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samedi 14 mai 2022

Barlovento: face au vent - Mazzitelli & Alcatena (BD)


Warum éditions (2019 en VF) 
 

             Ce livre-BD, grand format oblige chez Warum Ed., est un luxueux pavé de 180 pages en noir et blanc exclusif. Il est signé de deux pointures mondiales du 9ème art: les argentins Enrique Alcatena et Eduardo Mazzitelli, le premier aux dessins et le second au scénario.

Merveilleuse découverte que celle de ce duo magique que je ne connaissais pas. Alcatena semble avoir travaillé pour Marvel. Les super-héros ne sont pas ma tasse de thé mais, rien que pour la qualité de son graphisme, l'envie me poussera, à l'occasion, à y aller faire un tour. 

Merci à Babelio et Masse Critique, à l’éditeur et aux auteurs pour ce lent et beau voyage graphique.

L’œuvre, revisitant les stéréotypes de l’Age d’Or de la piraterie du XVIIème siècle, résonne en échos rêveurs et nostalgiques de nos lectures de jeunesse. Mais, bien plus encore, sur le fil rouge d’un graphisme époustouflant, elle brasse aussi les grands mythes maritimes de l’Antiquité à nos jours.

Attention chef d’œuvre.

Môme, le soir sous la couette, dans l’attente du sommeil, je m’imaginais pirate ou corsaire, boucanier ou flibustier. Je me glissais dans le sillage de Long John Silver ou celui de Surcouf, portais tricorne ou bandana, cache-œil et jambe de bois, fumais sur la dunette face au soleil couchant une étroite et longue pipe d’écume de mer noircie, buvais de forts alcools ambrés dans des tavernes infames, sabrais et taillais dans le lard lors des abordages. Je n’étais plus qu’un faciès d’ombres sous la lune argentée, qu’un profil couturé de cicatrices boursoufflées, que mille jurons crachés dans tous les dialectes des sept mers.

« Barlovento : face au vent » restitue cette ambiance aventureuse perdue au seuil de l’âge adulte. L’album, récemment, m’était tombé sous les yeux, attisant ma curiosité. D’emblée la sensation d’un coup de foudre probable, la certitude que contenant et contenu allaient me plaire. Livre simplement feuilleté, maintes images entrevues semblaient promettre les mêmes rêves que ceux de jadis.

Retour en petite adolescence, semble t’il garanti ..!

Et les promesses sont tenues ... et bien plus encore en s’adressant à l’adulte.

Iles sous le vent comme autant de havres de paix et de promesses de ripailles, orages sous les tropiques, mers lourdes et sombres en chahut, déferlantes à l’infini sous la lune, drapeau noir claquant dans la tempête à la pointe du grand mat, horizons déchirés sous d’énormes nuages menaçants, trognes hilares et édentées de pirates en goguette, les mêmes sanguinaires à l’abordage couteau entre les dents …               

Ce pavé-BD, comme un coffre au trésor sous le sable d’une plage dorée, recèle bien plus encore que les sempiternels stéréotypes du genre. Elle accueille en vrac et en abondance des références à l’Odyssée et à la Bible, une baleine blanche et un capitaine haineux et revanchard, des promesses d’Atlantide, Kraken et Léviathan, Méduse et sirènes enchanteresses … et même un sous-marin jaune chipé aux Beatles.

Bienvenue en territoires de rêves maritimes brassés de quelques mythologies océanes. Le héros les croisera le long de 11 quêtes initiatiques successives. Le fil rouge étant Mille-Orages son défunt père, un pirate mythique, qu’à l’état de fantôme il croise sans cesse, qu’il cherche à retrouver au-delà de la mort, à comprendre et à imiter.

Alcatena, le dessinateur, ne mégotte pas sur le volume d’encre noire utilisée. Un graphisme dense, fouillé, heurté, tout en hachures plus ou moins serrées, parallèles ou croisées. Contrastes appuyés, ombres et reliefs accusés, sensation d’une éternelle nuit sous les étoiles. Coups de plume/coups de griffes à l’encre de Chine noire sur la peau peu à peu de chagrin du papier vélin blanc. Aplats de ténèbres appliqués aux eaux sombres, aux profondeurs océanes mystérieuses, au bestiaire fabuleux surgi des abysses. Blancheur à fleur d’eau, en contraste, de l’écume des vagues laissée à la virginité première du vélin. Tout l’ouvrage est une conquête incessante du noir sur le blanc. Le Ying à l’assaut du Yang (ou l’inverse). Des pages denses et détaillées, touffues. Un incessant et patient travail du trait, de son épaisseur, de sa longueur, presque comme dans l’art de la gravure.   

Alcatena offre un sens au moindre détail. A l’exploration de chaque vignette l’œil s’interroge : « Comment fait t’il ? ». Et l’énigme reste mystère. Le dessinateur garde ses secrets. L’océan et le héros refluent en une fin ouverte prometteuse.

« Heureux qui, comme Ulysse a fait un beau voyage »








2 commentaires:

  1. Comme toi, je ne connais pas les auteurs mais les planches que tu dévoiles sont superbes. Un noir et blanc épique !

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    1. Je l'ai prêté à un ami qui, lui aussi, a flashé sur les photos.
      NB: "épique" que tu emploies colle à merveille.

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