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jeudi 3 juin 2021

Un sac de billes - Joseph Joffo (audiobook)

 

 

 

Audiolib, avril 2021. Merci l’éditeur, Babelio et Masse Critique.


 

L’an dernier, de par chez moi en Auvergne, une petite commune campagnarde apprenait qu'un ancien refugié juif de la Seconde Guerre Mondiale lui léguait sa fortune (estimée assez conséquente). Le donataire, lors de sa petite adolescence, fuyant les ordonnances raciales nazies, y avait été caché de 1943 à 1945 ; c’est en remerciements que le leg fut consenti. Cette information, de bas de page en 2021, logique dans la mesure où l’homme était mort sans enfant, résonne 75 ans plus tard en écho d’un conflit toujours vivace dans le devoir de mémoire. Et c’est tant mieux… !

Cette touchante anecdote m’avait poussé à revisionner le très touchant « Le vieil homme et l’enfant » (de Claude Berri en 1967 avec Michel Simon ; vu en salle à l’époque, j’avais 12 ans : çà marque).

Je m’étais promis d’y rajouter, tôt ou tard, la relecture d’« Un sac de billes » de Joseph Joffo, lu à parution en 1973 en grand format et depuis disparu dans la jungle inextricable de mes bouquins prêtés mais, hélas, jamais rendus. En avril 2021, « Audiolib » le sort en version « livre lu » ; je viens juste de décoller les écouteurs des tympans qu’en voici la chronique. Ayant déjà goûté à ce média sonore au service de la lecture, l’expérience ayant été par deux fois déjà profitable, je n’ai pas hésité à récidiver. Bien m’en a pris … L’autobiographie de Joffo, propose ainsi une voix off autre que celle propre au lecteur, interne et personnelle, celle identique d’un livre à l’autre.

Hergé en dédicace reçut un jour cette confidence d’un très jeune lecteur : « Il est bien ton dessin animé, « Le temple du soleil », mais Tintin n’y a pas la même voix que dans les albums »

Maxime Baudoin, le lecteur pour « Audiolib », offre un panel « professionnel » d’intonations, apporte à l’ouvrage un bonus inappréciable, celui d’autres angles de perception, ceux qu’il perçoit sous les mots et restitue ; l’auditeur se surprend à ressentir une ombre complice lisant par-dessus son épaule (curieuse et agréable sensation).

« Un sac de billes » : l’histoire est connue. Elle est celle, véridique, des frères Joffo, Joseph et Maurice, 10 et 12 ans à l’amorce de 1942. Ils ont l’âge tendre, insouciant et rêveur, des jeux de billes sous le préau de la Communale, des blouses grises tachées d’encre bleu et du tableau noir crissant sous la craie blanche. En 42, le Reich impose le port de l’étoile jaune, il est temps pour les Joffo de gagner Menton, en Zone libre ; les deux plus jeunes, partiront seuls rejoindre les ainés, les parents suivront plus tard. S’en suivent des péripéties inattendues, cocasses et dramatiques, en train, à pied sur routes et chemins, dans la calèche d’un vieil aristo dont l’automobile a été réquisitionnée, à l’arrière d’un camion bâché de la Gestapo … etc

«  … deux enfants au milieu du grand charivari des adultes, j’avais l’impression d’être invisible, d’avoir mes entrées partout : la guerre avait fait de nous des elfes dont personne ne se souciait et qui pouvaient aller et venir à leur guise. »

Ils vont chercher à échapper, 4 ans durant, à la traque des juifs initiée par les nazis. Les temps de barbarie allaient voler leur enfance ; le monde cruel et absurde de nations en guerre allait ébranler leur naïveté, dérober leur innocence et leurs illusions, briser leur confiance en l’homme (même si, par deux fois, des prêtres catholiques leur sauvent la mise). L’Histoire, la Grande, allait les secouer, le temps d’une longue fuite à travers la France.

Le cadre temporel : de 1941 à la Libération, la France Occupée, scindée par la Ligne de Démarcation, bientôt dans son entière territorialité sous la botte allemande. Sus aux italiens lyriquement bonhommes aux terrasses des cafés, aux airs de mandoline dans la fraicheur du soir, place à l’implacable machine administrative allemande, aux claquements de talons dans les couloirs de la Gestapo de l’hôtel Excelsior à Nice (la mort rode, il suffit d’un interrogatoire mal maitrisé ; les cris affaiblis des torturés remontent des caves. « Ne dis jamais que tu es juif ! »)

Le cadre géographique : la ville, Paris et le petit salon de coiffure paternel, Dax et ses points de passage vers la liberté, Marseille et la mer pour la première fois vue, Menton et son parfum d’Italie ; la campagne, taiseuse et prudente, des villages repliés sur eux-mêmes à la croisée des routes et des chemins, des rencontres inattendues toutes potentiellement dangereuses (« Ne fais confiance en personne »). De Paris à Rumilly (Haute-Savoie), deux enfants fuyant des lois raciales nazies de plus en plus restrictives (l’étoile jaune n’est qu’une prémisse au pire ; il faut fuir, la peur au ventre mais toujours vivants), deux titis parisiens à l’école buissonnière de la survie, de la débrouille pragmatique, de « ce qui ne tue pas rend plus fort », tout simplement à l’épreuve de ce qui forge et marque un homme.

Le cadre littéraire : une autobiographie ; le « je » narratif est celui de Joseph, benjamin d’une fratrie de 6. Le but de l’auteur : exorciser son enfance hors-normes, atypique, meurtrie, chaotique, trop vite montée en graine, volée à la normalité de ce que les mômes du même âge vivent, dérobée aux jours heureux de l’insouciance, du jeu et du rêve éveillé. « Un sac de billes » est aussi un témoignage de la Petite Histoire dans la Grande, comme vue par le petit bout d’une lorgnette. C’est, certes, un récit parmi tant d’autres qui, en effet puzzle, décrivent une époque délétère, mais celui-ci le fait à hauteur d’enfant, là réside toute sa précieuse différence ; il témoigne, sous l’œil d’un môme, d’une France à l’étouffée, de sa couardise et de sa lâcheté, de son fatalisme pétainiste et de l’opportunisme collaborationniste, de la pugnacité d’une frange à retrouver sa liberté. L’implacabilité de la machine nazie et son idéologie malsaine a chamboulé des destins civils innocents, entre autres ceux de marmots qui ne demandaient qu’à continuer à jouer aux billes.

La France d’alors s’y reflète, balançant entre ruralité majoritaire et paysages urbains encore simplement bourgeonnants, celle des petits bistrots et des restos sur le pouce, celle des postes de TSF branchés sur Radio Londres, des restrictions et de la peau sur les os, du marché noir et du bon beurre, des topinambours et des rutabagas, des « Maréchal nous voilà », des FFI et des FTP, de la Grande Cuite à la Libération … Ce fut le monde de mon père, STO réfractaire en 1943, en permission sous promesse de retour et qui se perdit dans la nature deux ans durant, le monde qu’il me rabâchait sans cesse durant ma propre enfance : comme celui de la Grande Guerre pour Tardi. Ainsi, si çà me parle tout çà ? : un euphémisme.

« Un sac de billes » fait partie des livres étudiés en classe à hauteur du collège ou du lycée. Tout y fait sens pour des ados « au point mort » (dixit, parait t’il, Stephen King ; l’image est parlante), tout y nourrit une réflexion saine sur les difficultés de la vie et les moyens de les surmonter, la nécessité de fraternité au service de la liberté, le devoir de mémoire, l’étrange capacité qu’à l’être humain à rebondir face à l’adversité pour peu que jamais il n’abandonne et ne renonce, la pugnacité et la confiance en soi au service de la réussite, la nécessité de se prendre en mains pour que la malice des choses plient sous la volonté.

Joffo use d’un style qui plait, facile et fluide, d’une truculence de propos et de situations. Le récit est alerte et vivant. Mais l’amorce du drame n’est jamais loin, sans cesse sous-jacent, tapi sous le pas qui avance puis sous celui qui suit ...

Pour celles et ceux qui chercheront a en savoir un peu plus : le ciné offre deux adaptations (1975 et 2018), la BD deux (une, la première, en one shot ; la seconde en trois volumes). Je n’en ai ni lu ni vu aucune.



3 commentaires:

  1. Belle chronique.. ça se sent que ça te touche et te " parle", cette histoire et le contexte :-)
    ce fut une période trouble , mais on dirait que les périodes troubles reviennent de manière cyclique, rien n'est jamais acquis, hélas!

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    1. Citation: "Comment peuvent ils être à la fois des tueurs et des clercs tatillons et appliqués" ?"

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    2. Je suis farouchement attaché (quitte à passer pour passéiste), au devoir de mémoire pour secouer la conscience de l'homme toujours enclin à assumer le pire. Il nous faut des Erich Maria Remarque, des Tardi, des Joffo et tant d'autres pour nous rappeler que tout peut recommencer, encore et toujours.

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