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dimanche 28 octobre 2018

Un nouveau dans la ville - Georges Simenon


Livre de poche, réédition 2010


Omnibus France-Loisirs, réédition Omnibus France Loisirs 2016


Nord-est des Etats Unis, à deux pas de la frontière canadienne, une petite bourgade de 10000 habitants à peine, à l'approche d'un Noël des années 40.

Un homme est venu.
Seul.
Dans le froid de la nuit, sous la neige qui tombait drue. Personne ne l'a vu boitant sous le halo pale des réverbères. Il n'a demandé son chemin nulle part.  Et pourtant il aurait pu. Dans les bars encore allumés, par exemple, où scintillait déjà la féerie lumineuse des fêtes à venir.

Il savait où il allait, sans hésitation.
La ville attendait Santa Clauz, et non pas un inconnu qu'on allait vite finir par haïr.

Personne pour raconter, pour le décrire, commencer à broder sur son compte. Il n'est venu ni en bus, ni en train; quelqu'un l'aurait vu sinon, et surtout l'aurait dit. Tout se sait, tout s'invente même, dans cette petite ville des USA. Tout le monde y connait tout le monde, construit des petits mystères entre voisins, médit, espionne et ment.

Comme ailleurs...partout dans le monde.

L'inconnu est, dès le lendemain matin, désormais là, présent au milieu des autres, sans bruit, sans heurt, sans parler ou presque:
            _dans la vieille pension de famille où il a loué une chambre sous le nom de Justin Ward (mais est-ce sa vraie identité..? C'est si facile de mentir, de porter un masque qui n'est pas le sien). Il ne cherche pas le contact avec les autres locataires, si ce n'est avec la jeune Mabel qui le soignera contre finances quand il sera malade. Et de cette intimité qu'on constate entre eux deux, sans en savoir vraiment plus (couchent t'ils ensemble ?), naît la rumeur qu'il la convaincu de porter des talons hauts quand elle va le rejoindre dans sa chambre... vous pensez, sur du parquet ciré ..!
            _On le voit, toute la journée durant, au comptoir du bar de Charlie, à boire en silence, en observateur patient, presque à l'affût, sournois et calculateur. Que cherche t'il ? Que veut t'il ? On le sent aux aguets, à l'affût d'une proie, de quelqu'un dans la ville.

Qui est sa cible..?

L'homme sort souvent et ostensiblement de sa poche une énorme liasse de grosses coupures quand il s'agit de payer. Chapeau mou, duffel-coat élimé, teint bilieux, maladif ... et surtout cette étrange façon de regarder les autres, de les peser, de les tester, de les prendre de haut, de chercher la place du mal dans les âmes. On le sent suspicieux, manipulateur, adroit à laisser faire aux autres ce qu'il se défend de faire lui-même.

Quand il est là au comptoir, on souhaiterait qu'il soit ailleurs, loin d'ici et pour longtemps, qu'il disparaisse, retourne au néant d'où il est venu. Sa seule présence bizarrement indispose. Les conversations s'effondrent, la gène naît d'être simplement à ses côtés et perdure comme une mauvaise ombre noire posée sur le bar et les clients. La convivialité d'antan meurt.

Un pressentiment de mauvais augure naît: un drame attend, tapi dans l'ombre.

Charlie, le barman, traîne un passé de maffieux new-york repenti. Justin Ward cherche t'il le règlement de compte au nom d'une vengeance à assouvir ?
Le shériff confie à ses concitoyens que sa hiérarchie lui a interdit de creuser autour de l'inconnu. Un moyen, en mentant, de botter en touche ou, en vérité, une réelle mise en garde ?
L'imprimeur pense l'avoir reconnu, l'homme est peut-être celui qui il y a longtemps ....
Et puis il y a le Yougo, un quasi clandestin que la communauté tolère malgré ses samedis ébrieux. Il vit dans un taudis aux confins de la ville, ostensiblement polygame, chèvres et poules dans la pièce commune. Wardle paie grassement pour retaper la décrépite salle de billard qu'il vient de racheter à prix d'or à deux doigts d'un bail finissant. Le Yougo a désormais beaucoup d'argent en poche: ses habitudes et son humeur change...

Charlie, le barman, va cristalliser la haine de toute une ville pour un homme mystérieux. Sous son seul regard s'alignent les obsessions curieuses d'une ville repliée sur elle-même, au coeur d'un hiver qui l'isole. Tout un troupeau d'hommes focalisé sur un être falot, quelconque,  mais qui pourtant va...

La suite appartient au roman.

"Un nouveau dans la ville" (titre à mon sens représentatif du contenu mais peu porteur) est un roman "dur" de Simenon qui se plaisait à les nommer ainsi. Il est daté de 1950. Pas le plus connu certes, pas le plus réussi, mais existe t'il un mauvais Simenon ?


Loustal , en 2016, a illustré une réédition de ce court roman (Ed. Omnibus). Je suis curieux de voir comment il a pu rendre l'atmosphère lourde, pesante et tendue; la complexité des interactivités entre les protagonistes; les non-dits, les menaces à demi-mot, les sous-entendus menaçants; cette haine effrayante d'une ville à l'encontre d'un homme seul. Nul doute que le dessinateur a su user de dessins sombres, lourds de nuit, de brouillard, de pluie et de neige, de trottoirs mouillés, de devantures scintillantes.



Suivre Simenon, dans un cadre américain typique des années 40, m'a semblé totalement inattendu, étonnant, presque incongru. J'y ai cherché bêtement l'ombre lourde de Maigret, celle de sa pipe et de son chapeau. Le shériff, personnage auquel Simenon n'a que peu recours, ne parvient pas à le remplacer et ne doit pas le faire. Simenon pose ainsi délibérément son roman en pur polar: la police n'intervient que peu, c'est une affaire d'hommes.

Comme d'habitude chez l'auteur, les hommes et ce qu'ils sont, montrent et cachent, pèsent plus que leurs actes. Simenon fouille les âmes, dissèque les personnalités au plus près des causes qui les ont fait naître, agir pour le bien, le mal ou dans l'entre-deux. Pas de manichéisme, tout se situe dans les gris de vies de personnages lambda.

Si vous lisez ce roman, en débutant de l'oeuvre de Simenon, ne vous y trompez pas: l'apparente simplicité du style cache la complexité redoutable d'une vraie étude de moeurs. Simenon pose un cadre, dresse des hommes les uns face aux autres au coeur d'un drame commun.

Et pour finir, presque en post-scriptum, j'ai trouvé en "Un nouveau dans la ville" un processus thématique presque similaire à celui contenu dans Bazaar de Stephen King.  Un homme vient à Castle Rock, y ouvre le "Bazar des Rêves", chacun y trouve exactement ce qu'il désire profondément. Leland Gaunt, le propriétaire, à l'image d'un diable tentateur, dresse peu à peu les habitants les uns contre les autres, jusqu'au paroxysme final.



27 commentaires:

  1. Magnifique! je l'attendais avec impatience cette chronique..
    tu vois, si je dois faire connaissance avec cet auteur, ce sera avec ce roman, pas avec la série des Maigret, car j'ai tjs l'image de la série Tv vieillotte..
    là je sais que ça pourrait me plaire :-)

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    1. Il me semble néanmoins que c'est un roman mineur de Simenon. Je ne suis pas assez spécialiste de ses romans "durs" pour l'affirmer. "Un nouveau dans la ville" n'a pas l'attrait de ceux adaptés pour le cinéma: Les Fiançailles de M. Hire, La Vérité sur Bébé Donge, La Veuve Couderc, L'Aîné des Ferchaux, Les Fantômes du chapelier, Les Frères Rico ou, entre autres, En cas de malheur. Il m'a fallu l'achat en occasion, presque par hasard, de 6 omnibus de chez France Loisirs pour choisir, au pil, ce "Un nouveau dans la ville".
      Ma chronique ne spolie pas, j'ai, à mon avis, soigneusement noyer le poisson.

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    2. C'est une "simonade", une invention de sa part. Cela semble être les 117 titres où Simenon se passe délibérément de la présence de Maigret.

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    3. Sans aller vers Maigret Cheyenne, tu as de quoi faire. Comme le dit Avin, 117 romans "durs" ça laisse de quoi faire connaissance avec Simenon sans voir l'ombre de Maigret. J'ai du lire 10-12 romans durs avant un Maigret et parmi ceux-ci de vrais bijoux.

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    4. oui, il faudrait que je laisse de côté cette image de Maigret ( l'ambiance sombre,froide, sans couleurs, les habits noirs, les corbeaux....la déprime assurée!! )

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  2. je n'ai pas lu Bazzar... ça me donne aussi envie de remédier à ça! :-D c'est une chronique 2 en 1 :-D

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    1. Oui, presque.
      Les thèmes sont vraiment voisins. Simenon tricote tranquillement une finalité humaine, King s'enracine dans le fantastiqie. Mais le fond est le même: l'homme et sa face sombre.

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    2. je viens de vérifier.. je l'ai dans ma bibliothèque !

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    3. Parfait. Je suis très content de t'avoir donné l'envie de le lire. Yeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeees. Nicolas (livrepoche.fr)va être aussi content, lui qui milite fortement pour le Simenon "dur".

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    4. c'est le King que j'ai... je n'ai aucun Simenon dans mes biblio :-D

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    5. Je me disais aussi.
      Trouver ce Simenon doit être comme de chercher une aiguille dans une botte de foin.Dommage.
      Mais le King est excellent.
      Tu sais ce que je vais chercher chez lui, ce n'est pas tant son fantastique que ses énormes digressions qui sont de la littérature générale bon teint. Et là, on a affaire à une excellente étude de moeurs.

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    6. même dans ma médiathèque, il y a très peu de Simenon..

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    7. je verrai chez un bouquiniste à l'occasion..

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    8. "je verrai chez un bouquiniste à l'occasion.."
      >>>> Et donc l'occasion.:-) La chasse, en bouquinerie, au roman perdu et/ou envié est un plaisir qui ne m'a jamais lassé. C'est presque un piment de la vie. Et quand on le trouve, comme un footballeur qui vient de marquer un but, on se dit, doucement pour ne pas inquiéter: "YEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEES, je t'ai eu".

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    9. "même dans ma médiathèque, il y a très peu de Simenon.. "
      >>>> Et pourtant: 117 "durs" et 75 Maigret. Une tripotée d'omnibus arrangés de toutes les façons. Y'a le choix.

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    10. regarde:
      http://mediatheque.nantua.fr/search.php?lookfor=%22SIMENON%2C+Georges%22&type=author

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    11. Moi aussi, il m'a donné envie de lire Bazaar de King. Mais je l'ai pas à la maison…

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    12. déjà, notre ami Avin nous a donné envie de lire " ça"... on n'est pas sorti de l'auberge, hein!

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  3. Je me demande si je vais trouver un Simenon passable..?

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    1. peut-être pas!! continue à fouiner ;-)

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    2. Perso, c'est Striptease qui m'a le moins plu. J'irais pas jusqu'à dire passable. Peut-être même ce sont les conditions de lecture (en voyage) qui m'ont fait passer à côté de cette lecture.

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  4. Merci ! Je n ‘ai pas lu « Un nouveau dans la ville » mais je comprends de ton papier que nous sommes sur le thème assez classique de « l’étranger » qui débarque inopinément dans une petite ville (dans une métropole, cela n’aurait aucun intérêt), venu de nulle part. Tout est donc dans le regard des autres, exacerbé par le côté mystérieux du personnage. On retrouve assez souvent ce thème dans la littérature américaine (Sinclair Lewis, Fitzgerald…) et bien sur dans le western ! Je vais me le procurer dans la version Loustal qui est à mon avis un très grand illustrateur mais aussi parfois un bon auteur de BD. Sa version su roman « Les frères Rocco » est excellent et il a illustré quelques nouvelles de Maigret très sympas.

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    1. "et bien sur dans le western !"
      >>>> C'est précisément ce qui à l'esprit m'est venu en début de lecture. Puis, cet aspect étonnant s'est progressivement effacé, le XXème siècle américain a vite repris ses droits. Le fil de l'intrigue se déroule et le lecteur n'y pense plus.

      "Je vais me le procurer dans la version Loustal"
      >>>> En cherchant sur le Web, j'ai trouvé certaines illustrations internes. Je me suis retrouvé en accord avec ce que j'avais lu, avec l'atmosphère du roman, avec sa dynamique. Ce genre de bouquin est toujours tentant. J'ai toujours rêvé du Celine du "Voyage au bout de la nuit" illustré par Tardi.

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    2. Loustral, je l'ai en vignette de couverture sur le présent omnibus. On y trouve, pipe au bec, Maigret de nuit, dans l'ombre d'un mur, à côté d'un réverbère allumé. Il attend..!

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