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mercredi 28 décembre 2022

Mystère Monk - Franck Médioni

   

 Seghers Ed. 2022

     "Mystère Monk" (signé Franck Médioni*, Seghers Ed., 2022) est un livre de toute beauté consacré à un pianiste US de jazz, Thelonious Monk, qui marqua le genre d'une empreinte conséquente, indélébile et durable, intemporelle et mystérieuse. Retour sur sa vie (1917-1982), son œuvre, son art à nul autre pareil, son renom, son influence et sa postérité, son génie et sa singularité. 

    L'ouvrage est copieux (Ô combien..!); il est présenté sous la forme d' un collectif d'auteurs tout du long de 360 pages grand format, grand luxe; on y trouve un taf impressionnant de photos de qualité (principalement en noir et blanc); une pléthore de textes brefs ou abondants, judicieusement argumentés; une centaine d'illustrations originales pleines pages jaillissent comme autant d'interludes graphiques inspirés. En tout: 200 participants (écrivains, poètes, journalistes, peintres, dessinateurs, musiciens, critiques, scientifiques ... etc). Chaque intervenant apparait selon son envie, son ressenti, sa façon de percevoir les choses et de les présenter: billets brefs et éphémères (voire éthérés) et articles de fond (souvent érudits). Lus bout à bout, perçus et brassés comme autant de ressentis parallèles croisés, cette myriade d'articles imbibés de la subjectivité des opinions de chaque intervenant, tissent de Monk un portrait sans cesse changeant à l'égal d'un mystère à résoudre, d'un mirage mouvant qui se résorbe et se reconstruit plus loin (énigmatique toujours autant) au fur et à mesure qu'on s'en approche à nouveau. 

    En somme "Mystère Monk" est un énorme livre-puzzle (lire un OLNI**) qui, construit de pièces agglutinées, juxtaposées, emboitées, dévoile peu à peu de l'homme et du musicien un impressionnant portrait polyphonique tissé de mots mais aussi d'images (et en background, de notes de jazz immortelles). Un défi titanesque (pari réussi) que celui-ci, un projet dense et complexe, un rien touffu; une ambition folle autour d'un personnage énigmatique, atypique et difficilement catégorisable. Chapeau..!

    Thelonious Monk, sur le fil tendu entre les billets successifs, se dessine peu à peu comme un voisin venu d'ailleurs. C'est un homme (et un musicien) définissable comme légèrement uchronique. On le sent, hors de son temps, en passager clandestin d'un monde, le notre, qui n'est peut-être pas/plus vraiment le sien. Il se montre artéfact jazz venu d'un univers musical E.T. parallèle où les règles pianistiques sont légèrement différentes et en conséquence déroutantes. C'est un compositeur-interprète (il reprend aussi des standards jazz en y apportant sa patte) à la croisée des parallèles entre normes d'un côté et divergences de l'autre. Monk: un jazzambule décalé sur les lignes de partitions musicales inattendues et inhabituelles, un pas de côté, au bord du vide insécure, le suivant stable et conforme aux attentes. C'est un musicien  hésitant/oscillant sur d'autres fils, les siens propres, des déviations plein la tête. D'où les dissonances, les silences déroutants, les impasses, les déviations, tout un code de musique en Terra Incognita. Notes cassées, brinquebalantes, ferraillantes, percussives, griffures sonores, comme jaillies de touches désaccordées, frappées par inadvertance alors que, par malice, délicatement choisies. Phrasés brutalement discordants, quelques notes abruptes, comme en accrocs accidentels en cœur de mélodies pourtant  minimalistes.

    Thelonious: un drôle de prénom. Un drôle de patronyme, tout autant: Monk. Une identité accolée à "Sphere" (Thelonious Sphere Monk) qui était une approximation du nom de sa mère (Speer). Un homme de belle taille (1m95m), une silhouette massive, l'image d'un ours pataud qui surplombait son piano comme d'une ombre enveloppante et frappait les touches comme le ferait un percussionniste. Bienvenue en pays jazz be-bop; 88 touches de piano à dispo du cœur de l'âme d'un génie jusqu'au bout de ses doigts courts, boudinés et bagués. 52 blanches, 36 noires, de quoi nourrir les multiples univers sonores qui mijotaient sous ses couvre-chefs de formes diverses qu'il affectionnait. Du jazz plein la tête, des fourmis-croches plein les doigts. La danse de l'ours bougon quand çà swinguait à l'apex jouissif des concerts. Un doigté percussif, des notes frappées, martelées, cassées. Des dissonances calculées, programmées, supposées à l'instinct alors qu'elles n'étaient que, tout simplement, savamment mûries et anticipées. On aime/on n'aime pas. On oublie/on en redemande. L'auditeur est indifférent, voire férocement critique ou addict. ON/OFF, pas d'autres alternatives.

    Un corps souffrant, une tête foutraque bipolaire, comme en vadrouilles ponctuelles de moins en moins éphémères, un exil social (qui a dit doré ?) de dix ans, une fin de vie en cul de sac, en terminus brutal et programmé. Le silence, presque total soudain. One Way..!

    J'avais récemment croisé Thelonious Monk et la baronne Nika Pannonica de Koenigswater à Cathouse*** entre les pages de Viper's dream de Jake Lamar aux éditions Rivages/noir. "Mystère Monk", signé Franck Médioni, m'a permis de rester dans l'ambiance musicale d'alors, de m’immerger, hors polar noir maffieux, dans la véritable Histoire du jazz new-yorkais des années be-bop et d'entrevoir, au-delà de Monk, les grandes figures du genre: Miles Davis, Duke Ellington, John Coltrane, Charlie Parker en studio, sur scène, dans leurs vies quotidiennes, dans leurs interactions fécondes … Toutes ces guest-stars étaient accompagnées de la foultitude de jazzmen qui, dans l'ombre, portèrent certaines étoiles au firmament de la musique noire. Sacré casting que celui offert par Médioni, Monk en figure de proue, une myriade de guest-stars dans son sillage ou dans leurs rôles propres. Lire "Mystère Monk" comme une promesse de voyage merveilleux en pays de jazz éternel, si ce n''est pas du bonheur, çà y ressemble beaucoup ..!   

*: j'avais lu, apprécié et chroniqué sa "Biographie" de Miles Davis.

**: Objet Livresque Non Identifié

***:  Héritière Rothschild, mécène du jazz noir new-yorkais, Nika habitait « Cathouse », une grande maison sur l'Hudson où elle hébergea une centaine de chats, des musiciens dans la dèche pour une nuit, pour une vie (Thelonious Monk) ou pour y mourir (Charlie Parker).

En illustration musicale









   

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