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jeudi 16 décembre 2021

May – Laurent Cappe

 



Vendeurs de mots Ed. (2021)

 

A sa sortie, début 2021, le premier roman de Laurent Cappe, intitulé « Bleu », ne m’avait pas déplu, loin de là. L’auteur, m’avait semblé un talent prometteur, un écrivain qui convenait à mes attentes romanesques tournées vers l’humanisme. Nombre de qualités étaient présentes, vers lesquelles revenir au cas où « Bleu », en premier pas éditorial publié, serait suivi d’un second. L’auteur avait manifestement des choses à dire et possédait la manière pour nous les faire partager. Au gré d’un style habile et fluide, sur le fil d’un thème étonnant, à la rencontre de genres disparates (littérature générale, roman d’amour, thriller, Fantastique, récit historique ...), « Bleu » s’était présenté comme une belle réussite. A suivre, donc, m’étais-je dis …

Le temps du second roman est enfin là. Je l’attendais. Avec impatience. De parution toute récente, voici « May ». Tel est son titre ; « Un château, deux femmes, trois destins », son sous-titre. Judicieuse précision. Il s’agit, bel et bien, de destins croisés et parallèles : ceux animant des êtres aux vies imbriquées, une douzaine de personnages s’agitant au fil des pages, trempés dans le détail explicatif de ce qu’ils sont et montrent aux autres, interagissant comme sur une scène de théâtre (l’auteur est metteur en scène), comme taillés dans la vraie vie, attachants ou vils, heureux ou désespérés, tendres ou distants … En somme : un échantillonnage d’âmes, un panel de sentiments dont le brassage fait la Vie, la nôtre, belle et cruelle. Deux personnages prennent l’avant-scène, Belle et May ; je vais m’y attarder ; même si les autres ont leur part dramatique, plus qu’en simple background …

De nos jours, dans le Pas-de-Calais, un domaine à vendre, celui de Broclemet. Son château du XVIIIème, son parc, ses dépendances. Un prix dérisoire, pour une demeure bien entretenue, alors qu’elle semble ne pas trouver preneur. Pourquoi ? Belle, une jeune parisienne, désireuse de rompre avec la vie citadine, en envisage l’achat. Pour elle, Bloclemet, en plus d’être un coup de foudre, possède un potentiel touristique marqué; c’est le défi économique d’une vie, la sienne, enfin recommencée. Le grand saut s’impose. Encore faudra t’il être à la hauteur…

            Une acquisition insolite devant notaire: May, l’ancienne propriétaire a, avant décès, imposé des clauses testamentaires restrictives de vente ; elles sont restées longtemps insatisfaites, certains profils d’acquéreurs ayant été rejetés. Belle coche toutes les cases. Étrange sensation que celle de se sentir irrésistiblement prédestinée au lieu. D’autant qu’acte de propriété en poche, le notaire lui remet une lettre de May. L’ancienne propriétaire l'invite à un jeu de piste dans la bibliothèque du château. De livre rare en livre rare : à chaque fois une lettre entre les pages, un fragment autobiographique d’une vie maintenant enfuie, une énigme pour dénicher le roman suivant, la prochaine lettre, la suite. D’épisode en épisode se déroule toute une vie qui, du berceau à la tombe, à cheval sur quelques générations, va percuter celle de Belle alors que les deux femmes ne se sont jamais croisées. Rationalité bafouée, le roman de Laurent Cappe prend peu à peu la pente d’un Fantastique littéraire alors que, par-delà la mort de May, se dessine un étrange dialogue entre deux femmes à la rencontre virtuelle l’une de l’autre.

            … la suite appartient à qui lira et se laissera prendre au piège d’une situation de plus en plus complexe, illogique, irrationnelle, où l’on ne parvient que difficilement (c’est voulu et réussi) à mettre bout à bout des destins. Au-delà de l’irréalité de façade devrait s’imposer une logique. Oui, mais laquelle ?

               Les mots-clés du récit sont : les passés gommés des mémoires collectives, leurs difficiles transmissions d’une génération à l’autre, l’illusion de nos existences et … la puissance de la fiction.

            « May » est un thriller soft où mijote un suspense qui ira crescendo. Des mises en abime systématiques sont posées en fin de chaque chapitre ; elles se montrent en attente impatiente de ce qui menace, intrigue, promet d’être enfin révélé. Le roman se fait page turner. L’intrigue, tour à tour, s’éclaire de révélations intermédiaires puis s’opacifie de mises en impasse qui obligent le lecteur à reconsidérer la situation sous un autre angle. L’intrigue avance par petites touches superposées, minutieuses et prudentes (point trop n’en dire, on pressent l’auteur sur la retenue). On croit par instants saisir le fin mot de l’histoire, alors que se dérobe l’instant suivant ce que l’on avait échafaudé. La mise en abime finale se cache, se dérobe, explose en son temps. Elle est autre, ailleurs, sur un autre plan …

            Alternance de chapitres courts mettant en scène tour à tour chaque personnage. Un seul (ou presque) est en « Je narratif ». Celui de May. Insigne honneur, logique et essentiel. C’est l’axe autour duquel tout tourne, gravite, s’explique. Alors qu’elle n’est plus de ce monde, qu’au-delà de sa tombe elle se montre en pivot, drivant son monde, suggérant ce qu’elle attend d’eux en toute bienveillance et logique. Sacrée bonne femme à l’épreuve des temps qu’elle traverse. Un caractère bien trempé dans la solitude imposée par ses parents, au cœur des horreurs de 14-18, dans ces Années Folles où elle tente en vain de s’oublier, dans son refus du fatalisme collectif sous l’Occupation, dans ce que lui réserve le destin qui lui rend monnaie de sa poche …

« May », un roman à mi-chemin entre littérature générale, Fantastique classique, thriller et policier. J’ai eu un temps l’image brève mais prégnante d’une partie de Cluedo : unité de lieu (château, bibliothèque, salon, hall, salle à manger…), une douzaine de personnages, un crime pressenti, une arme dont on ignore la nature et la cible. « May » est un puzzle d’évènements, de sentiments, d’individus disparates appelés à s’entraider ou à s’affronter. Un puzzle dont la dernière pièce manque. Il vous faudra l’attendre ou l’entrevoir. Redoutable défi. Je ne l'ai pas vu venir. Peut-être y parviendrez vous avant l'heure ?

            Les mêmes qualités que celles déjà à l’œuvre dans le premier roman sont présentes ; les mêmes mécanismes d’écriture, précis, ingénieux et emboités ; la même sensibilité à fleur d’âme ; le même objectif de bonheur partagé ; tout dessine peu à peu le portrait d’un conteur. Cappe en a les thèmes, les mots, la manière de les agencer.

            Je viens de terminer la lecture d’un roman tendre, touchant et émouvant. Je quitte à regret Belle et May, Jasmine et Hervé, Marc et Elisa, Victoire et tous les autres …

            Ils étaient là, avec moi, le temps de quelques heures à tenter de les comprendre, en apprécier certains et en haïr d’autres. Ils vont me manquer, continuer sans moi leur existence de papier, si proches, pourtant, de ce que la vraie vie nous offre ou nous fait subir. 246 pages désormais destinées à d’autres lecteurs (chanceux que vous êtes) pour peu qu’ils se laissent convaincre par un voyage qui vaut le détour.

5 commentaires:

  1. Très belle chronique que voilà...j ai bien envie de le lire, ce roman :-) je note!

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  2. S'il me fallait faire un dessin symbolisant ce que j'ai lu, ce serait une photo de famille sur le perron d'un château, tous debout et souriants face à l'objectif. Belle, Victoire, Hervé, Marc, René, Elisa, Jasmine … autour d’une silhouette centrale féminine, évanescente, en filigrane, vaporeuse, évanouie, presque déjà absente. Celle de May. Chacun ayant un geste touchant pour l’autre, un bras sur une épaule, une main dans une autre, un regard perdu dans celui d’à côté. Et en background une silhouette de dos qui n’a pas trouvé sa place.

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  3. Un autre ressenti (très voisin) sur blog ami:
    https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2021/12/laurent-cappe-may.html

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  4. Et que voici le marque-page
    https://i.postimg.cc/9MC5tvf6/img042-2.jpg

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