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vendredi 5 août 2022

Les Folies Bergère - Porcel et Zidrou (BD)

 

Dargaud Ed. (2012)

 

                1918. Du côté de Verdun, au cœur d’une tranchée en bord de no man’s land, combat un bataillon auto-surnommé « Les Folies Bergère ». « Cà sonne quand même mieux que 17ème compagnie d’infanterie ». C’est un théâtre-tranchée arraché à la boue, agencé de bric et de broc. On y trouve des soldats déguisés en filles, des affiches de music-hall parisien aux courbes rondes et pleines, un violon, des chansons pour rire ou pour pleurer; c’est un simili-cabaret pour tenter d’oublier, boire et conjurer le sort, gifler l’ombre noire et sa faux dressée devant les barbelés ; c’est une promesse d’utopie, charnelle et lascive, si proche dans l’espace (Paris n’est pas si loin !) et si lointaine dans le temps (la guerre n’est pas encore finie !), loin de la mort qui rode, alors que le sang s’enfuit des corps blessés et que le fer en mitraille que rien n’arrête crève les chairs et les uniformes.

« Les Folies Bergère », les vraies, là-bas à Paris, où tous se promettent d’aller, du moins ceux qui survivront, quand la guerre finira, pour fêter çà, pour qu’enfin, auprès de deux trois danseuses pas farouches, « … un petit sourire, un gros bifton … les portes du paradis s’ouvrent. ».

Ainsi, derrière le feu des braseros, s’agitent les ombres de filles à paillettes et aux corps plantureux ; jaillissent les lumières brûlantes venues des cintres, loin de celles, mortelles, repoussant la noirceur des nuits, issues des projecteurs de l’ennemi ; rode l’illusion excitante des frous frous, du cancan bruyant et joyeux, des jupons boursouflés de dentelles blanches, des hautes bottines lacées de cuir noir. Et puis, il y a ces instants rêvés dans les recoins sombres du cabaret où la tendresse féminine sera finalement plus importante que le reste pourtant tant espéré ; une épaule pour pleurer se sentir encore humain et raconter, se vider d’une puanteur qui menace d’être indélébile.

Des poilus, chacun son surnom. Quelques-uns parmi tant d’autres : il y a « Tambouille », le cuistot qui crèvera bientôt les tripes à l’air, à la mode de Caen ; « Poils-aux-dents » aux jeux de mots exaspérants ; « Rembrandt » et ses croquis habiles et si représentatifs du quotidien des soldats;  « La gâche » le sniper ; Mimile et Karabinermeister. Tous mourront sauf … celui, inattendu, par qui sera tenue une promesse faite à Paris, aux filles de music-hall qui y dansent et rient, à la paix revenue, à la mort et surtout à l’oubli.

Toujours au front, on trouve : la médaille du cocu patriotique, celle du mutilé reconnaissant, et des taupes, toujours des taupes, rien que des taupes (elles seront un des moteurs morbides de l’intrigue) :

« Tu te rappelles, Huguette, ces taupes que nous attrapions pour ton père ? Un sou par taupe. C’est ce que ton paternel nous donnait … [ ] … Et bien, ma douce, mon absente, les taupes aujourd’hui c’est nous. Sauf que je suis pas sûr que nous valions un sou par tête ».

A l’arrière, il y a Claude Monet et ses nénuphars, Clemenceau chez son ami en visite. Deux personnages inattendus mais essentiels

Trois fusiliers pour l’exemple devant un peloton d’exécution. L’un d’eux, malgré le coup de grâce, survit. C’est Rubinstein, alias « Roubignolles » qui a … mais chut, de quoi ne serions-nous pas capables par temps de guerre. La troupe parle de miracle, la hiérarchie de problèmes techniques et de la nécessité de réitérer l’exécution; on attend un prêtre mandé par l’état-major et les autorités ecclésiastiques, les résultats de son enquête.

« Roubignolles », dans sa geôle, dont le corps percé cicatrise, apprend que sa jeune fille, tel un fantôme, est apparue entre les lignes, qu’elle a été récupérée par les Poilus, et demande « son père ».

Des dessins, en noir & blanc quasi exclusif, si ce n’est ce gris plomb dédié aux ombres de la terre bosselée et labourée, aux ventres des nuages, aux faciès terreux et fatigués. Parfois du rouge écarlate pour le sang d’hommes déversé des ventres éviscérés, sur les visages charcutés en promesse de gueules cassées ; mais écarlate tout autant sur ce bâton de rouge à lèvres dont l’utilité si poétique remuera plus d’un lecteur. Brun ocre sur les scènes en flashback. Il y a, bien évidemment, du Tardi dans tout çà, celui de « C’était la guerre des tranchées », dans une volonté commune de descriptions sans fard, crues, directes et percutantes. le graphisme de Porcel est moins rond, plus haché, heurté et explosif, plus effrayant et efficace encore peut-être.

Un scénario en béton signé Zidrou, percutant et offensif, en allers et retours incessants masquant la mise en abime. Maints éléments d’intrigue, imbriqués dans une suite logique et implacable, finalisent un tout riche et complexe. Chapeau bas.. !

J'ai traversé et terminé "Les folies bergère" profondément ému car meurtri et empathique de ses jeunes vies perdues, gâchées, promises à un enfer de plomb pour le prix d’un paradis illusoire. J’ai failli pleurer … mais, vous savez, un homme çà se retient ; mais c’était tout juste.

Excellent roman graphique, entre réalisme cru et fantastique allégorique (le Bien et son Envers, Dieu et Diable dans des rôles interchangeables).

Chef d'œuvre ? Oui, assurément.


 

4 commentaires:

  1. Y a de quoi pleurer, franchement.. surtout qu'en 2022 y a encore des guerres, des vies gâchées, tant de malheur sur cette planète.

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    1. ... et qu'aucune leçon n'a été tirée, que l'Histoire est cyclique, les hommes bien oublieux et pour certains intéressés.

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  2. Monet et Clémenceau … A l'enterrement du premier, Clémenceau enlève le drap noir qui recouvre le cercueil : "pas de noir pour Monet !"

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    1. Excellent et justifié. J'ignorais. Merci.
      Voici peut-être pourquoi dans la BD, les œuvres de Monet, celles en ébauche sur chevalet face à ce qui est en cours d'être peint, la palette aux courbes lentes et ses pinceaux, sont aux couleurs de l'arc-en-ciel, en totale opposition avec le gris tristesse du reste des vignettes, au même titre que le sang des hommes, hors des corps, est écarlate dans la boue des tranchées, sous les ventres gris des nuages ?

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