessinateur, coloriste et scénariste, ne s’y est pas trompé en proposant d’elle des images hors-séries, en portfolios ou queue d’album, des croquis de toute beauté. Ce que Gibrat en a fait tient du chef-d’œuvre pictural.

Et bien sûr, elle a un petit copain. Que, pour sûr, je jalouse. Ce si beau Julien Sarlat, 20 ans, qui lui plait depuis la communale.  Un récent échappé du STO, sautant du train bombardé qui l’emporte en Allemagne et qui, rentré discrétos au pays sans ses papiers qu’il a égarés, trouve un autre mort enterré à sa place. Désormais, pendant un an, depuis un grenier poussiéreux, il va observer la vie quotidienne du village où il a vécu dans ses joies et ses tristesses, des rires aux drames ; avec une attention toute particulière pour sa chère Cécile qui, un temps, le croira mort…

Avec lui, immobile et silencieux dans un coin du grenier poussiéreux, tenant compagnie à Sarlat, se tient celui qu’il surnommera Maginot ; c’est un haut et vieux mannequin de couturière sur pied, en feutrine et bois verni. Julien l’a habillé d’une canadienne en cuir défraichi et râpé et d’un casque de Poilu cabossé. Le mannequin, de longues journées durant, lui sert de confident dans son « pigeonnier » … et, accessoirement, d’épouvantail à miliciens.

Le drame, peu à peu, se noue mais appartient à la suite du récit … Reste le titre de l’album ? Pourquoi « Le sursis » ? Il vous faudra attendre la dernière page pour comprendre.

Gibrat montre l’été : la canicule qui étouffe, le soleil qui cogne et brûle ; les nuits de pleine lune inondées d’aquarelle lumineuse ; les amoureux enlacés qui, depuis les monts au-dessus du village, attendent que la dernière lumière dans la vallée s’éteigne ; les ricard-glaçons dans les hauts verres en terrasse. Gibrat nous offre aussi le froid à pierre-fendre d’un hiver rigoureux, les squelettes des arbres dénudés, les rhumes qui torchent le nez, les édredons sous lesquels suer et se faire cajoler.

Gibrat possède un coup de crayon miracle, réaliste et inspiré, attaché à rendre humains les personnages dans leurs expressions. Son travail est proche de la perfection. Les couleurs en aquarelle, loin du job sur ordi, offrent, en toucher à l’ancienne, un rendu magique où tout parait beau. Le regard glisse logiquement d’une vignette à l’autre, dans des mises en pages inspirées, sur le fil de cadrages variés, étudiés et judicieux, étonnants de pertinence.

Alors oui, bien sûr, derrière tout cela, on pressent un parfum « light romance » très appuyé ; mais on s’en fiche, si tant est même que j’ai quelque chose à reprocher au genre ; l’histoire tient bon ; le scenario est prenant, magistralement calculé et agencé, mené, assaisonné d’un humour fin, de dialogues précis et frais.

« Le sursis » n’échappe pas à un certain classicisme du roman ayant l’Occupation en toile de fond ; on y trouve les ingrédients habituels entre le Bien et le Mal, entre héroïsme patriotique et lâcheté face aux circonstances ; aux mêmes causes les mêmes effets, rien de vraiment nouveau n’apparait ; la plupart des constantes du genre sont respectées. Le plaisir de lire (et Dieu sait qu’il est fort) se situe à mi-chemin entre ce qui est narré et ce qui est montré ; l’équilibre est parfait entre graphisme et scénario aux petits oignons, dans ces vignettes magnifiques où s’imposent un dessin réaliste et des couleurs soignées, dans le respect accordé à chaque personnage, dans une histoire sensible et suscitant l’empathie.

What else.. !

 
 
 
 

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