Accueil

Accueil
Retour à l'Accueil

lundi 11 novembre 2019

L'ombre chinoise - George Simenon (Maigret)







Réédition "Livre de Poche" - 2004

Réédition "Omnibus France Loisirs" 2016 - George Simenon 12

Début des années 30. Paris en novembre. Un temps de Toussaint. La nuit trop tôt tombée. Les rues de la capitale en théâtre d'ombres furtives. Crachin sur la ville. Cols d'impers relevés et foulards chauds de sortie. La cité se replie peu à peu sur l'hiver qui pointe du nez. Le gris s'impose partout, sur les choses et surtout sur les hommes; Simenon impose l'atmosphère; il a, d'ailleurs, dans cette teinte là, une histoire à raconter ...

Place des Vosges. Un sombre immeuble sur cour. Vingt-huit locataires et copropriétaires. Un microcosme représentatif.
Un meurtre à l'étage. Un homme, Couchet, une balle pleine poitrine, a été assassiné dans son bureau éclairé. C'est l'ombre chinoise sur l'écran de la fenêtre fermée, immobile depuis trop longtemps, qui a attiré l'attention de la concierge. Elle donne l'alarme. Maigret est appelé. L'homme est retrouvé devant son coffre-fort entrebâillé, le haut du corps affalé sur son bureau en désordre. Une grosse somme d'argent s'est volatilisée.

Maigret va, comme à son habitude, regarder vivre plus qu'enquêter à la recherche d'indices matériels qu'il juge accessoires. Son but: déshabiller ses proies des épaisses peaux d'oignons qui masquent et protègent, disséquer les âmes jusqu'au noyau, ce buvard indélébile qui ne trompe plus personne. Qu'elles se démasquent d'elles-mêmes, qu'elles avouent pour libérer la pression. Ne pas aller les chercher à coups de preuves imparables; qu'elles se livrent pour ne plus souffrir. Les rencontrer en ami patient ou en ennemi immobile, aux aguets de l'aveu salvateur ou de la faute inévitable.

Maigret se poste en sentinelle attentive dans les coins sombres de la cour chichement éclairée; le long des étroits couloirs et paliers déserts; dans l'intimité si révélatrice, silencieuse ou bruyante, derrière les portes épaisses. Le commissaire y guette des ombres plus que des hommes, celles accrochés à des vies étriquées ou évanouies derrière des illusions perdues, à des rancoeurs indélébiles ou des espoirs impossibles... Il y cherche un rayon de soleil ou la noirceur d'un trou noir, seuls vecteurs humains capables de conduire au meurtre.

Il a le choix, l'assassin est parmi 28 personnes ...
Il y a...
Mathilde, âme méchante, sombre et tordue, l'oreille sans cesse collée aux portes, aux aguets des autres et de leurs petits secrets. Sa folle de soeur hurlant dans la nuit quand son aînée n'est pas à côté d'elle.
Nine Moinard, douce âme chamallow, danseuse de revue, jeune maîtresse du défunt, plus en recherche de gentillesse que d'argent facile.
Edgar Martin, sa face de brave homme, ses gants de peau et sa petite vie de fonctionnaire. Son épouse, Juliette, éternellement accrochée à sa part d'ombre,  à ses ambitions rentrées et à son mari terne et falot.
Roger, le fils du mort, éthéromane déconnecté, survivant aux crochets de son père.
Quelques autres encore ... insignifiants figurants du background ou, allez savoir, bien plus encore...
Mme Saint-Marc qui vient d'accoucher à domicile et dont les cris ont masqué le coup de révolver; deux jeunes filles à une fenêtre et les effluves de chansons entraînantes ...

Et par-dessus tout, ce mort que Maigret peu à peu comprendra, sourire aux lèvres, dans ses actes et ses abandons joyeux au fatalisme.

Le roman, plus qu'à l'ordinaire chez Maigret, est un patchwork d'hommes et de femmes aux destins emmêlés dans un lieu clos qui se suffit à lui-même pour tout expliquer. Le roman, dès l'abord, donne au lecteur l'impression de jouer au Cluedo, si ce n'est que le lieu du crime et l'arme sont connus. Le Colonel Moutarde, mademoiselle Rose ou le Professeur Violet semblent de sortie, mais Simenon impose vite sa patte qui sort le récit du jeu et le place dans le drame, noir, immensément noir. Le lecteur ne joue plus si ce n'est aux échecs, Simenon conduira son assassin au mat implacable et sans pitié, il sera particulièrement détestable, une âme noire (saleté, va..!) parmi des âmes grises ...


Lire Simenon/Maigret c'est, au-delà du fait de classiquement dénicher un coupable, endosser la peau d'un homme et comprendre ses mécanismes internes, ce qui bouge sa vie, tout son être, le fait avancer, reculer, tuer, le rend profondément antipathique ou secoue en nous de l'empathie. Et ce chemin, Simenon, l'a fait avant nous en écrivant son roman. Il était à chaque fois à la recherche de ce qu'il nommait son "homme nu". A tel point que son dernier manuscrit en cours, Victor, ne parvenant plus à rentrer dans la peau de son personnage principal il arrêta d'explorer Maigret et ses "romans durs" dans l'espoir de se retrouver enfin lui-même. Ainsi, son(sa, ses) coupables de "L'ombre chinoise" a(ont) du lui faire traverser de belles noirceurs de l'âme humaine. 

Simenon ronge jusqu'à l'os son sujet en si peu de pages que cela en est un miracle de concision et d'efficacité. J'admire et je dis "encore"..!

6 commentaires:

  1. Simenon nous pousse toujours à nous répéter on dirait. Je me demande si cela ne devient pas lassant cette posture de Maigret psychanaliste qui fait avouer le coupable par une constante pression. N'use-t-il pas d'autres méthodes (courses poursuite, pièges, etc.)?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. https://images.fr.shopping.rakuten.com/photo/867864083.jpg

      Supprimer
    2. Et, pour le versant courses poursuite, ce sont des charentaises de compétition, spécial 24 Heures du Mans 1952. :-)

      Supprimer
    3. oh elles m'ont l'air bien chaudes et confortables, ces charentaises! moi qui reviens de balade avec Choco), j'ai froid aux pieds :-D

      Supprimer
  2. Merci. je vais le relire. Je me souviens que c'est un très bon avec intrigue complexe.

    RépondreSupprimer

Articles les plus consultés