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vendredi 7 janvier 2022

Chick Corea - Ludovic Florin

 

Ed. du Layeur 2021


            Bienvenue en pays de Jazz.

A l’aune de ma propre histoire avec la musique, par-delà les œillères que ma culture rock presque exclusive m’impose (centrée pour l’essentiel sur la guitare, électrique de surcroit, et le blues), Chick Corea (pourtant pianiste) m’est naturellement venu à l’oreille via un no man’s land imprécis entre jazz et rock. Du Miles Davis électrique du début des seventies à Return To Forever au mitan de la même décennie Corea fut sideman de l’un et leader de l’autre, deux formations branchées sur le 220 volts qui me poussèrent vers sa carrière solo au crépuscule des 70’s. Le musicien m’est, par la suite, resté comme en attente, en lisières de tympans, jusqu’aux mid-eighties au cœur desquelles je le perdis dans les années synthés. Je viens de le retrouver, avec l’envie de le re-écouter et d’en pousser plus avant l’exploration au fil des pages enthousiastes d’un bien bel ouvrage.

« Chick Corea », signé Ludovic Florin, m’est ainsi séance de rattrapage. J’avais loupé des trucs d’importance concernant le pianiste, et pas des moindres.  Corea avait bien d’autres facettes ; pour les découvrir il me fallait aller au-delà de l’arbre rock cachant la forêt jazz … C’est donc sur le fil rouge du jazz électrique que j’ai abordé l’ouvrage, remontant une carrière qui pullulait d’intérêts autres, surtout acoustiques. J’ai, pour l’occasion, ressorti « The Leprechaum », « Mad Hatter », « Tap Step » et … surtout «My spanish Heart » que j’ai fini par comprendre et laissé tourner sans fin sur ma platine, le temps de lire et de chroniquer.

Chick Corea est né aux USA en 1941, il y décéda en 2021. Ce jazzman de renom connut une longue et prolifique carrière internationale. Instrumentiste polymorphe (pianiste, claviériste et percussionniste …), il devint sideman recherché des plus grands. Compositeur inspiré et prolifique, il bâtit, cinq décennies complètes durant, une discographie inventive et foisonnante, variée dans ses intentions et ses atmosphères. Il explora tous les jazz (ou presque): bop, free-jazz, jazz-rock et jazz-fusion ; s’essaya à tous les formats de lines-up :  minimalisme piano-solo, duos (avec Gary Burton), quartets, quintets, sextets, bigbands et grands formats symphoniques ; tâta de l’impro et de compositions écrites complexes… Il s’est acoquiné aux instrumentistes virtuoses de son époque le temps de quelques sessions en studio et/ou sur scène. Le présent ouvrage, tout entier consacré à sa discographie (et par là même à sa biographie), est le premier en langue française qui lui soit entièrement consacré.

Plus de 300 albums à son actif (Bongu ..!). Ludovic Florin nous les commente 250 pages durant. Autant de jalons, de pierres blanches (le plus souvent), de marqueurs de l’évolution jazzistique de Corea et du jazz dans son ensemble. L’abondante iconographie embarquée s’attache aux pochettes recto de chaque opus (souvent pleine page, ce qui ne gâte rien). Chick Corea raconté par les pochettes de ses disques, quel bonheur ..!

L’objet-livre est pour le moins luxueux. Il est copieux et dense (quels euphémismes ..!). Il ne vole pas le client, loin de là. Judicieusement aux dimensions d’un 33 tours d’antan, reprenant l’esthétisme circulaire des LPs de jadis, on y trouve symboliquement la galette de cire noire, le rond du sticker central (un détail-pochette de « The Leprechaum » paru en 1976). Tout se veut symboles des décennies vinyle traversées par Corea.

L’idée d’une vinylothèque de papier, grandeur nature, s’impose à l’esprit. Le pari est réussi. Les Ed du Layeur, reprennent l’idée dans leur pertinente et semble t’il prometteuse collection « Musique ». Aux côtés d’ouvrages consacrés aux Rolling Stones, à Led Zeppelin, aux Stooges, à Higelin, à Léonard Cohen, au Pink Floyd, on en trouve d’autres, thématiques, centrés psychédélisme, musique progressive ... etc. Si la pertinence graphique et celle des commentaires sont à chaque fois au rendez-vous, comme ici avec « Chick Corea », la collection peut valoir le détour. (A suivre).

                Les dessinateurs, peintres et photographes à l’œuvre de ses pochettes de disques réussirent la gageure d’illustrations de qualité qui, à défaut d’unité, reflètent l’éclectisme musical du musicien. On y retrouve les standards iconographiques de tous les styles de jazz explorés, du bop jazz latin à celui des années 2010 en passant par le psychédélisme et l’ère « synthés ». Plaisirs de feuilleter, d’apprécier les images proposées, de consulter les commentaires pertinents et érudits, de remonter le temps vers telle ou telle époque de l’évolution du jazz, de retrouver certains albums emblématiques du genre. Le tout serait nostalgique si le jazz n’était pas immortel.

« Chick Corea » de Ludovic Florin plaira aux inconditionnels de l’empreinte musicale du claviériste, aux jazz-addicts tout court, à celles et ceux curieux d’une icône jazz qu’ils ne connaissent que de nom ou peu, à ceux ne venant au jazz que sur le fil d’envies ponctuelles.

Ce dernier point me concerne. Ma perception de Corea est tronquée. Mes rapports avec le jazz ont toujours été sporadiquement passionnels, intenses mais passagers. Le temps que certaines mouvances satellitaires (jazz-rock et jazz fusion … etc) naissent, émergent et se diluent, m’attirent irrésistiblement puis me renvoient vers mes bases-arrière, vers un rock spectacle, matamore et m’as-tu-vu. La faute à mes quinze-vingt ans qui, durant les seventies débutantes, furent hard-rock de fond et blues-rock de forme, préférentiellement power-trio et guitar-heroes dépendants. Une décennie de rock lourd saturé de blues qui ne se prêta que peu à la pêche au jazz.

Et pourtant … Corea appartient par la bande à mon intérêt pour le jazz, via ceux rock et fusion. Il a inscrit sa discographie foisonnante de 1967 à 2021 ; sa carrière est souvent allée de pair avec ces jazz-là, ces jazz autres qui tricotaient leurs notes avec le rock ... Je savais trouver dans certains des line-ups de Corea de quoi alimenter mon intérêt pour la guitare électrique. Il y avait John McLaughlin, Paco de Lucia, Al di Meola … etc. Mais il n’y eut pas qu’eux. Un foisonnement de noms essentiels émerge peu à peu : bassistes d’exception (Dave Holland, Stanley Clarke, Ron Carter …), des batteurs de légende (Jack Dejohnette, Tony Williams, Steve Gadd, Lenny White …), des claviers concurrentiels s’ils n’étaient pas avant tout amis et complices (Herbie Hancock, Joe Zawinul …) et bien entendu des cuivres en cornes d’abondance (Wayne Shorter pour n’en citer qu’un).

L’ouvrage pointe du doigt la complexité des line-ups jazz. A chaque opus Corea se cherche le personnel idéal à l’unité près, celui apte à donner la couleur sonore recherchée. Ce me semble une constante jazz, à l’inverse semble t’il du rock plus stable en effectifs. De quoi s’y perdre là où l’auteur s’y retrouve et clarifie. S’y ajoutent les circonstances de création, le désir de l’un de jouer ponctuellement avec l’autre. Chaque commentaire présente les circonstances de création du line-up en cours, les nécessités de l’instant et la couleur sonore qui s’en dégage.

Le moindre des mérites de l’ouvrage de Ludovic Florin fut de me montrer que l’arbre masquait la forêt … et qu’en conséquence, ressortant de ma vinylothèque d’anciens opus sacralisés du Miles Davis électrique et de Return To Forever, j’en ai redécouvert d’autres, oubliés, abandonnés (« Spanish heart », « Tap step », « Mad hatter », « the leprechaum » … etc). Je laissais inlassablement tourner la platine durant ma lecture et la rédaction de la présente chronique. L’ouvrage de Ludovic Florin m’a révélé un avant et un après à l’art du claviériste que je ne connaissais pas, l’axe tournant autour des 70’s. Il me reste qu’à mettre tout çà en musique, casque sur les tympans. Je ne demande que çà.










 

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