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mercredi 9 janvier 2019

Altamont 69 - Joël Selvin

Rivages Rouge 2017



"Altamont 69" de Joël Selvin est la chronique d'une mort annoncée, celle de l'utopie hippie.

Nous sommes en 1969.
Au 1er janvier, sans que rien ne le laisse encore vraiment présager, les douze mois à venir vont constituer, pour les Rolling Stones, à l'image du titre de l'album qui va sortir, "Let it bleed", l'année des "Pierres qui Saignent". Le désastre sanglant du festival d'Altamont (Californie) guette le groupe, en point d'orgue, à l'autre bout des 365 jours qui s'annoncent.

Le 6 décembre, va mourir le rêve hippie.
Jagger et Cie (et quelques autres) vont tuer un mythe: celui de Woodstock.

En 1969, Brian Jones, l'âme des Stones, désormais physiquement et intellectuellement absent des débats musicaux sous la pression des drogues dures qu'il consomme, est renvoyé du groupe en juin, se noie dans sa piscine le 3 juillet. Mick Taylor (issu des Bluesbreakers de John Mayall) le remplace.  Un concert gratuit à Hyde Park, en hommage au défunt, est organisé le 5 juillet. Certains signes troublants, ce jour là, sont déjà dans l'air et prennent la forme de papillons blancs. Ils sont lâchés de boites ouvertes sur scène devant la multitude des fans réunis. La plupart des frêles insectes sont déjà morts, les autres crèvent en vol au-dessus de la scène et du public. Jagger et consorts piétinent les cadavres devant les amplis et aux pieds des micros. Funeste présage en deçà du désastre d'Altamont.

Les Stones, en 69, sont pieds et poings liés à Decca, leur maison de disques. Elle pompe presque tous les bénéfices. Le groupe a désespérément besoin de cash, les caisses ne sont plus ce qu'elles étaient.

En août les Rolling Stones ne sont pas conviés au mythique festival de Woodstock (New-York) et à ses "trois jours de paix, de musique et d'amour". Mauvais plan alors que l'événement laissait augurer de mirifiques retombées financières via la publicité induite. Tout plus grand groupe rock au monde qu'il ambitionne de devenir ou puisse paraître, les Stonesrestent à quai d'un train qui ne les attend pas, qu'ils n'auraient pas du louper. Celui de la cool-attitude,  des Brothers and Sisters, celui hippie qui colle à l'air du temps, celui du LSD, du "Peace and Love". S'ils sont "in" à la mode européenne, les Stones n'ont, par exemple, aucune opinion (sinon opportuniste) sur la guerre du Vietnam. Ils ont un train de retard: celui de la conscience fleurie.

Les Stones restent à quai d'un convoi qui s'échappe. Et pourtant Jagger imagine un moyen de monter en marche: un concert gratuit (c'était la mode) en fin d'année, en Californie, au pays des allumés sereins et naïfs du Grateful Dead et du Jefferson Airplane. Histoire de montrer que le groupe est "cool".

Une tournée US d'une quinzaine de dates traditionnelles est organisée en fin d'année. Son objectif inavoué est la rentabilité maximale. Les concerts s'ouvrent à guichets fermés, malgré le prix doublé des places par rapport à l'ordinaire. Les tarifs à la limite de l'acceptable secouent les finances des kids, les rock-critiques US s'insurgent à une époque où fleurissent les concerts gratuits des Enfants-Fleurs. Contraste saisissant entre la rapacité des uns et le partage offert par les autres. Mauvais plan pour les Stones, leur image est salement écornée. L'idée d'un concert gratuit californien en fin de tournée devient de plus en plus nécessaire. Ce sera à Altamont (San Francisco), mais rien n'est dit, rien n'est fait, il faudra monter le site dans l'urgence.

En post Flower Power flamboyant de 1967, les grands groupes californiens hippies, alors à leur zénith (principalement le Dead et l'Airplane), ont acquis l'expérience pratique, la maîtrise technique et humaine pour assurer de grandes manifestations musicales gratuites qui, bon an mal an, se passent plutôt bien malgré les foules énormes qu'elles attirent.  
Qui plus est: ils confient la sécurité des évènements à l'antithèse du mouvement hippie: les Hells Angels californiens. Deux mondes opposés font alliance et sont efficients. Énorme paradoxe que la béatitude des uns associée à l'ultra violence des autres. Le point commun étant le rejet du système, les bikers de l'enfer contre toute attente, aiment les hippies; et les hippies s'accommodent des Anges et savent les calmer.

Jagger rêve de s'appuyer sur les structures préexistantes montées par le Dead, laisser au groupe californien l'impression qu'il tient les rênes, quitte à y ajouter son grain de sel. Fatale erreur. Le Dead et les Stones seront du spectacle, mais tout ne se passera pas comme prévu.

A la dichotomie pour le moins contrastée (et à l'entente inattendue) entre hippies et Hells Angelss'ajoute celle qui oppose l'entourage des Stones à celui du Dead: l'entreprise familiale naïve et partageuse du second à l'écoute du nombrilisme financier des premiers. Les loups et les agneaux passent marché, le doux rêve Flower-Power du Nouveau Monde, le pragmatisme financier opportuniste de l'Ancien.

Les Stones avaient embauché des Hells Angels anglais pour contrôler la foule de Hyde Park. Les bikers britanniques avaient été efficaces, discrets et tranquilles. Mais les pendants anglais ne sont que les copiés/collés édulcorés de ceux outre-Atlantique, des fantômes vidés de leur rébellion et de leur violence. A Altamont, à la Sécurité, avec de tels acolytes made in California d'origine, les Stonespassent, sans le pressentir, un marché avec le Diable. De plus: les payer en litres de bière comme ils le demandent, ne coûte presque rien: pourquoi Jagger et consorts hésiteraient t'ils..? La bière en question pèsera lourd dans la balance.

Le site choisi sera, après d'autres abandonnés pour raisons financières, celui d'Altamont le 6 décembre: un circuit automobile désaffecté près de San Francisco, une scène minuscule, haute d'1,20 m à peine, protégée par une simple ficelle tendue, en contrebas d'une abrupte et haute colline. Pas ou peu d'assistance médicale, de points d'hygiène, de policiers. Le tout sera monté en 36 heures, dans l'urgence.

On y attend Santana, le Jefferson Airplane, the Flying Burritos Bros, Crosby Stills Nash and Young, The Grateful Dead et les Rolling Stones. Un long métrage y sera tourné, ce qui devrait permettre aux Stones de rentrer dans leurs frais (et de gagner de l'argent).

250 000 personnes déboulent et le cauchemar commence. La mauvaise dope circulante, mélangée à l'alcool, les mauvais trips, les bad vibrations, la violence innée à coups de queues de billard, les armes de poing, les passages à tabac....etc

The show must go on.
S'envole le rêve hippie.
4 morts dont un assassinat.  
Mais cela aurait pu être pire.

Le reste appartient à l'auteur, Joël Selvin. C'est un journaliste rock de l'époque qui, depuis quelques temps, semble vouloir revenir sur un certain age d'Or du rock et nous en décrire la face sombre. Ici, au coeur d'un rockumentaire très argumenté et détaillé, l'auteur nous propose un procès à charge sans concession de toutes les parties responsables (peu échappent à la critique, voire à l'accusation). Il décortique chirurgicalement le désastre, ses prémisses lointaines, ses causes immédiates et ses conséquences à long terme. Grâce à une multitude de témoignages il colle au plus près des incidents successifs.

La musique n'est plus là, seul vibre le fait divers.
En jaillit un reportage ambitieux et réussi.

L'amateur rock y trouvera son compte, le néophyte non.
L'Histoire du rock, avec Altamont, vient de franchir un seuil, celui qui demande aux hippies de sortir de la maison Flower Power, aux Stones de jeter sur le monde moins d'arrogance, au monde de prendre conscience de la présence jusqu'alors masquée du rock-business.  

Altamont n'est pas un détail de l'Histoire du Rock, un banal contrepoint en négatif des trois jours de paix, de musique et d'amour de Woodstock, mais le point de convergence de toutes les fissures qui minaient le mouvement hippie. 

Woodstock y a échappé par miracle, Altamont non.




En illustration sonore:
Rolling Stones - Gimme Shelter

Ajout du 07/12/2020:



8 commentaires:

  1. Je viens de suivre ton lien aperçu dans Babelio... Bien m'en a pris!
    Excellent article ;)

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  2. Merci..! La collection "Rivages rouges" n'est pas mal du tout. J'en avais lu un autre dans la même série, signé Chris Welch: "The man who Led Zeppelin".Edifiant, mais peut-être un tantinet trop "people" et à charge. Jimmy Page l'avait sabré à sa sortie. Mais basta, on découvre quand même la silhouette d'un personnage hors-norme.

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    1. JeffreyLeePierre10 janvier 2021 à 17:24

      Pour le son et les images correspondants, outre les albums que tu cites (Let It Bleed, Volunteers, Workingman's Dead) et auquel on peut rajouter le Gilded Palace of Sin des Flying Burrito Brothers qui étaient aussi à Altamont, il faut absolument :
      - le DVD du film Gimme Shelter de David Maysles (on y voit les images du festival d'Altamont, de la tournée US qui le précède, et en bonus l'enregistrement de Sticky Fingers dans les studios Muscle Shoals) ;
      - l'album live "Get Yer Ya-Ya's Out" des Rolling Stones, enregistré durant cette tournée US, la première avec Mick Taylor.

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    2. "Get Yer Ya-Ya's Out" >>>> Quel live,l'un des meilleurs de l'histoire du rock, connu pour le solo hyper-tendu de Richards au coeur de "Sympathy for the devil". Mick Taylor: bien meilleur d'emblée que ne le sera jamais plus tard Ron Wood (en clone de Keith Richards).

      "Flying Burrito Brothers": je connais peu ce groupe qui s'apparente plus à du country-rock sur qui mes préférences se portent moins. Je dois avoir un live et un studio.

      "Le DVD du film Gimme Shelter": >>> Que je ne connais pas. Mais des bouts de You Tube en proposent des tronçons et notamment sans doute cette apocalypse filmée qui précède et suit la mort du spectateur. Les regards de Jagger et de quelques spectateurs parlent d'eux-mêmes, même si on ne voit rien.

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    3. CSNY étaient aussi au programme. Leur set fut baclé. Neil Young raconte: "« C'était totalement surréaliste. Quand le moment est venu de jouer, on a été nuls. C'est l'un des concerts les plus déprimants dont je puisse me souvenir. Un monstrueux trip d'ego carburant à la coke. La musique était littéralement étouffée. J'ai eu une sensation d'écœurement pendant ce show, que je n'ai jamais oubliée et que je n'ai plus ressentie depuis, heureusement. J'ai senti la musique mourir cette nuit-là »

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  3. En illustration sonore et visuelle:
    https://www.youtube.com/watch?v=2Xm7Ww-G83g

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  4. Si je n’ai pas vu le film cinquante fois,à moi la peur.Ce concert signe la fin des illusions et de l’innocence.Les Stones pris au piège avec la tension qui monte rapidement pour exploser avec le meurtre de Meredith Hunter en direct.Clap de fin des années hippies.
    Apparition torride de Tina Turner avec une interprétation qui ne laisse pas de doute dans la gestuelle avec le micro.

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    1. Quel pseudo ! Ich Libido. MDR. Tu m'as fait rire.

      Je ne savais pas que TT était passée à Altamont 69, elle n'a pas du faire baisser la température et la tension ambiante.
      Le film (du moins celui présenté par You Tube) laisse entendre l'absence du Dead au concert alors que le bouquin mentionne sa présence.

      Merci d'être passé.

      Long live rock n' roll.

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