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jeudi 25 avril 2024

La fosse – Claude Rank

 

Fleuve noir Spécial Police n°349 (1963)

 

En une de couverture signée Michel Gourdon : un homme au regard décidé, casque de cuir et lunettes de motard, les beaux yeux inquiets et calculateurs d’une bien jolie blonde aux lèvres carmin, l’ombre au sol d’une croix des chemins (sinistre présage), deux bolides de stock-car comme déformés par la vitesse. Tout le parfum graphique représentatif d’une époque, les 60’s … sous le crayon, la gomme, les pinceaux et les couleurs d’un authentique illustrateur populaire.

Promenade nostalgique en pays de polars d’antan gommés des mémoires.

« La Fosse » (1963) est un petit polar de rien (mon propos n’est nullement péjoratif, bien au contraire). 219 pages à grosse police (un quota éditorial pour l’époque) ; un roman jamais réédité comme 99% de ses semblables au Fleuve Noir Spécial Police ; une rareté relative quand les bouquineries d’aujourd’hui ne sont pas en manque de titres de cette collection et ce à des prix, somme toute, modestes.

Ce me fut, ces jours-ci, une relique poussiéreuse et jaunissante remontée de la cave sur un coup de hasard, de nostalgie et de « pourquoi-ne-pas-enfin-le-lire » entre deux romans plus conséquents, sur la foi d’un auteur que j’aime bien malgré tous ses défauts. Le lecteur y sentira, c’est cousu d’avance, un parfum polar français typique des 60’s, pleinement rétro, mâtiné roman policier de procédure, un intermède romanesque assez glauque au cœur des Trente Glorieuses hexagonales, bienheureuses, confiantes et tranquilles. Dans la mouvance de Frederic Dard (« C’est toi le venin »), de G.J Arnaud et de tant d’autres, je savais dans quoi je m’engageais ; il n’y eut aucune déception ; le charme d’un terrain déjà balisé et retrouvé fut au rendez-vous.

C’est de la « Littérature de gare ». Le genre de bouquin abandonné sur une banquette SNCF qui, depuis son achevé d’imprimer en 63, a dû connaitre une palanquée de propriétaires et de lecteurs successifs. Un bouquin, c’est fait pour çà, voyager d’un regard à l’autre. Le mien finira en BAL locale, confié au bookcrossing …. Quoi de mieux le concernant.

Rincourt, près d’Arras. Un gros bourg dédié à la betterave sucrière, un microcosme à la Claude Chabrol entre mainmise des notables locaux sur la commune et silence contraint, au minimum prudent mais complice des habitants. Joss, un trentenaire célibataire, son garage auto périclitant, son taxi poussiéreux guère rentable, son boulot de chauffeur de bus à défaut de mieux, ses coûteuses courses de stock-car sur épaves retapées et boostées. Decock, un puissant industriel véreux aux côtés d’un maire gâteux. Une gendarmerie aux ordres. Deux jeunes sœurs anglaises, belles comme le jour, très convoitées mais sages (n’est-ce qu’une impression ?) ; leur père bougon, gardien du cimetière militaire britannique voisin. Un meurtre (celui du père de Joss) non élucidé il y a 10 ans, maintenant à deux doigts de la prescription ; un autre ces jours-ci, un viol, une noyade. Un nouveau gradé en gendarmerie qui pense réussir là où d’autres ont dû fuir, évincés de l’enquête, mutés ; tout le problème étant d’inculper un coupable évident, un fils de riche, lui aussi adepte de la violence du stock-car. A moins que …

… la suite appartient au récit.

Et tandis que tout se termine sur un jugement de Dieu, sur un duel de tôles froissées et de chairs broyées … se dessine l’amer constat du « tous coupables ». « La nuit tombait sur la grande plaine d’Artois » effaçant la veille dans l’espoir du lendemain.

Claude Rank, l’auteur (1925-2003), fut 4 décennies durant un des auteurs-maison les plus prolifiques des éditions Fleuve Noir. Ses terrains d’écriture quasi exclusifs : les collections Espionnage (FNE) et, à un moindre niveau, Special-Police (FNSP). Tous ses romans s’inscrivent dans le cadre populaire du « Mauvais Genres ». Sa prolificité au détriment de sa qualité de prose en a fait, hélas, un auteur au style de plus en plus heurté sur le tard de sa carrière.

Contrairement à l’abondante documentation nécessaire à l’essentiel de ses romans d’espionnage, Rank s’en déleste ici en Special-Police et offre un polar provincial standard en quasi huis-clos qui se dispense de tout background politique ; on est dans l’entre soi larvé, la vengeance froide, les règlements de comptes, la retenue des coups qui prélude à ceux, violents et meurtriers. Depuis, on a fait mieux dans le genre. Mais circonscrit à son époque de parution, il y avait alors place pour des récits de ce type, délassants, populaires, sans véritables lendemains de notoriété. C’est, au final, plus que de la littérature au kilomètre mais l’écho d’un temps révolu durant lequel un bouquin ouvert comptait encore plus (mais çà n’allait pas durer) qu’une télé allumée.

Ainsi, au sein du défunt FNSP, à l’image de « La fosse » de Claude Rank, patientent d’étonnants polars de rien, ceux d’un temps jadis, éphémères par nature éditoriale, promis à l’oubli sous la chappe infamante de la littérature de gare. Ils valaient bien mieux que l’enterrement que l’on a fait d’eux. Certains ont été réédités, adaptés ciné ou TV ; d’autres attendent la main qui les prendra et les lira…

 

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