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samedi 21 novembre 2020

Le Chien jaune – Georges Simenon (1931)

 

Réédition 1964

 

Concarneau. Une nuit d’hiver des années vingt ou trente. L’obscurité. Le port désert. Le froid. La pluie. Les barques s’entrechoquant dans la tempête qui s’annonce. Les faibles lumières d’un café dont la porte s’ouvre ; des cris, des rires s’en échappent ; une silhouette ébrieuse s’en va le long du quai, elle titube. Un coup de feu, l’homme s’affale. C’est un notable. Maigret, détaché de Paris, enquête. Une disparition, une tentative d’empoisonnement dans la foulée: deux autres notables sont concernés. Dans le café de l’Hôtel de l’Amiral où Maigret porte toute son attention, un gros chien jaune, pouilleux et sale, que personne ne connait, se couche dans la sciure sur le parquet et attend au pied de la caisse enregistreuse. Il va devenir le nœud par lequel tout se dénouera d’une sombre affaire locale. Il apparaitra vite comme le témoin probable mais silencieux d’un passé revenu demander des comptes, expliquer un présent où se mêlent crimes et silences des uns et peur palpable des autres.

Ce n’est qu’un début, la suite appartient au récit…

« Le chien jaune », écrit en 1931, est un des premiers Maigret, le sixième seulement dans la bousculade des 75. Je ne suis, jusqu’à présent, jamais descendu aussi bas dans l’ordre chronologique de la série. Mon choix initial fut d’y picorer au hasard, sur le fil des acquisitions successives. Mon ressenti, concernant cet opus, bien que positif, est curieux, bizarre, fuyant, malaisé à définir. Je n’écris pas mitigé : ce Maigret là est excellent, comme tous les autres déjà lus, jamais un en dessous de la moyenne ; là n’est pas le problème, si même d’ailleurs problème il y a.

Alors, quoi, que se passe t’il ?

Du déjà lu et oublié ? Sûr que non : l’épilogue, singulier et glauque à souhait, me serait resté en mémoire. Simenon, comme à son habitude, s’y montre peu enclin à concéder le moindre crédit au genre humain ; même si Maigret au bout du bout libère une bouffée d’espoir.

Du déjà vu ? Pas plus : une seule adaptation ciné en 1932 dont j’ignorais l’existence, deux téléfilms par la suite avec Jean Richard (le premier en N&B, le second en couleurs) que je n’ai jamais vu.

On y trouve, en ébauche déjà bien dégrossie, le Maigret à venir. Celui qui, dans sa singularité, attirera l’attention, l’empathie du lecteur et le succès de la série. Ce qu’il est, à gros traits, ira en s’affinant sur le fil des épisodes:

_sa silhouette pachydermique éternelle, pipe, chapeau melon et pardessus inclus, sa fausse nonchalance, ses yeux bovins, son intuition à défaut d’intelligence ;

_son caractère grognon, bourru, un rien taiseux, quelquefois paternaliste ;

_sa faculté à se faire oublier, à se faufiler sans heurts entre les choses et les êtres, celle de se rendre invisible, de se noyer dans la masse (les journalistes qui envahissent bruyamment le café lui servent de paravent derrière lequel il observe, sourit, s’interroge, compatit ou s’énerve) ;

_sa patience à l’écoute des autres, de ce qu’ils disent et taisent, de leurs failles, forces et faiblesses. On le sent aux aguets des sons creux ou pleins qu’ils renvoient sous les assauts de la moindre haine, passion, ambition ou peur qui les agitent. Le maitre mot du « Chien jaune » est la peur, celle par exemple qui verrouille, on ne sait pourquoi, le Dr. Michaux ; celle d’Emma, la servante, qui par instants laisse échapper des notes d’espoir sur le masque figé qu’elle s’impose ; celle des habitants de Concarneau qui peu à peu s’inquiètent au-delà de leur curiosité malsaine première (un étrange vagabond rôde, un colosse, des mains en battoirs, du 46 aux pieds). L’atmosphère générale en devient suffocante, fiévreuse et instable ;

_ ses rapports distants avec les avancées de la police scientifique. On ne change pas ce qui marche. Un adjoint à peine sorti d’école reste ébahi devant sa fausse apathie, ses yeux dans le vide face à des empreintes de pied dans la boue, le fait qu’il fasse fi des indices matériels le laisse pantois ;

_sa prédisposition marquée pour le bon vin, la bière, la nourriture de choix (pas de Mme Maigret dans cet épisode) et les repos compensateurs ;

_ses rapports difficiles, souvent houleux, avec sa hiérarchie et les hommes de pouvoir, la prudence et la distance qu’il leur impose l’air de rien ou de manière définitive (ici le maire de Concarneau s’entend dire : « J’entends qu’on me f … la paix ») ;

_ ses enquêtes ponctuelles en province, souvent à la rencontre du nœud vérolé d’une notabilité locale, dédaigneuse et méprisante, détestable et hautaine, prisonnière d’un entre-soi silencieux qui ne demande qu’à se dénouer aux yeux de tous, face à de petites gens taiseux et hypocrites ou tout simplement honnêtes et vindicatifs.

Tout Maigret est donc déjà là dans ce « Chien jaune », on y trouve l’essentiel de son personnage singulier et atypique. Mais il m’est apparu incomplet, m’a-t-il semblé, amputé de ce qu’il n’était pas encore, comme en construction, en devenir, en promesse de plus grande ampleur. Ce Maigret là m’a semblé dans l’attente des menus détails qui suivront, qui s’accumulant au fil des épisodes, rendront peu à peu un personnage plein et totalement cohérent, méritant une vraie vie. Curieuse sensation anachronique qui donnera peut-être raison à celles et ceux qui mettent en avant la nécessité de lire le cycle dans l’ordre de parution ?

« Le chien jaune » devient donc un classique de la série, il reste accroché à Maigret comme deux parties de Velcro l’une à l’autre. Souvent pour les addicts ce fut le premier Maigret lu, celui décisif qui attira tous les autres. Il est devenu un axe, un point d’ancrage dans la sarabande des titres qui précèdent et suivent. On le cite dans les collèges au rang des lectures souhaitables, pour pousser vers d’autres Simenon, mais surtout pour appâter vers la littérature tout court. Sacré retour pour un petit polar qui l’air de rien…


Réédition France-Loisirs 2017 


 

4 commentaires:

  1. Bonne critique pour ce Maigret qui n'a l'air de rien mais reste un des meilleurs de la série. Même si Maigret raccommode déjà les destins, il reste de la lecture un sentiment de grande tristesse. Ce que rend bien le premier J. Richard de Claude Barma, avec un noir et blanc somptueux. Tourné à Boulogne sur Mer.

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    1. Eh oui..! Noir c'est noir. Même la petite étincelle finale parait bien mouillée. Je n'ai jamais vu aucun des deux Richard. A moins que ma mémoire. C'est que tout çà remonte à loin maintenant. On doit en trouver des bouts sur You Tube à titre de bande-annonce.

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  2. J'ai oublié. A la suite de, je m'autocite: "un personnage plein et totalement cohérent, méritant une vraie vie" je souhaitais préciser que "Les nombreuses vies de Maigret" de Jacques Baudou (Moutons électriques Ed. in Bibliothèque Rouge Coll.2007) lui accordait le privilège d'une "biographie détaillée comme s'il avait existé".

    https://polar.zonelivre.fr/jacques-baudou-les-nombreuses-vies-de-maigret/

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  3. Comme tu le sais, je ne cours pas après les Maigret et je me contenterai de ceux déjà en PAL et ceux trouver ça et là.

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