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mardi 2 décembre 2025

La loi des rues – Auguste Le Breton (1954)

 
Presses de la Cité (1954)


Là, sous mes yeux, par désir de baigner dans un jus d’époque, le roman s’ouvre en version de première parution ; celle originale, en reliure d’éditeur et jaquette photo N&B. Le tout naquit aux "Presses de la Cité" en 1954. De l’eau sous les ponts, des décennies.. ! D’autres que moi, plus âgés, ont touché, lu et apprécié ce même livre d’occasion. 70 ans plus tard la magie n’opère plus, le témoignage autobiographique embarqué a perdu de son actualité. La thématique centrale a suivi des centaines de chemins semblables.

La une de couv : la nuit, le froid, la pluie, les éclats de lune sur le pavé luisant, les taches blafardes des réverbères sur les façades des sombres immeubles aux volets clos, les lettres au néon des enseignes … le titre laisse entrevoir « Messieurs les Hommes » … Bienvenue dans l’univers de la pègre parisienne d’antan.

« La loi des rues » est la suite naturelle et, semble t’il, largement autobiographique de "Les hauts murs" (1954). Auguste Le Breton raconte son adolescence pendant laquelle les règles du Milieu remplacèrent celles des orphelinats, des maisons de redressement ou de correction de son enfance. On est loin de la force dénonciatrice des systèmes d’Assistance Publique de l'entre-deux guerres qui éclataient au grand jour dans le premier tome. Le héros, ex-pupille de la Nation, devenu ado, glisse vers le Milieu et n'emporte plus (ou peu) l'empathie du lecteur ; il n’est plus ballotté par les événements mais devient responsable de ses actes.  « La loi des Hommes » pointe du nez, l’autobiographie y perd de son intérêt. La prose s’en ressent et fait glisser le lecteur vers l’indifférence quand le gamin chahuté fait place au jeune adulte.

On a, tout du long, l’impression d’évoluer dans un long métrage des 50’s ou 60’s, dans un de ces polars ciné à la française en noir et blanc traversés des lourdes et lentes silhouettes de Gabin ou de Ventura. On est déjà dans la série des « Rififi » où Le Breton se lancera dans le polar noir de fiction made in France. Parfums d’argot parisien et de verlan d’une époque offerte à la truanderie classique et à ses codes d’honneur. Parler canaille et gouailleur. Petits truands et jolies pépées, colt et crans d’arrêt aux lames acérées. Que de clichés… !

Paris Montmartre, Paris-Pigalle. L’écho d’une époque…. qui a fait son temps.

lundi 1 décembre 2025

Les Russkoffs - François Cavanna (1978)

 
Belfond Ed. (1979) Réédition (1981)

« Les Russkoffs » : une autobiographie, (Prix Interallié 1979) douce-amère, acide et sucrée sur les fils croisés de la débâcle de 40 à 17 ans, du Paris Occupé et des restrictions, du STO forcé au contact des Kriegsgefangener, du Berlin de 45 bientôt exsangue sous les bombes en tapis, de la fuite éperdue entre russes à l’Est et ricains à l’Ouest ... Une époque, en somme, qui pèse encore de tout son poids sur la société française. Quelques pages sombres de l'Histoire posées sur une prose toute particulière, aisée, orale et belle, mordante, sans concessions, engagée et prenante, vivante comme nulle autre, entre tendresse, amour et haine, humanisme et férocité, humour et dérision.

Cavanna (1923-2013) fut un des papas-mots (et dessins) de Hara Kiri, pas l’un des plus déjantés. Il possédait, sous la plume, l’art autodidacte des mots et des tournures de phrases innées et percussives, poétiques ou saignantes ; l’art de raconter sans peine, s’épancher sans fards, aimer sans retenue, haïr sans se taire. Tout pour faire « vivre » une autobiographie. Des choses à dire et les mots pour l’écrire.

Ce fut, tout d’abord, « Les ritals », l’histoire d’une enfance communautaire ; puis, ici, la suite avec « Les Russkoffs » ; « Bête et méchant », bientôt « Maria » … etc.

Mon père fut de la Débâcle sous le soleil de juin et les avions teutons, de STO forcé au cœur de l’Allemagne paysanne, bientôt en fuite puis « caché » à la ferme, loin de tout, dans un silence prudent, à la merci de langues trop déliées. Une histoire, en somme, très semblable à celle de Cavanna. Taiseux à ce sujet, comme beaucoup, il eut envie de tourner la page. Cette lecture lui est dédiée.

samedi 29 novembre 2025

Canned Heat – Living the blues (1968)

 



_T’as le cafard Tonton ?

_Oui. J’avoue…

_C’est l’hiver qui me fait çà, le froid, la neige, la pluie.. !

_C’est pour çà que t’écoutes du blues, aujourd’hui ?

_Un peu, mais pas que. J’aime bien çà tout simplement. J’ai toujours adoré cette musique.

_ Sur ta platine : « Canned Heat » ? « Living the blues » ?

_ Le premier c’est le nom du groupe, le second le titre de l’album. Un double LP. Cà date de 1968. L’original était en deux volumes ; ce que tu vois est une réédition en un seul.

_  « Canned Heat » çà veut dire quoi ?

_C’est de « l'alcool brut …[en boites de conserve] …destiné au chauffage mais bu, comme l'alcool à brûler, par des alcooliques désargentés qui ne peuvent se permettre rien de mieux* » (*sic)

_Merci Wikipedia.

_Ne rigoles pas. Font ce qu'y peuvent.

_Oui, passons.. !

_ « Refried Boogie » une des chansons du LP: c’est la chaleur du boogie en conserve ; çà surchauffe la tête le temps de deux faces de cire noire, soit pendant 42 minutes. Certaines de leurs pochettes montrent le produit.


_Je vois le genre.

_Mid sixties, sur la West Coast US, alors que les hippies versaient, au même endroit, dans le « psychedelic trip », fallait l'oser le gras blues blanc rustique, bien roots façon Papy-Hooker, à faire rire les noirs … Une sorte de blues-guitare électrifié en hommage aux grands maitres du genre ; ils aimaient çà et nous aussi. Et ça a marché. Les auditeurs n’étaient pas dans la Contemplation Béate de l’Univers Psyché mais dans leurs pieds qui battaient le rythme en cadence. Et dire que le groupe existe toujours et qu’il prêche encore la bonne parole du blues et du boogie.

_Les mêmes ? Sont vieux, maintenant ? Plus que toi, même, c’est dire ? Encore de la musique de vieux croutons. Du genre préhistorique.

_Oui, on avait à peine électrifié les menhirs.

-_Ca s’met pas sur 220 ces choses-là ?

_Si, à leur base y’a des prises de courant. Ils servaient d’amplis guitare.

_Tu déconnes ?

_Non, même que les dolmens c’étaient les batteries et les fémurs de dinosaures des guitares. « Carnac blues » et « Troglodyte boogie », c’est eux. Tu leur connais même une chanson. C’est sûr.

_J’suis pas archéologue.

_Si un machin de pub TV. « On the road again ». Mais pour quelle marque, j’sais plus. A propos d’archéologue, c’est presque çà les concernant ; généalogiste serait mieux pour décrypter leurs incessants line-ups …

_Tant que çà.

_Oui. Fouilla, c’est pléthore … et pas des moindres, surtout chez les gratteux, Vestine, Mandel, Wilson .. etc. Et pis la poisse , la grosse scoumoune, les décès à répétition ; les overdoses, les maladies, les accidents et tutti frutti. La foi, qu’ils avaient, je t’dis pas.. !

_N’empêche, ils ont fait poussière.

_ Hé, jeune padawan, dis pas çà, suis pas ton arrière-grand-père quand même ; Tiens-toi bien, j’ai joué, en guest-star, de la basse avec eux à Woodstock. On me voit dans le film du festival sur « Refried Boogie ». J’avais encore les cheveux qui headbangaient à grands fracas sur les amplis à donf les potentios. M’avaient remarqué en tant que requin de studio sur « Boogie Chillun » de John Lee Hooker ; j’avais remplacé HLP. Le soir même je faisais des papouilles à Grace Slick du Jefferson Airplane.

_HLP ?

_Haut le pied.

_Mytho le Tonton.

_Même qu’ils ont prié Saint-BB King et Sainte Billie Hollyday pour que je vienne. Je respirais le blues, je le vivais, le transmettais dans sa plus pure essence.

_Tout çà, c’est sûr, c’est de la fumette, oui. Tu t’inventes, te racontes, t’affabules ; l’ancêtre se shoote les deux doigts dans la prise. Des pétards plein les naseaux qu’il a, le tonton, farcis LSD. Des tampax dans les narines façon persil de cochon à l’étal du boucher. T’as eu qu’à allumer les mèches. Dis, Tantine, elle a pas dû avoir la belle vie avec toi ?.

_J’peux pas tout dire…

_Allez si dis.

_...elle m’a mis au sniffs de sachets de camomille. Cà remplace pas, crois-moi.. ! Je suis devenu un « Singe en hiver », je dors.

_Voilà t’y pas qu’y s’prend pour Jean Gabin, maintenant…

_...je préfère Belmondo , plus jeune, plus attirant, comme moi encore ; mademoiselle, à ce que j’vois, possède la référence qu’y faut.

_Bref,… A ce que j’entends : « Canned Heat » c’est des vétérans du blues blanc des 60 ‘s, des survivants du genre, des marathoniens du boogie des racines, des forçats du genre, des stakhanovistes du 12 mesures et de la note bleue. Un groupe qui bougeait les foules en tapant des pieds. J’adhère à ce blues puissant et primitif. Et que vive le boogie.

_T’as tout compris.

_... oui ; finalement, sont du genre Bigflo & Oli, voire Jul.

(Bruits de bulles de Doliprane effervescent dans un verre d’eau)


En illustration sonore: "My mistake" 


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mercredi 26 novembre 2025

Dr Feelgood - Down By The Jetty (1975)

 

De 1975 à 1977, le temps de 4 albums seulement, Wilko Johnson fut, à la guitare solo et rythmique, le riffeur fou de Dr Feelgood, un groupe de pub-rock anglais ici dans son line-up d’origine. Le musicien est décédé il y a peu (en 2022), il avait 75 ans. Wilko la Mitraille, aux côtés de Lee Brilleaux aux vocaux, fut l’âme damnée du combo avec son regard d’ombre et sa maigre, haute et inquiétante dégaine de clergyman à la Robert Mitchum dans « La nuit du chasseur ». Ses rifs saignants, au hachoir, ses lignes rythmiques acérées et pétaradantes ont fait école. Il possédait un travail en main droite métronomique, implacable, un rien robotique et saccadé, impressionnant de régularité. Wilko était quelque part avant l’heure informatique, un micro-processeur humain monté sur pattes, un robot à la cadence overclockée. Frénétiques moulinets de poignet cisaillant les riffs. Effet guillotine (ou de râpe) sur la pulpe des doigts (pas de médiator). Gifles de phalanges en rafales serrées sur les cordes. Le gonze cherchait la fréquence cardiaque de qui l’écoutait, s’y calait et poussait le palpitant captif vers la tachycardie furibarde. C’était du rock, du vrai, loin du Floyd ou de Genesis alors à la mode; le groupe était un artéfact anachronique échappé d’un passé récent, une formation atemporelle qui pouvait s’adapter en ne créant jamais rien de nouveau.

« Down By The Jetty » (1975), est le premier Dr Feelgood d’une longue lignée. Wilko Johnson va s’y insérer au fer rouge, signer les plages de sa marque de fabrique indélébile, du bout du riff d’acier trempé et sous l’impact de ses rythmiques endiablées. Il va donner une couleur (la sienne) au LP inaugural et aux trois suivants. Bientôt exilé volontaire vers d’autres horizons musicaux, il ne retrouva pas sa notoriété première. Pour Dr Feelgood, les temps changèrent ; ils avaient perdu une pièce maitresse de leur line-up ; ce qui ne les empêcha pas de perdurer. Rien, néanmoins, ne fut peut-être comme avant ; au combo il manqua son zeste de folie, la manière radicale qu’il avait de concevoir le rock. Pas de fioritures et directs au foie garantis. Dr Feelgood sans Johnson ce fut un peu comme Genesis sans Gabriel ou ACDC sans Bon Scott ?

Dr Feelgood s’inscrit dans la mouvance anglaise du pub-rock ; dans cette vague détonante qui naquit dans les pubs grand-bretons des seventies. Une dose de rock, une de bière et on remet çà, question d’équilibre des énergies. Une mouvance teintée 50’s, avec « Nine Below Zero » ou « The Inmates » en têtes de gondole autres, pour ne citer que deux représentants. Le pub-rock : un compromis entre rock et punk, un versant traditionnel d’amont, un autre, son pendant d’aval, précurseur du punk à venir. D’un côté, des clones stoniens du début des sixties ; de l’autre, une punk attitude en attente de celle, radicale, des Sex Pistols.

Sur le fil de la discographie d’un combo rock, outre le fait que le premier opus est le plus souvent éponyme (ce qui n’est pas le cas ici), il amorce, en général, le fil rouge sur lequel les autres suivront. C’est d’autant plus vrai avec Feelgood qu’avec d’autres. Z’ont jamais dérogés à leurs intentions premières, frétillés vers d’autres horizons plus mainstream ; ils sont restés tels que, inamovibles et indémodables.

« Down By The Jetty » fut, à parution, un enregistrement studio monophonique (la stéréo vint plus récemment via les rééditions). Délibérément mono. De par un désir d’hommage passéiste au rhythm’n’blues des 50’s oldies but goldies. Ce qui, de manière décalée en 1975, en une ère post-hippie et pré-punk, se traduisit aussi, en une de pochette, par un cliché photo en noir et blanc montrant le line-up façon bad guys en maraude. Les Stones et les Doors (et quelques autres) avaient déjà fait çà à l’orée des 60’s. Des trognes fermées, guère amènes, pas rigoloches pour un sou, des faciès crispés, des sourires en berne ; un contraste photographique à donf (manque que le virage sépia) ; des habits noirs, cintrés et stricts mais débraillés, des cravates filoche, l’éternelle veste de clergyman col serré pour Johnson. Des gueules de gouapes, méchantes, patibulaires et revanchardes ; des facies de carte d’identité sans expressions. Cà leur allait bien, ce look d’enfants terribles.

Et puis, y’avait la zique du Feelgood qui allait avec …

Les morceaux étaient courts, ramassés, presque simplistes (mais on s’en fichait .. !), incisifs, percutants, dédiés aux refrains, sur le fil aigu d’un rasoir affuté. Les titres étaient conçus au nerf de bœuf, comme des uppercuts précis à la pointe du menton. Rapides et définitifs, ils tourneboulaient, chahutaient, cognaient et chahutaient sévère dans la caboche de qui  les prenaient pleine tronche.

Méchants garçons.. !

La scène était leur territoire. Les français adoraient le groupe on stage pour çà. Pour ses pulsions binaires qui envahissaient tout ; pour ses compos branchées sur le 220, secouées de nitroglycérine et de TNT. C'était du rock sueur qui ne se foutait pas du monde.

« Down By The Jetty », l'album : rien que des chevaux de bataille live : « She does it right », « Boom boom (de J.L. Hooker), « Roxette », « J don’t mind » … etc

Dr Feelgood tourne encore et toujours dans l’Hexagone. Pas de pubs, rien que du bouche-à-oreille, et çà marche. Sont plus jeunes les bougres, sont plus tous là non plus, mais avec la foi qu’instille le rock ils déplacent tout et tirent la nique à qui les pensent has been.

 Long live Rock n’ roll

Du rock piment, de bar à bière, de sales mioches à tirer les sonnettes sur les pas de portes, de trognes à trainer la nuit sur le pavé luisant, de tronches à la Orange Mécanique à guigner les coups pendables.

mardi 25 novembre 2025

Chico Magnetic Band – Chico Magnetic Band (1969)

 
    

               Une chronique pas comme les autres. Plus une nouvelle autobiographique qu’autre chose. Une manière de remuer doucement le passé et d’écrire que c’est comme çà que les choses adviennent, sans qu’on le sache.

« Chico Magnetic Band ».

Je suis tombé sur ce vinyle à parution. En 1971. J’étais ado. Il était, à m’attendre, dans les bacs d’une médiathèque d’entreprise. 50 centimes de franc le prêt de 4 vinyles pour trois semaines. Belle aubaine. Tant de choses à découvrir à une époque où le Web n’était même pas un rêve. J’ai dû emprunter la galette de cire des dizaines de fois. Sans me lasser. Sans vraiment comprendre ce que j'avais entre les mains.

L’album fit partie des raisons pour lesquelles j’ai toujours aimé le rock. C’est même lui qui me l’a fait découvrir. Il ne lui aura fallu guère plus de 32 minutes sur 2 faces pour me scotcher, me souffler dans l’oreille « Mec, tu viens d’en prendre pour des décennies à aimer çà ; le rock t’a choppé ; démerde toi avec ce boulet faustien ».

Bien sûr il y eut d’autres groupes à s’y coller ; mais celui-ci est spécial. C’est une curiosité obscure qui n’aurait jamais dû être choisi comme représentatif de ce qui alors était nommé « Pop-Music »… et pourtant c’était bien le cas. Comment, était t’il arrivé là ? Le rock n’était alors qu’un marché de niche où trouver des renseignements n'était pas chose aisée (ça allait changer, et pas qu’un peu) dans le flot variétoche mainstream qui squattait tout, de la prudente TV d’état aux ondes longues des radios …. à l’époque c’étaient, Outre-Atlantique et à la rigueur, les Stones et les Beatles. Même eux n’avaient pas suffi pour m’attraper. Il m’a fallu attendre le Chico Magnetic Band. Si si.. !

Sans le savoir, ce fut aussi mon premier contact avec le rock psychédélique comme le fut, la même année, Chicago Transit Authority avec le brass-rock. Chico Magnetic Band était aller pêcher ses influences du côté d’Hendrix, c’était manifeste, mais çà je ne le comprendrai que plus tard. Même qu’il reprenait « Crosstown traffic » en creux de sillon, c’est dire.

En plus le Chico Magnetic Band était de par chez moi (ou presque). De Lyon, à quelques années des Ganafoul, Factory, Killdozer, Starshooter et autres Electric Callas à venir qui allaient donner à la Capitale des Gaules un éclat rock jalousé par Paris.

Alors, bien sûr, au regard de son existence éphémère et de sa discographie maigrichonne je n’ai jamais vu le groupe sur scène. Parait pourtant que c’était hallucinant, presque fou; une histoire de baignoire derrière le micro, une autre de casque métallique à feux d’artifices. Mais çà c’est une autre histoire.

Quand la médiathèque analogique de ma jeunesse s’est sabordée 25 ans plus tard pour cause de déferlante numérique, ses vieux vinyles se sont vendus une misère, et en trois coups les gros, à qui en voulait encore. Le Chico fut de mes premières prises. Tu parles, je le guettais celui-là. L’était encore bon, c’était celui même qui avait tant tourné sur ma platine, que j’avais rayé par imprudence regrettable, celui qui symbolisait à lui tout seul ma passion. Fallait pas le louper.. !

"Crosstown traffic" en illustration sonore

lundi 24 novembre 2025

Keith Richards – Mean offender (1992)

 


Vous qui viendrez sur « Mean offender » en espérant serrer la louche aux Stones de 1992, les y rencontrer en guest-stars d’un album solo du guitariste-maison, passez votre chemin. Vous n’y trouverez, seul et comme annoncé, que Keith Richards, leur gratteux rythmique de toujours, accessoirement soliste et, pour le coup, chanteur d’un soir. Les autres ne sont pas là.  On s’en passera.

A ce type de projet, c’est la deuxième fois qu’il s’y colle, le « Papy-rock-trompe-la-mort ». Il reste fidèle à ses X-Pensives Winos qu’il trimballe à l’occasion on stage et/ou en studio en période hors-stones. Out donc « Jagger-le-Lippu », « Watts-le-Flegmatique », « Wyman-le-taiseux » et « Wood-la-canaille-rigolarde ». Z’ont pas été conviés ; d’autres, moins dans la lumière, sont venus. Et ils ont bien fait.

Richards a souhaité, pour « Mean offender » après « Talk is cheap » (1988), un grain de sel différent, pimenté autre, assaisonné maison. Ça sonne comme si ce n’était pas tout à fait les Stones, sans les Stones mais avec Richards qui sonne comme il sait le faire. Bienvenue in « New-Richards-land », en son pays musical à lui tout seul, sans les autres vieux compères pour interférer/parasiter.

Que je vous dise pourquoi çà matche à donf, ce second effort en solitaire.

Ce n’est pas un album solo post-split d’un groupe en bout de course, une aventure nombriliste solitaire, un passage obligé et contraint de loin en loin pour rock-star enkysté dans un combo de légende, un one-shot calibré fin de cycle, de règne ou bouteille à la mer, histoire qu’on n’oublie pas le guitareux dans le no man’s land studio entre « Steel Wheels » (1989) et « Voodoo Lounge » (1994). Les Stones, en 92, courent toujours sur leur élan (et pourtant on ne les y pousse pas trop.. !). Richards, du troupeau à la langue tirée, tient toujours la guitare cinq cordes (il n’a peut-être pas le budget pour la sixième ?). « Mean offender » n’est, au final, qu’un humble LP studio ponctuel, qui s’essaie à autre chose histoire de voir ; c’est, pour son auteur, que du pur plaisir, et çà se sent. J’ai, au final, beaucoup d’affection souriante pour cette galette qui respire la tranquillité et gomme tout « m’as-tu-vu-en-rock-star ».

On peut passer à côté de « Mean offender » si l’on se satisfait d’une première écoute. Ne pas s’y fier, renouveler l’expérience jusqu’à ce que la sauce prenne. Ne pas s’y fier quand tout y parait simple d’intention, de composition et de production minimalistes. Ne pas s’y fier alors que basse et surtout batterie tissent une structure rythmique à minima, voiles réduites, faussement aérienne, sur laquelle viennent se greffer, se superposer quelques éléments de décorations surajoutés qui font tout le charme de l’album. Il n’y a pas d’intentions stoniennes vraiment évidentes, histoire de cloner et de laisser croire au nouveau Stones dans les bacs à disques. En fait il y a juste ce qu’il faut pour que l’auditeur se dise « C’est bien Richards aux commandes, on y trouve sa patte et çà fait du bien» ; chaque plage carbure à l’essentiel dans la magie de l’instant.

Titres à écouter en priorité : tous. Chacun son âme, sa couleur, de la ballade au rock bon teint en passant par le reggae. La track-list : un tout cohérent qui se justifie par l’équilibre entre morceaux cool et ceux plus âpres et dynamiques.

Richards, de toute façon, vendra quoi qu’il propose. Mais, là où d’autres dans la même position se sont plantés vilain sur le fil d’egos surdimensionnés, le guitariste vient en toute humilité nous proposer un album à hauteur d’homme, simple, direct et tranquille.

33 ans plus tard l’opus a gardé fraicheur et spontanéité. Il ne se montre ni daté ni désuet. La raison est à trouver dans son atypisme qui use du minimum pour plaire et convaincre.

Superbe.

"999" en illustration sonore

1     "999" (Keith Richard,Steve Jordan, Waddy Wachtel) – 5:50

2     "Wicked a2 It Seems" (Richards, Jordan, Charley Drayton) – 4:45

3     "Eileen" (Richards, Jordan) – 4:29

4     "Words of Wonder" (Richards, Jordan, Wachtel) – 6:35

5     "Yap Yap" (Richards, Jordan, Wachtel) – 4:43

6     "Bodytalks" (Richards, Jordan, Drayton, Sarah Dash) – 5:20

7     "Hate It When You Leave" (Richards, Jordan, Wachtel) – 4:59

8     "Runnin' Too Deep" (Richards, Jordan) – 3:20

9     "Will but You Won't" (Richards, Jordan) – 5:05

10  "Demon" (Richards, Jordan) – 4:45

 

dimanche 23 novembre 2025

Quicksilver Messenger Service – Happy trails (1969)

 


En mars 1969, à quelques mois du Festival de Woodstock auquel il ne participera étonnamment pas, le groupe californien Quicksilver Messenger Service se montre, avec « Happy trails » son 2ème album, à l’apex live de sa carrière, au summum de cet acid-rock toujours en vogue sur la Côte Ouest des Etats-Unis. L’opus, mythique s’il en est, marque, le temps de deux faces de cire noire, 50 minutes durant, l’apogée d’un état de grâce psychédélique au crépuscule des sixties US. « Happy trails », dont les morceaux ont été enregistrés en concerts en 68, s’installe au zénith flamboyant de la mouvance musicale hippie. Aux côtés d’autres pointures du genre, Grateful Dead, Jefferson Airplane et Big Brother & The Holding Company, le groupe semblait, jusqu’alors, ne pas avoir la notoriété de ceux susnommés et ne jouait que les seconds couteaux malgré d’évidentes qualités techniques.

… et pourtant, grâce à son envergure scénique devenue légendaire, voici le combo au premier plan … avant son déclin programmé, à peine deux ans plus tard. Car, là où, en twin-guitaristes de légende, John Cippolina et Gary Duncan tutoyèrent les étoiles à coups de prouesses virtuoses, de riffs croisés ou à l’unisson, de soli « à-toi-à-moi » frôlant la perfection ... allait bientôt (re)débarquer le despotique Dino Valente (vocals) au sein d’un line-up qui inaugurera une facette plus folk-rock (et par là même discutable au regard d’un passé flamboyant désormais sous l’éteignoir).

 Je suis venu, jeune, à QMS via son album de 1971 « What about me » qui, sous la main mise de Valente, se montra pour le moins inégal, offrant néanmoins quelques titres de belle qualité (« local color », « subway » et « won’t kiill me » … etc). J’ai, ces temps, mis les mains sur ce « Happy trails » que la critique encense depuis belle lurette. J’ai ainsi découvert une autre facette du combo, celle axée sur ses belles envolées d’acid-rock, toutes guitares virevoltant dans l’air du temps.

En 69, des scènes de Los Angeles à celles de New-York, du Fillmore West au Fillmore East, les enregistrements live retenus pour « Happy trails » vont marquer l’histoire du rock, On stage, ils seront baignés des célestes improvisations, sous les pulsations du LSD, de deux brillants solistes de la six-cordes. « Happy trails » est un disque rock parmi les plus grands ; il revient régulièrement dans les n° spéciaux de magazines (type « Rock et folk ») où la presse spécialisée recense et critique « les meilleurs albums du rock » ; pas un chroniqueur n’oubliera « Happy trails » au rang des galettes noires de légende ; et c’est mérité.

La totalité de la face A cible un standard de Bo Diddley. Son titre: « Who do you love ». Le morceau s’y étire sur 25 minutes de grâce absolue. Il deviendra cheval de bataille du combo sur scène. C’est une suite en 6 parties : ses extrêmes exposent, inaugurent et concluent le thème principal ; les autres sont prétextes à des impros solistes inspirées de chacun des membres ; le tout devient territoire d’expérimentations sonores où chaque musicien prend sa part et son évident plaisir. Les deux solistes tissent un monde où les questions/réponses d’une guitare l’autre deviennent bavardages virtuoses pour le moins étonnants et plaisants, cavalcades incessantes et impros denses et complexes. Tout change sans arrêt de formes et d’intentions ; les comparses fusionnent, s’éloignent l’un de l’autre, se retrouvent à nouveau, communient ; une telle osmose est rare, c’est un summum du genre. Les canaux droit et gauche, en ricochets incessants de l’un vers l’autre exposent les éclairs de notes suraiguës si reconnaissables de John Cippolina et le jeu plus orthodoxe de Gary Duncan.

La Face B, au-delà de « Mona », une autre reprise de Bo Diddley mais plus ramassée, embraye sur « Maiden of the Cancer Moon » et surtout « Calvary » où les impros reprennent leurs droits, renaissent.

« Happy trails » : au fer rouge du rock psychédélique façon US de la fin des sixties ; un quatuor, QMS, émargeant au Flower Power toutes guitares dehors ; le chassé-croisé de quatre musiciens d’exception face à un public qui, vraisemblablement, n’en demandait pas tant ; un disque en témoignage d’une époque révolue ; une musique électrique ensoleillée aux couleurs de San Francisco.

Superbe et indispensable chef d’œuvre.


    Line up :John Cipollina – Guitar, Vocals ; Gary Duncan – Guitar, Vocals ; David Freiberg – Bass, Vocals, Piano ; Greg Elmore – Drums, Vocals, Piano, Percussion

 

Face A "Who Do You Love Suite" (25’22’’)

I. "Who Do You Love (Part 1)" (Ellas McDaniel)

II. "When You Love" (Gary Duncan)

III. "Where You Love" (Greg Elmore)

IV. "How You Love" (John Cipollina)

V. "Which Do You Love" (David Freiberg)

VI. "Who Do You Love (Part 2)" (McDaniel)

 

Face B (24’47’’)

01.       "Mona"           McDaniel        6:53

02        "Maiden of the Cancer Moon"          Duncan            2:54

03        "Calvary"         Duncan           13:31

04        "Happy Trails" Dale Evans      1:29

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