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mardi 6 février 2024

Satisfaction, un entretien imaginaire avec Keith Richards – Gaston Carré

 

Collection « Encre rock », Erick Bonnier Editions (2023)

 

Still alive and well, Keith Richards, le légendaire riffeur des Rolling Stones a fêté ses 80 ans fin 2023. « Hackney Diamonds », le dernier album du groupe est sorti à l’automne dernier. Le guitariste sera sur scène dès avril de cette année: comme d’habitude, en open-tunings, telecaster 5 cordes, bras droit moulinette, corps de guitare à hauteur des genoux, « Steet Fighting man » sous le médiator, look débraillé et pourtant classe … The show must go on.

La une de couverture de « Satisfaction, un entretien imaginaire avec Keith Richards » fascine ; elle affiche une surprenante et magnifique photo qui, en noir et blanc, fait ressurgir, comme échappés du passé, les premiers clichés rebelles du groupe. L’image, pourtant, est bel et bien ancrée dans le présent : décennies écoulées, Richards y accuse le poids des ans et affiche ostensiblement une métamorphose, oserais-je dire naturelle au regard des abus qui furent les siens. Le guitariste se montre désormais (mais çà lui va si bien) en vieux boucanier à la peau de serpent, en pirate clope goudrons-nicotine au bec, en corsaire grêlé tout en profondes rides et coriace épiderme cuir croco. C’est, dorénavant, un forban à l’œil glaucome, pénétrant et énigmatique, qui semble regarder par-delà les choses de ce monde, à l’aguet d’un ailleurs qui se profile mais qu’il ne redoute pas vraiment, sans remords ni regrets. C’est une rock-star revenue de toutes les flibustes qu’égrenèrent près de 60 ans de périples rock. C’est un « survivor ».

Keith Richards va se montrer sous la plume de Gaston Carré, maintenant peut-être plus qu’avant, en nique-la-mort, dans la peau reptilienne d’une increvable bête de foire immortelle que l’on n’aurait pas prédit quand l’Âge d’Or des Rolling Stones battait son plein… alors que le plus pondéré d’entre eux, Charlie Watts, s’en est allé il y a peu, en 2021 … Long live rock n’ roll.

Oyez, amis rockers, ce bouquin a été écrit pour vous. C’est un OLNI* astucieux, pétri ponctuellement d’humour so british, surprenant de forme mais sérieux de fond … et au final pleinement réussi. Il est né sur le terreau fertile d’une idée (sans doute) originale, décalée et tortueuse dans sa gestation, sa mise en place et ses implications. On a affaire à un postulat de départ étonnant, qu’il convient d’assimiler et d’accepter avant de s’engager et d’apprécier les ramifications qu’il implique. Les Stone’s addicts y retrouveront leurs petits, les dilettantes itou pour peu qu’ils possèdent un minimum de références concernant leur combo chouchou. Le tout a été classé « roman » par l’auteur, sans doute à défaut de mieux ; il en a la forme mais j’y entrevois plus un essai ou une autobiographie uchronique ou parallèle. Basta, l’essentiel est d’y trouver son compte.

Le principe est simple, décalé, surprenant et diabolique : l’auteur, un journaliste belge, s’essaie en « je narratif » à une interview fantôme de Keith Richards. L’entretien fantoche est affiché comme tel et s’avère pleinement maitrisé. Pour peu que le lecteur y adhère et s’immerge, le pari étonnant de la virtualité crédible est réussi. Chapeau.. ! Bienvenue en pays science-fictif où, en « Intelligence Artificielle » consciente et interactive, Richards échange sa chair contre un amalgame d’octets. Les réponses aux questions sont celles qu’auraient pu donner le guitariste emblématique, elles jaillissent pourtant de la bouche d’un copié-collé de lui-même. Keith Richards, l’homme en chair et en os, celui de sa vraie vie et de la nôtre, n’apparait pas vraiment ici, ce ne sont même pas ses mots, ce sont ceux de Gaston Carré, l’auteur ; mais c’est bluffant de vérité, de crédibilité et de sincérité. C’est le clone virtuel de Richards qui ici, 194 pages durant, répond aux questions, bavarde, se souvient, parle, pavoise, se confie, avoue, déconne, s’inquiète, extrapole, se moque, ment, bluffe, pèse le pour et le contre, revient sur l’histoire des Stones et la sienne propre. Il semble apparaitre en hologramme au-dessus d’un livre aux pages ouvertes, à l’aplomb des caractères d’imprimerie du roman-interview qui l’abrite, petite silhouette pulsatile, grésillante et vacillante, en noir et blanc, comme sortie d’une liseuse électronique 3D. Son créateur le veut autonome dans sa version artefact, libre de ses actes, de ses confidences, doté de la parole, de la réflexion, d’humour. Quand le lecteur interrompt sa lecture, refermant l’objet-livre, il lui semble priver d’électricité un Keith Richards-bis tout en octets agglutinés. Le héros de pixels se met alors en état de veille informatique, jusqu’à la prochaine reconnexion…. On n’est pas loin de la SF, version cyberpunk soupoudré d’uchronie et/ou d’univers parallèles. J’ai adoré.

L’effet est saisissant, le lecteur doit périodiquement recadrer sa perception, la mettre à l’unisson du postulat proposé ; la mécanique interne qui sous-tend la fausse interview fonctionne jusqu’à l’épilogue. Magie que tout cela.

On y cause d’un train de banlieue où deux jeunes mordus de blues se croisent et s’acoquinent, de l’influence d’Anita Pallenberg passée des bras de Brian Jones à ceux de Richards, des 460 guitares du Reptile, d’une piscine en 69 où s’est noyée une certaine façon d’appréhender les Stones, de Hyde Park en blanc, du désastre d’Altamont et de la fin du rêve hippie, des rapports fluctuants du guitariste avec Mick Jagger, de Patti Hansen, du Maroc abritant le fantôme errant de Brian Jones … etc.

… mais surtout de mort(s) et de vieillesse, de cette multitude de défunts à avoir voulu suivre la rock n’ roll way of life de Keith Richards bourrée de sexe, d’excès et de drogues de toutes sortes…

Accroche-toi Keith, accroche-toi… !

*OLNI : Objet Livresque Non Identifié.

Illustration sonore: " (J can't get no) satisfaction "

(Croquis-calque à la va-vite)

 

1 commentaire:

  1. L'incipit: "Keith Richards a soufflé 80 bougies, et le vieux brigand les a mouchées d'un coup, par le nez, tant ce qu'il exhale reste puissant. Mick Jagger aussi a 80 ans désormais, mais c'est un évènement, tandis que l'anniversaire de Keith fut un miracle."

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