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lundi 17 décembre 2018

Kyriakos Kaziras -Twin Cities



 Ed.Ramses - 2018




Un copain de lycée m'avait, il y a très longtemps, initié à la photographie argentique en noir et blanc: les bases mécaniques de l'appareil photo, les techniques de prise de vue, le développement sous lumière inactinique. Ce fut pour lui une passion qu'il essaya de mener sur le chemin d'un métier; pour moi une simple découverte dont j'ai gardé des séquelles dans la manière de regarder les choses et les êtres qui m'entourent et dans l'envie de par instants appuyer sur le déclencheur d'un appareil.

J'ai toujours porté sur les photos réussies des autres un regard presque jaloux. Cherchant, obstiné, à y décrypter le pourquoi et le comment de la magie interne, les mécanismes psychologiques et techniques mis en oeuvre par le photographe. Comprendre ce qui, posé sur le papier ou l'écran, m'offrait une telle palette d'émotions diverses.

J'adore les magazines photos, les gros bouquins luxueux à un thème consacrés: que ce soit à un photographe ou plus généralement à une célébrité, à un lieu emblématique, un événement d'importance, une époque d'influence...etc. S'ils sont de qualité, ils contiennent invariablement, peu ou prou, ces "petits bouts" agglutinés d'un monde qui est notre; nous renvoient dans le détail et sans mots ce que les photographes ont perçus d'un tout et souhaitent nous faire partager.

"Twin Cities", du franco-grec Kyriakos Kaziras, est de cette race là. C'est un recueil thématique réussi où chaque photo est une nouvelle courte filant à l'essentiel.

Cet objet luxueux est un patchwork hétéroclite de clichés volés à la ville, d'instants urbains d'inspirations diverses. New York, Venise, Paris, Vienne, Londres, Hong-Kong, Amsterdam ... autant de cités géographiquement éparses et diverses.
Assemblées en recueil, les photos s'agglutinent pourtant en un tout cohérent. Elles répondent à un thème central. Ces lieux urbains de renom se ressemblent, bien que si différents de part leurs tissus sociaux, leurs habitudes et leurs coutumes. Il suffit, pour que la diversité s'effondre et la gémellité inattendue apparaisse, d'un photographe apte à montrer ce qui est dénominateur commun. L'art photographique via le filtre de ce qui rapproche. Le multi polaire culturel et géographique devient points de rassemblement. Sous l'oeil aiguisé de  Kaziras, à la surface du globe terrestre la ville met son pluriel au singulier. L'axe de l'album: la gémellité urbaine, toute la raison d'être de "Twin Cities".

Kyriakos Kazirasnous offre 140 photos urbaines, pleine ou double page, en très grand format (27,5 cm x 32,5 cm). Elles nous montrent "sa" vision de la ville, par le prisme presque onirique du petit bout de sa lorgnette magique.
On sait via l'avant-propos qu'il a abandonné le matériel sophistiqué de ses albums précédents consacrés à la faune africaine et à l'Arctique. Pour "Twin Cities" il utilise, en toute simplicité et vitesse d'action, un simple compact gardé en fond de poche, vite en mains, vite à l'oeil, vite à l'oeuvre.

Son voeu: capturer l'essence d'une ville.

On le voit presque en filigrane arpenter les rues de New York, Venise, Paris, Londres, Hong-Kong, Amsterdam ou Vienne. Les yeux au ciel fixés sur le miroir étincelant des façades de gratte-ciel, s'arrêter à un carrefour, attendre, observer en silence, guetter, comprendre, absorber une ambiance, un son visuel, une fréquence avec laquelle se mettre en accord, déterrer un détail architectural intéressant, attendre une plus-value, un banal passant par exemple, et déclencher au moment clé.

Kyriakos Kaziras restitue les sites, hors circuits touristiques, qu'il explore via un oeil soucieux du détail inattendu qui accroche, qu'il soit architectural ou humain. Il est aussi attiré par un effet d'ensemble qui crée un décalage avec la réalité. Le rendu urbain qu'il nous propose est voisin du rêve éveillé, souvent sobre, apparemment simple mais si parlant, usant du flou, du détail exacerbé, du rendu d'atmosphère.

Le noir et blancest roi, omniprésent et justifié: la ville se prête si bien aux contrastes accentués. Blancs étincelants, d'acier fondu, sur les façades miroirs des buildings new-yorkais; noir profond d'une silhouette en marche prise à contre-jour; gris dans toutes ses nuances offertes sur la façade de briques d'un vieil immeuble viennois ou parisien.

Suivent, ci-dessous, la description de quelques clichés qui m'ont particulièrement intéressés. Mais il y en a tant d'autres à admirer au coeur de ce luxueux album

Kyriakos Kaziras saisit le rythme graphique, oblique et répété, d'une descente d'escalier, extérieur et à flanc d'immeuble. Il y attend le passant solitaire pour inclure une touche humaine dans la simplicité lisse du béton froid. Pragmatique et sobre.

Il choisit diaphragme et vitesse d'obturation afin qu'au sein d'un même cliché, se fige dans le détail le background architectural d'un hall de gare new-yorkais, et que se floutent en longues traînées vaporeuses, éthérées et sinueuses les silhouettes de voyageurs pressés en transit. Seules surnagent au milieu des flots brumeux et erratiques les fantômes immobiles de passagers rendus au réel, à l'écoute d'un iphone, au regard porté sur le tableau des départs et arrivées, au repos sur un banc, au naufrage d'une poussette immobile dans un flot presque marin et tumultueux. Le rendu final, irréel fondu dans le réel, est fantomatique, éthéré et onirique. Magique.

Le photographe cherche l'angle optimal. Il rase, le temps d'une prise de vue, le toit luisant d'un canot vénitien dans l'axe d'une venelle bordée de maisons typiques. Le cliché se scinde en deux parties horizontales: le toit absorbe et renvoie le ciel en effet miroir, renversé il se fait eau. La nouvelle perspective coupe en deux à hauteur de ceinture la silhouette du gondolier à l'oeuvre à l'avant. Ingénieux et magnifique.

Venise encore. Sur l'interface d'une vitre d'après pluie, Kyriakos Kaziras fait la mise au point sur les gouttes encore à l'accroche; elles renvoient, inversées et minuscules, le background urbain à l'arrière plan. Féerique.

Sous la courbure arrondie et sombre d'un pont typique d'Amsterdam, le bas reflète le haut dans l'axe d'un canal, l'eau se fait ciel, la symétrie horizontale renverse la perspective. Le tout comme un oeil ouvert sur la ville, posé au ras de l'eau. La pupille, minuscule en plein centre d'image, comme un point en bout de perspective. Le dessous du pont et son inverse comme l'iris tatoué des façades alignées de droite et de gauche. Au pourtour, le blanc du globe oculaire inondé de noir..

Kyriakos Kazirassait que pour inclure l'humain dans la ville il faut user de l'intuition de l'essentiel: une jambe floutée qui franchit une flaque d'eau de pluie dont la poésie du reflet renvoie la silhouette inversée d'un lampadaire.

Le photographe déambule dans les rues commerçantes et déniche ce que le lécheur de vitrines, dans sa hâte consumériste, ne perçoit pas.  Son reflet sur la vitre et ce qu'il y a derrière, les deux se juxtaposant en une double réalité virtuelle. La silhouette d'un mannequin de tailleur à l'étal et le reflet du passant.

Kyriakos Kaziraslève le regard sur les façades entièrement vitrées des buildings new-yorkais. Il y perçoit les motifs en vitrail, identiques et inlassablement répétés, d'une myriade de bureaux rectangulaires, cerclés de leur armature métallique. Chaque vitre a une orientation légèrement différente. L'effet-miroir de l'ensemble renvoie l'image distordue d'un building voisin. La réalité intangible de l'immeuble dressé renvoie une architecture virtuelle à l'équilibre impossible. J'adore.

Au coeur de "Twin Cities", de page tournée en page tournée, chaque photo se dévoile à son tour, raconte une histoire qui lui est propre. Une histoire qui n'a pas de mots pour s'écrire mais use d'autres artifices: le noir, le blanc et les gris comme les lettres-pixels d'une phrase graphique.

"Twin Cities" est un long et lent voyage, chaque étape apporte ses surprises et ses émotions.

J'ai adoré.

Merci à Babelio, à Masse Critique, à Kyriakos Kaziras et aux Editions Ramsay.
-+

7 commentaires:

  1. Très beau : ça me plaît déjà ! ^^

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  2. Oui, les photos sont magnifiques et inspirées. Merci à toi, Jim.

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  3. Les deux commentaires ci-dessus sont antérieurs à la mise en ligne du contenu de l'article ce jour. Son titre était temporaire et s'intitulait "à suivre".

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  4. ça doit être un très bel ouvrage, à lire tes descriptions et ton ressenti :-)

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  5. Difficile d'évoquer des photographies sans les montrer. Tu t'en tires bien et ça donne envie !

    Les fantômes du hall de gare et les façades dans les goûtes d'eau sont visibles sur le Net ; elles sont très belles.

    J'aimerais en voir bien d'autres, apprécier leurs jeux de symétries, reflets et trompe-l’œil, goûter à la poésie qu'elles dégagent.

    (J'inscrirai ce titre en proposition à ma médiathèque ; on ne sait jamais...)

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  6. @Jim
    "Difficile d'évoquer des photographies sans les montrer."

    >>>> Je n'ose pas trop. Mais je suppose que ce que le photographe aligne sur sa page Facebook est librement accessible.

    https://www.facebook.com/KyriakosKazirasArt/

    On en voit quelques-unes en cliquant sur son avatar. Une seule est issue de "Twin Cities" et l'atmosphère qui se dégage de cette tranche d'immeuble à angle aigu associée à la dame très 50's de coiffure me fait penser à un film d'Hitchcock. La girafe qui se fait curer le sourire au bec d'oiseau est magnifique.

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