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lundi 15 mars 2021

Dominique Sels - L'interview (Autour de "Camarillo, adios les seventies")


 Le présent article fait suite naturelle à la chronique de "Camarillo, adios les seventies" de Dominique Sels sur "La Convergence des Parallèles". Il prend forme d’une petite interview virtuelle de l'auteure. Merci à Dominique d’avoir accepté.

 

_La convergence des parallèles: C'est un premier roman ? Ou plus précisément un roman de jeunesse ?

_Dominique Sels: « Camarillo, adios les seventies » est le premier roman que j'ai écrit, oui. L'été 1979 je suis partie au soleil. J'étais à la fois dans un grand vide comme tout le monde après les examens et éblouie par le sentiment que m'inspirait un musicien rencontré au printemps. Les choses ont l'air semblables à ce que le roman raconte, mais il existe une différence. C'était la première fois que je rencontrais quelqu'un qui vivait de son art. Ce choc positif rivalisait avec le tumulte des choses vécues.

 

_La convergence des parallèles: Est-ce un roman autobiographique ?

_Dominique Sels: Oui, c'est le soin porté aux images, à la phrase, c'est ma recherche d'une prose vivante, qui justifient le mot de roman. Il n'y a pas un instant qui soit inventé, dans ce livre.

 

<<<< « Voici maintenant la Seine, voici la gare d’Austerlitz et le jardin des Plantes où rêvait le douanier Rousseau. Là dans ces allées sages il voyait trois feuillages et peignait une jungle. » (Camarillo, Adios les seventies, p.31) L'appartement de Jean et Baptiste, rue Buffon, longe le jardin des Plantes à Paris, où se trouve une ménagerie, avec crocodile, baudet, lama : un clin d'œil de Dominique Sels. Inspirée par Buffon qui observait plantes et animaux, elle s'apprête à nous montrer de drôles d'espèces, de drôles de zèbres.

 

_La convergence des parallèles: Quel regard portez-vous aujourd'hui sur ce pan intime de votre passé, sur la jeune fille que vous étiez à l'époque ?

_Dominique Sels: Je ne me regarde pas. Quand j'ai écrit ce livre, je ne prêtais pas attention à la fille, seulement au personnage masculin de la scène que j'étais en train d’écrire. Camarillo est un amour de construction. Le gars étant lui-même un artiste de valeur et de vingt-cinq ans mon aîné : c'était un défi pour moi d'écrire quelque chose de valable inspiré par lui.

 

_La convergence des parallèles: Quelle place a le jazz dans votre vie ? La musique plus généralement ?

_Dominique Sels: Pour vous répondre, le plus simple est que je me réfère à ma pièce de théâtre « Festin de jeunesse », qui est une autre saisie de la même histoire, sous l'angle de la transmission. Quand je dis transmission, je veux simplement dire que le concert de la rencontre même, au printemps, m'a décidée à devenir écrivain. Je prends les mêmes termes que dans « Festin de jeunesse »: « La musique a pénétré mes nerfs et plongé jusqu’à atteindre en moi des choses, à moitié inaperçues, qui existaient et qui n’avaient jusqu’alors pas de forme. La musique exprimait ces choses abritées, minuscules, les magnifiait, les faisait retentir. Et j’ai entrevu que ces choses, que le musicien venait de m’indiquer, pouvaient aussi être émises sous une forme écrite qui allait advenir, par les livres que j'allais écrire tout au long de ma vie. » J'ai été sonnée, c'est pourquoi je suis allée lui parler ensuite. La réponse que je viens de vous faire est bien sûr reconstruite et beaucoup plus consciente que ce que j'ai senti sur le moment, mais il y a de ça. 

 

 
   « Restituée par une machine, une œuvre corporellement détachée de soi, placée à distance, nous est froide. Il y a, entre le concert et le disque, le même écart qu’entre l’acte d’amour charnel et l’observation d’une revue pornographique. » (Camarillo, Adios les seventies, p.267)

  
 
_La convergence des parallèles: Ce roman, vous écrivez que vous l'avez remanié ?

_Dominique Sels: Retaillé oui, remanié, non. Dans les années 1980, deux contrats successivement annoncés pour sa publication ne sont pas arrivés donc je suis passée à autre chose. J'ai rouvert le manuscrit en 2005, je redoutais de le faire lire à mon mari, je craignais qu'il ne me quitte. Il l'a lu et m'a dit : il faut que tu publies ça tout de suite, tu ne peux pas rester avec ça à l'intérieur de toi. J'ai coupé à la fin, l'intensité fléchissait, mais sinon j'ai fait très attention, je n'ai pour ainsi dire pas retouché. Avec le lexique sexuel, il faut pouvoir travailler sans être suffoqué. Le lecteur va respirer comme l’auteur, dans sa phrase. Si l’auteur écrit suffoqué, ce n’est pas bon. Dans la liberté de mœurs des seventies on parlait cru. Donc j’ai modulé très légèrement ce sujet-là, pas trop, il convenait de dé-saturer l’expression, c’est important. On trouve des choses d’une dureté sans nom, maintenant elles sont amenées ; rares elles portent davantage. Il fallait conduire le grand silence de pudeur qu’il y a là-dedans, au début. Le passage le plus violent je n’y ai pas touché. Le langage trivial provient à la fois de la langue réelle de certains hommes mûrs et de ce cynisme ahurissant que garçons ou filles affichent – cet air averti et brutal, qui va de pair avec une détresse et une ignorance propres à l’âge de vingt ans. J’ai laissé le prisme de perceptions du moment. Bien sûr quand on reprend un tel manuscrit après l’arrivée du sida, on éprouve vivement le sentiment de la fragilité des êtres et des moments : il n’y a pas à altérer la tonalité pour autant. C’est un roman historique à cet égard.

 

_La convergence des parallèles: Parlez-moi de vos 70's ? Une certaine nostalgie ? Un regard critique ?

_Dominique Sels: Les années 70 pour moi c'était beaucoup de liberté et beaucoup de travail, puisque l'université d'Orsay m'a délivré une licence de mathématiques en juin 1979 et que je n'avais pas vingt ans. Je ne l'ai pas trouvée dans une pochette surprise. Je suis plus dans le mouvement que dans la nostalgie et la critique, évidemment possibles. J'ai été très fêtée, j'y ai appris à vivre dans une bulle de plaisir, à m'abriter de la vie très dure, grâce aux plaisirs domestiques et charnels, bien sûr, mais surtout grâce au plaisir que l'acharnement au travail procure. Tout cela est inestimable. On peut être surpris par la glaciation actuelle. On dirait aujourd'hui que les gens les plus érotiques, ce sont les magistrats, on n'a de cesse d'aller au tribunal. C'est insolite. Dans le roman Camarillo, Corinne est active, elle se jette à la tête d'un musicien, elle prend ses risques. 

 

<<<< Amicalement vôtre Tony Curtis, Roger Moore, la chemise orange, le swing et la drague comme première drogue, tout y est, adios les 70's
 

_La convergence des parallèles: Des projets ? 

_Dominique Sels: Le manuscrit en cours s'intitule « Dix coups de hache ». A chacun des dix chapitres, un personnage lit de manière routinière, quand soudain une phrase vient, comme un coup de hache, ouvrir sa mémoire, sa conscience ou une route vers l’avenir, en lui présentant une expérience personnelle, jusqu’alors souterraine, informulée. Je ne sais pas encore s'il y en aura dix. 

_La convergence des parallèles: Merci, Dominique, de vous être prêtée au jeu des questions et des réponses. Au plaisir de vous lire à nouveau.

 

2 commentaires:

  1. intéressant de se plonger dans une autre époque, bien différente de la notre... 79, l'année de ma naissance :-D

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    1. C'est symbolique mais c'est charnière comme année. Un peu avant, un peu après. C'est du grosso modo, au jugé. Une certaine légèreté dans l'air et peu à peu des ombres légères, puis de plus en plus prononcées. Une bascule d'un apex surgi des 50's, 60's et 70's. Ces années-là avaient le goût des bonnes choses.

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