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mardi 8 mai 2018

Cailloux et lentilles


Mon père faisait le jardin.
En début de printemps il traçait des lignes au cordeau, bêchait, piochait, pelletait, préparait la terre pour les patates, les carottes et les haricots à venir, semait.
Cela faisait partie de sa vie d'ouvrier de s'essayer à celle du paysan pour économiser sur les traites de la maison.
Il suait sang et eau au fond de ses tranchées.
Souvent sa courte silhouette maigre et voûtée, béret noir accroché à sa calvitie, mégot de "bleu" éteint et encore accroché à sa lèvre inférieure, se penchait en avant, disparaissait derrière la terre remuée, cherchait quelque chose au sol .
Un long juron éclatait.
Une pierre, tirée du fond de la Terre, voltigeait et au terme de sa courbe rejoignait des centaines d'autres déjà en tas.
Mon père a passé 50 ans de sa vie à faire des tas de cailloux, à les évacuer à la brouette quand il y en avait trop.
Et souvent il me disait: "Je ne comprend pas. Plus j'en enlève, plus il en remonte. Chacun de ces cailloux a passé sa longue vie à faire chier la mienne"

Maintenant, à chaque fois que je pense à lui, il me sourit, la goutte au nez, les mains terreuses et crevassées et me tend en creux de paume ouverte un blanc éclat de quartz laiteux encore enrobé de filets de terre humide..!

En un temps où il était plus prudent de trier presque une à une les lentilles sèches du Puy-en-Velay pour éviter de se casser les dents sur des cailloux de cinquième colonne minérale, ma mère en déversa un paquet sur la toile cirée de la table de cuisine et demanda à mon père de l'aider.
Et ce dernier de lui répondre
_"Cherches les pas trop loin, ils sont tous en haut du tas. C'est gravitationnel: chez les cailloux, le plus lourd va toujours en haut..!"


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