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jeudi 2 mai 2024

Aquablue 01 - Nao - Cailleteau + Vatine (BD)

  

Delcourt ed (1988 réédition de 2018)

 

Aquablue est un cycle français de BDs SF originellement signé Cailleteau (scénario) et Vatine (dessins) jusqu’au tome 4 inclus. Sa première apparition date de 1988 (Delcourt Ed., prépublication dans « L’Argonaute) et court jusqu’en 2021 sur le fil de 17 tomes. Ce ne sont pas des one-shots mais un récit à suivre. Tout au plus peut-on apparemment différencier des sous-cycles (1à5 – 5à10 … etc) s’attachant au même univers.

Nao est le titre inaugural d’un planet-opera graphique au workbuilding scénaristique assez dense et suffisamment précis pour être crédible. Bienvenue sur un autre monde loin de la Terre : « Aquablue », une gigantesque bulle d’eau planétaire dans l’immensité du vide tendu entre les étoiles. Le propos est d’ampleur, le défi semble réussi. Le ton est juvénile mais les adultes y ouvriront de grands yeux étonnés. Reste que le tout semble s’être gentiment défraichi sur le fil des années qui passent (plus de 25 ans maintenant). La présente chronique ne cible que le premier tome (la suite viendra).

Dans un lointain futur, la Terre a colonisé les mondes à sa portée. A des années-lumière du Berceau, aux franges d’un désormais foisonnement planétaire, un paquebot interstellaire de tourisme fait naufrage dans un champ d’astéroïdes (Cf Titanic et son iceberg). Une barge de sauvetage recueille un rescapé, un bébé humain, Wilfrid, et son robot-nurse, Cybot ; ce dernier, va éduquer, seul, l’enfant dans l’espace huit ans durant jusqu’à ce qu’une sonde détecte un monde non recensé mais habitable. Bienvenue sur Aquablue, une planète-océane. 97% d’eau, iles et ilots en archipels; natifs humanoïdes à la peau bleue, structure sociale tribale; des us, des coutumes, des croyances dont celle en un messie-prophète à venir; Wilfrid fera l’affaire. Le préambule est classique, la suite le sera tout autant.

la suite appartient au récit.

Superbe travail même si le scénario semble à l’affut d’idées issues du passé commun de la SF. Ce n’est pas que je n’ai pas aimé (bien au contraire) mais j’ai eu une impression de « déjà-lu ». C’est, à l’œuvre, la mécanique de Dan Simmons dans « Hyperion ». De la même manière les autochtones humanoïdes d’« Aquablue » préfigurent ceux d’« Avatar » (2009).

Tout du long de ce premier tome on sent, sous forme d’hommages et sans que cela soit rédhibitoire :

_ l’influence du Dune d’Herbert : un messie-prophète émergeant, annoncé par un tissu de légendes ; un Ver des Sables, ici version Moby Dick, une simili-baleine géante déifiée ;

_ « Le nom du monde est forêt » d’Ursula K. Le Guin : la mainmise colonialiste terrienne sur les ressources d’une planète autochtone (le pillage est en cours), l’art et la manière de sous-humaniser des indigènes spoliés ;

_ Jack Vance : une planète-eau, ilienne, tout en archipels ; sa faune, sa flore, son climat tropical propice aux éclatantes couleurs chaudes et vives ; on s’y baignerait …

_ Starwars de Georges Lucas : un Cybot, robot de morphologie mécanique humanoïde proche de G-3PO; réparties verbales savoureuses et décalées incluses …

                Au final, Nao est une délicieuse parenthèse science fictive qui porte à réflexions, une porte entrebâillée sur un monde différent du nôtre mais en prise avec lui ; les vignettes regorgent de l’ébène du vide entre les étoiles, du bleu étincelant de l’océan, de la plastique merveilleuse des habitantes. 

        C’est beau et attachant, c’est l’essentiel.  RDV pour le second tome.

 


 

mercredi 1 mai 2024

The Rolling Stones – Live At The Wiltern (2CDs+1DVD)(2024)

 




Le 8 mars 2024, peu après la sortie d’un album studio somme toute dispensable (« Hackney Diamonds »), les Rolling Stones sont de retour dans les bacs avec un élégant box-set intitulé « Live at the Wiltern ». Il contient 2 CDs et 1 DVD, mais d’autres formats sont disponibles sur le marché.

 

L’album est consacré à l’intégralité d’un show de 2002. Vingt-deux ans se sont écoulés entre l’enregistrement et la mise sur le marché ; une paille, l’épaisseur d’une génération ; c’était alors un autre monde où les Stones n’étaient déjà plus ce qu’ils furent durant les 70’s … et pourtant leur magie fut une nouvelle fois au rendez-vous. Ouvrez vos cages à miel, « Live at The Wiltern » est, contre toute attente, encore du nectar.

2024. Anthumes, en récurrente habitude récente, les Stones raclent leurs fonds d’archives sonores et vidéo, focalisent sur leurs concerts d’antan, recensent et offrent ceux atypiques ou légendaires, présentés, souvent à justes raisons, comme magiques. Ils y vont de la remastérisation grand luxe et convoquent un son impeccable. Le procédé leur est devenu une habitude marketing, peut-être trop facile, voire même polémique, si ce n’est qu’à chaque fois, loin de médire et de se moquer …. on y trouve de quoi attirer le chaland, lui plaire, le laisser penser qu’il n’a pas gaspillé ses pépettes dans des redites lassantes.  Parmi les plus récents albums concernés par le lifting : « Live at the El Mocambo» et « Grrr ! Live » qui, loin d’être inintéressants, ravivent la flamme des aficionados.

La machine à voyager dans le temps remonte, cette fois-ci, en début de millénaire. Ce soir-là, le 4 novembre 2002, au décours des 117 dates-stadiums du « Forty Licks Tour » le combo fait escale au Wiltern Theater de Los Angeles pour un show en petit comité. 2000 places à peine. Ça change des grands stades habituels. On y voit et entend des Stones (presque) intimes, à taille humaine, loin des écrans géants backstage. C’est vrai qu’avec 2000 personnes, on se sent (MDR) entre potes, chez eux, sur le ton d’une conversation badine, entre amis en train de se faire un scrabble.

Sauf que ce show aurait pu ne pas avoir lieu. La rumeur coure que la salle appartient à Donald Trump qui affirma aux médias que le combo était venu en toute amitié, rien que pour lui, que sans lui … Bref, la colère jaggerienne, qui réfuta tout terrain d’entente, n’est pas encore retombée et les Stones ont été à deux doigts de mettre les bouts.

L’occasion s’impose de ressortir de la naphtaline des morceaux moins souvent interprétés sur scène (« Live with me », « Stray cat blues », « Dance part 1 », « Rock me baby » …etc). Foin des hyper-tubes habituels qui passent à la trappe du « Prenez-pas-peur-çà-sera-pour-la-prochaine-fois » (« Satisfaction », « Street fightin’ man », « Sympathy for the devil » … etc). Quelques survivants néanmoins, à titre de rappels, histoire de marquer le coup («Brown sugar » (?), « Honky tonk woman » … etc). D’autres de ci de là ponctionnés que les Stones-de-base-addicts connaissent sur la pointe des oreilles. Le propos est plaisant. On se plait à retrouver ces petits oubliés qui ne le sont pas tant que çà.

La curiosité de l’album est la longue et puissante envolée soul de « Everybody needs somebody to love » avec Solomon Burke en guest-star (il assurait la première partie, semble t’il).

Les deux heures de vidéo, en DVD inclus, apportent l’étonnant et plaisant constat qu’à une scène à dimensions enfin humaines Jagger associe un jeu de scène moins théâtral, moins caricatural, moins sauvage et viscéral, plus discret et épuré (tout est relatif) et que sa voix, un tantinet moins « m’as-tu-entendu », à laquelle il offre plus d’attention, s’en trouve bonifiée. Itou pour les duettistes gratteux (Richards + Wood) qui tendent leurs jeux vers plus de technique et d’authenticité. Pas de marée humaine frémissante devant une scène de trois mètres de haut, pas de Jagger marathonant sans fin comme un essuie-glaces auto d’un bout de la scène à l’autre ; pas de gradins à perte de vue.

Des Stones en frissons intimes avec leur public … et çà c’est géant. J’ai kiffé.


 

mardi 30 avril 2024

Chez les flamands – Georges Simenon (Maigret)

 

 
Livre de Poche n° 35056, réédition 2010 d’un roman paru en 1932

 

Début des années 30’s, Givet, un gros bourg ardennais proche de la Belgique. De part et d’autre de la frontière, la traditionnelle opposition entre deux communautés voisines. Au cœur de l’hiver, la Meuse en crue. Des centaines de péniches à l’amarrage, coincées, agglutinées en amont du pont presque submergé qui coupe la cité en deux. Une aubaine pour le commerce local. Au-dessus du fleuve et de la ville : la pluie battante et le vent glacé, le froid persistant, les gens tôt le soir calfeutrés chez eux près du poêle ronflant, la lumière de chiches lampes à pétrole derrière les volets clos sur de vilains secrets cachés.

Une atmosphère à la Simenon : lourde et pesante. Les écharpes de brumes comme des serpillières mouillées autour des cous, le gris terne des jours sans soleil, la boue crottant les semelles cloutées des mariniers, le reflet des réverbères allumés sur l’eau gelée des caniveaux, les cols de pardessus relevés sur les épaules rentrées … Un paysage grisâtre, des gens en noir et blanc, sous des cieux plombés, de tristes et pesants destins en attente. Le drame couve, Maigret s’y montrera en arbitre, en re-conciliateur plus qu’en investigateur. Mais a-t-il eu raison ? Le lecteur se pose la question.

Une famille flamande, les Peeters, côté pile ; une autre française, les Piedbœuf, côté face.

Les premiers, aisés, détestés et jalousés, tiennent une modeste mais fructueuse épicerie-buvette à cheval sur la frontière. Le père, perdu dans les brumes du grand-âge. La mère, toute entière dévouée à son mari et ses enfants. Deux filles, Anna (gérante du commerce) et Maria (institutrice chez les Sœurs à Namur), tournées vers le bel avenir promis au frère, Joseph, qui fait son droit à Nancy et doit épouser sa cousine, Marguerite, fille d’un médecin généraliste local. Un futur espéré radieux, si ce n’est que ce garçon idolâtré par les siens a fait un enfant, il y a 3 ans maintenant, et sans formellement le reconnaitre, à une dactylo de Givet, Germaine Piedbœuf. Cette dernière disparait. L’a-t-on tuée ? Les soupçons se portent logiquement sur Joseph, son arrestation est proche. Anna, sur recommandation, s’en va à Paris demander l’aide de Maigret qui, fasciné par cette femme froide, au physique de vielle fille laissée pour compte, mais sûre d’elle-même, impassible et qu’il ne peut vraiment cerner, accepte.

Les seconds, les Piedbœuf: aux antipodes des Peeters, leur versant pauvre ; le père gardien de nuit dans une usine ; le frère Gérard, simple employé, naïf et matamore, ponctuel buveur colérique ; sa sœur Germaine à qui l’on prêtait quelques aventures.

Deux familles qui s’affrontent, se haïssent … s’accusent l’une l’autre : d’avoir tué, fait disparaitre Germaine pour l’une ; de réclamer indument pension, dommages et intérêts pour l’enfant abandonné qui ne peut être celui de Joseph pour l’autre.

A la croisée des deux familles, deux policiers :

_Machère, l’inspecteur en charge de l’affaire qui remonte en vain le fil de sa logique policière, celle des indices concrets, des horaires de trains, des sempiternelles preuves matérielles ;

_Maigret : Au-delà du fait qu’il n’est pas en service commandé, se posant en spectateur attentif et patient de chacun, le commissaire est poussé d’un clan à l’autre comme un coin forcé dans une souche, tiré d’un bord l’autre, à hue et à dia … il peine à imposer sa neutralité.

Le commissaire tournera quatre jours durant autour de chacun des personnages, creusant leurs psychologies, sondant leurs âmes, leurs faiblesses et forces, avant de se convaincre que ….

Et tandis que la pluie peu à peu faiblit, que la Meuse amorce lentement sa décrue, que les péniches s’échappent au compte-gouttes vers l’aval, Maigret arrache lentement et difficilement des bribes de compréhension au mystère, jusqu’à la révélation finale qu’il gardera pour lui et la personne qu’il démasque mais laisse en liberté … il prend le train du retour pour Paris sans référer à quiconque de ses conclusions.

Comme d’habitude chez Simenon, loin de la simplicité apparente du style, « Maigret chez les flamands » cache une intrigue où le moindre détail compte, où tout est dense et complexe mais elliptiquement travaillé et amené à un épilogue étonnant où le non-dit allusif prend tout son poids. Gare à celui qui perdrait un détail d’importance sous peine de se perdre dans un récit désormais sans tête, alors qu’au final tout se tient dans une finesse et une finalité toutes deux d’importance, un équilibre méticuleux entre ce qui est dit et ce qui est suggéré. Il faut quelques heures de réflexion pour, qu’à postériori, le lecteur tire toutes les implications de la situation. C’est à çà que l’on reconnait les bons bouquins, quand lecture close, il en reste encore des bouts qui trainent et interrogent. Et là, il y à faire .. !

Reste, néanmoins, que le positionnement final de Maigret pose questions. Au-delà du fait que le Commissaire n’est pas en service commandé, le coupable à mon sens ne méritait pas tant de mansuétude. Même si, selon toute vraisemblance, il n’y aura jamais récidive de sa part, il y a eu crapulerie, meurtre avec préméditation, subornation de témoins, violences aux portes de la folie (un crane explosé à coups de marteau, quand même). Quid des circonstances atténuantes ?  Perso je n’en vois pas. Ce coupable en liberté ne me plait pas alors qu’un faux meurtrier acheté courre toujours et que tous les personnages, ici, ont leurs parts de responsabilité dans un drame qui aurait pu trouver une solution autre … Une pièce de puzzle manque (à moins de ne pas l'avoir perçu).  Maigret semble t’il se mettre aux ordres de la recommandation première qui lui demandait de protéger les Peeters (il ne s’offre pas ainsi le beau rôle, ce n'est pas conforme à son image). Maigret ressent t’il un petit faible inconscient pour Anna (oui, non ? Je ne sais pas) ?

Néanmoins, malgré le questionnement final, « Chez les flamands » est un des meilleurs Maigret qui soient .. ! Il laisse des bouts de lui-même derrière lui et, trois jours après l'avoir refermé, je ne sais toujours pas quoi penser: coupable et policier me trottent dans la tête, ils essaient de s'expliquer mais leur conversation se perd dans le lointain.

Bruno Cremer, en 1992 à la TV, reprend, après Jean Richard en 1976, le rôle de Maigret chez les flamands. Le téléfilm fait l’impasse sur la crue, sur l’hiver (juin au lieu de janvier) ; une bien jolie et charmante Anna remplace son aller-ego romanesque ; on y parle d’Occupation et de Résistance alors que le livre fut écrit en 32 … En somme, les miracles des adaptations ciné sont de sortie ; mais l’essentiel est bien présent : une atmosphère lourde et pesante, des sourires contraints et de minces chuchotis prudents sur des lèvres à peine entrebâillées, des regards impénétrables et durs, apeurés ou haineux …. Et un coupable toujours aussi étonnamment mystérieux, avec qui Maigret va entretenir un duel voilé et trouble qui fait tout le charme du roman.

 

PS: Un regard autre, pas si éloigné, issu d'un blog voisin de palier



jeudi 25 avril 2024

La fosse – Claude Rank

 

Fleuve noir Spécial Police n°349 (1963)

 

En une de couverture signée Michel Gourdon : un homme au regard décidé, casque de cuir et lunettes de motard, les beaux yeux inquiets et calculateurs d’une bien jolie blonde aux lèvres carmin, l’ombre au sol d’une croix des chemins (sinistre présage), deux bolides de stock-car comme déformés par la vitesse. Tout le parfum graphique représentatif d’une époque, les 60’s … sous le crayon, la gomme, les pinceaux et les couleurs d’un authentique illustrateur populaire.

Promenade nostalgique en pays de polars d’antan gommés des mémoires.

« La Fosse » (1963) est un petit polar de rien (mon propos n’est nullement péjoratif, bien au contraire). 219 pages à grosse police (un quota éditorial pour l’époque) ; un roman jamais réédité comme 99% de ses semblables au Fleuve Noir Spécial Police ; une rareté relative quand les bouquineries d’aujourd’hui ne sont pas en manque de titres de cette collection et ce à des prix, somme toute, modestes.

Ce me fut, ces jours-ci, une relique poussiéreuse et jaunissante remontée de la cave sur un coup de hasard, de nostalgie et de « pourquoi-ne-pas-enfin-le-lire » entre deux romans plus conséquents, sur la foi d’un auteur que j’aime bien malgré tous ses défauts. Le lecteur y sentira, c’est cousu d’avance, un parfum polar français typique des 60’s, pleinement rétro, mâtiné roman policier de procédure, un intermède romanesque assez glauque au cœur des Trente Glorieuses hexagonales, bienheureuses, confiantes et tranquilles. Dans la mouvance de Frederic Dard (« C’est toi le venin »), de G.J Arnaud et de tant d’autres, je savais dans quoi je m’engageais ; il n’y eut aucune déception ; le charme d’un terrain déjà balisé et retrouvé fut au rendez-vous.

C’est de la « Littérature de gare ». Le genre de bouquin abandonné sur une banquette SNCF qui, depuis son achevé d’imprimer en 63, a dû connaitre une palanquée de propriétaires et de lecteurs successifs. Un bouquin, c’est fait pour çà, voyager d’un regard à l’autre. Le mien finira en BAL locale, confié au bookcrossing …. Quoi de mieux le concernant.

Rincourt, près d’Arras. Un gros bourg dédié à la betterave sucrière, un microcosme à la Claude Chabrol entre mainmise des notables locaux sur la commune et silence contraint, au minimum prudent mais complice des habitants. Joss, un trentenaire célibataire, son garage auto périclitant, son taxi poussiéreux guère rentable, son boulot de chauffeur de bus à défaut de mieux, ses coûteuses courses de stock-car sur épaves retapées et boostées. Decock, un puissant industriel véreux aux côtés d’un maire gâteux. Une gendarmerie aux ordres. Deux jeunes sœurs anglaises, belles comme le jour, très convoitées mais sages (n’est-ce qu’une impression ?) ; leur père bougon, gardien du cimetière militaire britannique voisin. Un meurtre (celui du père de Joss) non élucidé il y a 10 ans, maintenant à deux doigts de la prescription ; un autre ces jours-ci, un viol, une noyade. Un nouveau gradé en gendarmerie qui pense réussir là où d’autres ont dû fuir, évincés de l’enquête, mutés ; tout le problème étant d’inculper un coupable évident, un fils de riche, lui aussi adepte de la violence du stock-car. A moins que …

… la suite appartient au récit.

Et tandis que tout se termine sur un jugement de Dieu, sur un duel de tôles froissées et de chairs broyées … se dessine l’amer constat du « tous coupables ». « La nuit tombait sur la grande plaine d’Artois » effaçant la veille dans l’espoir du lendemain.

Claude Rank, l’auteur (1925-2003), fut 4 décennies durant un des auteurs-maison les plus prolifiques des éditions Fleuve Noir. Ses terrains d’écriture quasi exclusifs : les collections Espionnage (FNE) et, à un moindre niveau, Special-Police (FNSP). Tous ses romans s’inscrivent dans le cadre populaire du « Mauvais Genres ». Sa prolificité au détriment de sa qualité de prose en a fait, hélas, un auteur au style de plus en plus heurté sur le tard de sa carrière.

Contrairement à l’abondante documentation nécessaire à l’essentiel de ses romans d’espionnage, Rank s’en déleste ici en Special-Police et offre un polar provincial standard en quasi huis-clos qui se dispense de tout background politique ; on est dans l’entre soi larvé, la vengeance froide, les règlements de comptes, la retenue des coups qui prélude à ceux, violents et meurtriers. Depuis, on a fait mieux dans le genre. Mais circonscrit à son époque de parution, il y avait alors place pour des récits de ce type, délassants, populaires, sans véritables lendemains de notoriété. C’est, au final, plus que de la littérature au kilomètre mais l’écho d’un temps révolu durant lequel un bouquin ouvert comptait encore plus (mais çà n’allait pas durer) qu’une télé allumée.

Ainsi, au sein du défunt FNSP, à l’image de « La fosse » de Claude Rank, patientent d’étonnants polars de rien, ceux d’un temps jadis, éphémères par nature éditoriale, promis à l’oubli sous la chappe infamante de la littérature de gare. Ils valaient bien mieux que l’enterrement que l’on a fait d’eux. Certains ont été réédités, adaptés ciné ou TV ; d’autres attendent la main qui les prendra et les lira…

 

samedi 20 avril 2024

Au carrefour des étoiles - Clifford D. Simak

 
 

Réédition J'ai Lu n°847 (1978) traduction de Michel Deutsch

 

Ce roman, daté en VO de 1963, est de ceux qui pourraient plaire aux lecteurs qui détestent la SF ; et les pousser à explorer plus avant un genre en mal de reconnaissance. C’est tout ce que je leur souhaite.

« Au carrefour des étoiles » est un roman SF signé Clifford D. Simak, auteur américain majeur de l’Age d’Or US. C’est l’un de ses deux (allez trois.. !) chef-d’œuvres, aux côtés de « Demain les chiens » et, à un moindre niveau, « Dans le torrent des siècles ».

Début des années 60, Millville, un petit village du Wisconsin profond. On ne s’y mêle que peu des affaires d’autrui. Pourtant, Enoch Wallace s’y montre un drôle de paroissien. De ce que l’on sait, comprend ou suspecte, son cas interpelle. Ne serait ‘il pas immortel ? Des détails tendraient à le prouver … presque des certitudes. Les villageois s’inquiètent, l’ostracisent, murmurent, chuchotent, à tel point que les Services Spéciaux, en discrète surveillance … peu à peu découvrent un pot aux roses étonnant.

« Il était le seul espoir qu'avait l'humanité d'accéder un jour à une place parmi la vaste confrérie galactique. Mais appartenait-il encore à la race humaine ? »

L’état civil lui donne 124 ans alors qu’il parait à peine la trentaine. Les registres municipaux le recensent soldat unioniste pendant la Guerre de Sécession (le prologue traitant de Gettysburg est particulièrement prenant). Un siècle plus tard, il est toujours là, jeune, vif et alerte. Quasi reclus dans sa demeure isolée que personne ne se vante d’avoir jamais visitée. On ne le croise que peu, sans jamais lui adresser la parole, invariablement méfiants et craintifs. Il vit en quasi autarcie. Ses seuls contacts : le facteur, par qui transitent son courrier, un peu de nourriture, des revues scientifiques auxquelles il est abonné, hors de compréhension du commun des mortels, de grands registres vierges et des litres d’encre noire ; le banquier chez qui il troque périodiquement d’inattendues pierres précieuses contre espèces sonnantes et trébuchantes ; Lucy, une jeune fille du voisinage, une sauvageonne sourde et muette, un tantinet guérisseuse qui va se montrer un « Chainon manquant » crédible et émouvant… Mary, cette jolie demoiselle du Sud en crinoline et ombrelle avec qui il va vivre une bien belle, triste, émouvante mais impossible histoire d’amour … ou comment s’éprendre d’un hologramme-cadeau d’origine E.T. pas si indifférent que çà. … la suite appartient au récit. Sortez les mouchoirs.

Derrière la façade aux fenêtres aveugles de sa maison, le cas Wallace dévoile une troublante réalité, empreint d’humanisme et de bienveillance. La maison d’Enoch est une station-relais spatiale par laquelle transitent incognito les visiteurs de l’Espace. Wallace en est le gardien, le veilleur et le dispatcheur. Ses bons services de chef de gare en échange de l’immortalité … et de cadeaux étranges dont il ne parvient pas à comprendre le fonctionnement.

En parallèle au roman, le contexte géopolitique ambiant, quoique diffus, n’est pourtant pas sans importance. Alors que s’agitent jusqu’au paroxysme les soubresauts de la Guerre Froide et que, sur un coup de dés, sur un coup de folie, l’embrasement nucléaire est à portée de bouton rouge, s’inscrit l’histoire édifiante et déterminante d’un enfant de la Terre : Enoch Wallace. Le rapport à l’Atome guerrier n’est pas innocent, il s’insère dans une logique SF historique qui chercha, Hiroshima et Nagasaki aidant, à tirer les sonnettes d’alarme sur sa potentielle utilisation guerrière et ses conséquences induites. Une semblable évocation à minima apparait dans « Demain les chiens » en prélude à un changement d’importance pour l’humanité ; son usage en filigrane accentue le message véhiculé : l’Homme doit changer, mûrir, pour simplement éviter le pire, survivre, grandir. En parallèle, une confraternité extra-terrestre, dont la Terre ignore l’existence, étudie l‘Homme, acceptera ou refusera sa candidature … C’est mal barré… et pourtant.

S’il est, lecture close, un qualificatif retenir, c’est « bienveillance ». Plus omniprésent encore que dans « Demain les chiens », le terme cerne un auteur attaché aux traditions, au bon sens campagnard, aux beaux sentiments, à l’entraide communautaire. En sus de son humanisme, de son bucolisme … tout concoure vers un auteur à part, auquel s’attacher, sur lequel veiller pour que ses messages ne s’émiettent pas. Merci Monsieur Simak.

PS : un satisfecit particulier pour le travail graphique de Caza en une de couv. L’illustrateur a très souvent frappé cœur de cible et ici, plus particulièrement. On y retrouve le cœur du roman, l’ET chauve et arc-en ciel, la maison d’Enoch en sommet de falaise, la constellation étoilée qui, de là-haut, surveille.

 

Compléments d'informations:

     _
Version Originale US en deux épisodes in Galaxy (juin et août 1963) sous le titre « Here gather the stars » ;

 

_  rebaptisé « Way Station » en VO roman la même année ; 

prix Hugo 1964 entre « Le maitre du haut-château » de Dick et « Le vagabond » de Fritz Leiber ;

_ traduction initiale par Michel Deutsch in Galaxie-2 nd série n°1 et 2 de mai et juin 1964 ;


_ VF roman chez Albin Michel SF-1st série (1968), illustration d’André Depouilly ;

 _rééditions successives en « J’ai Lu » (1978) sous couverture signée Caza ; en 2004 chez Omnibus (« Les mines du temps ») … et pour finir, retraduction par Pierre-Paul Durastanti et illustration d’Akumimpi pour « J’ai Lu Nouveaux Millénaires » en 2021 (réédition poche chez le même éditeur).





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