De 1975 à 1977, le temps de 4 albums seulement, Wilko Johnson fut, à la guitare solo et rythmique, le riffeur fou de Dr Feelgood, un groupe de pub-rock anglais ici dans son line-up d’origine. Le musicien est décédé il y a peu (en 2022), il avait 75 ans. Wilko la Mitraille, aux côtés de Lee Brilleaux aux vocaux, fut l’âme damnée du combo avec son regard d’ombre et sa maigre, haute et inquiétante dégaine de clergyman à la Robert Mitchum dans « La nuit du chasseur ». Ses rifs saignants, au hachoir, ses lignes rythmiques acérées et pétaradantes ont fait école. Il possédait un travail en main droite métronomique, implacable, un rien robotique et saccadé, impressionnant de régularité. Wilko était quelque part avant l’heure informatique, un micro-processeur humain monté sur pattes, un robot à la cadence overclockée. Frénétiques moulinets de poignet cisaillant les riffs. Effet guillotine (ou de râpe) sur la pulpe des doigts (pas de médiator). Gifles de phalanges en rafales serrées sur les cordes. Le gonze cherchait la fréquence cardiaque de qui l’écoutait, s’y calait et poussait le palpitant captif vers la tachycardie furibarde. C’était du rock, du vrai, loin du Floyd ou de Genesis alors à la mode; le groupe était un artéfact anachronique échappé d’un passé récent, une formation atemporelle qui pouvait s’adapter en ne créant jamais rien de nouveau.
« Down By The Jetty »
(1975), est le premier Dr Feelgood d’une longue lignée. Wilko Johnson
va s’y insérer au fer rouge, signer les plages de sa marque de fabrique
indélébile, du bout du riff d’acier trempé et sous l’impact de ses rythmiques
endiablées. Il va donner une couleur (la sienne) au LP inaugural et aux trois
suivants. Bientôt exilé volontaire vers d’autres horizons musicaux, il ne
retrouva pas sa notoriété première. Pour Dr Feelgood, les temps
changèrent ; ils avaient perdu une pièce maitresse de leur line-up ;
ce qui ne les empêcha pas de perdurer. Rien, néanmoins, ne fut peut-être comme
avant ; au combo il manqua son zeste de folie, la manière radicale qu’il avait de
concevoir le rock. Pas de fioritures et directs au foie garantis. Dr
Feelgood sans Johnson ce fut un peu comme Genesis sans Gabriel
ou ACDC sans Bon Scott ?
Dr Feelgood s’inscrit dans
la mouvance anglaise du pub-rock ; dans cette vague détonante qui naquit
dans les pubs grand-bretons des seventies. Une dose de rock, une de bière et on
remet çà, question d’équilibre des énergies. Une mouvance teintée 50’s, avec « Nine
Below Zero » ou « The Inmates » en têtes de gondole autres,
pour ne citer que deux représentants. Le pub-rock : un compromis entre
rock et punk, un versant traditionnel d’amont, un autre, son pendant d’aval,
précurseur du punk à venir. D’un côté, des clones stoniens du début des sixties ;
de l’autre, une punk attitude en attente de celle, radicale, des Sex Pistols.
Sur le fil de la discographie
d’un combo rock, outre le fait que le premier opus est le plus souvent éponyme
(ce qui n’est pas le cas ici), il amorce, en général, le fil rouge sur lequel
les autres suivront. C’est d’autant plus vrai avec Feelgood qu’avec d’autres.
Z’ont jamais dérogés à leurs intentions premières, frétillés vers d’autres
horizons plus mainstream ; ils sont restés tels que, inamovibles et
indémodables.
« Down By The Jetty »
fut, à parution, un enregistrement studio monophonique (la stéréo vint plus
récemment via les rééditions). Délibérément mono. De par un désir d’hommage passéiste
au rhythm’n’blues des 50’s oldies but goldies. Ce qui, de manière décalée en
1975, en une ère post-hippie et pré-punk, se traduisit aussi, en une de pochette,
par un cliché photo en noir et blanc montrant le line-up façon bad guys en maraude. Les Stones
et les Doors (et quelques autres) avaient déjà fait çà à l’orée des
60’s. Des trognes fermées, guère amènes, pas rigoloches pour un sou, des faciès
crispés, des sourires en berne ; un contraste photographique à donf
(manque que le virage sépia) ; des habits noirs, cintrés et stricts mais
débraillés, des cravates filoche, l’éternelle veste de clergyman col serré pour
Johnson. Des gueules de gouapes, méchantes, patibulaires et revanchardes ;
des facies de carte d’identité sans expressions. Cà leur allait bien, ce look
d’enfants terribles.
Et puis, y’avait la zique du Feelgood
qui allait avec …
Les morceaux étaient courts, ramassés,
presque simplistes (mais on s’en fichait .. !), incisifs, percutants, dédiés
aux refrains, sur le fil aigu d’un rasoir affuté. Les titres étaient conçus au
nerf de bœuf, comme des uppercuts précis à la pointe du menton. Rapides et
définitifs, ils tourneboulaient, chahutaient, cognaient
et chahutaient sévère dans la caboche de qui les prenaient pleine tronche.
Méchants garçons.. !
La scène était leur territoire. Les français adoraient le groupe on stage pour çà. Pour ses pulsions binaires qui envahissaient tout ; pour ses compos branchées sur le 220, secouées de nitroglycérine et de TNT. C'était du rock sueur qui ne se foutait pas du monde.
« Down By The Jetty », l'album : rien
que des chevaux de bataille live : « She does it right »,
« Boom boom (de J.L. Hooker), « Roxette », « J
don’t mind » … etc
Dr Feelgood tourne encore
et toujours dans l’Hexagone. Pas de pubs, rien que du bouche-à-oreille, et çà
marche. Sont plus jeunes les bougres, sont plus tous là non plus, mais avec la foi
qu’instille le rock ils déplacent tout et tirent la nique à qui les pensent has
been.
Du rock piment, de bar à bière, de sales mioches à tirer les sonnettes sur les pas de portes, de trognes à trainer la nuit sur le pavé luisant, de tronches à la Orange Mécanique à guigner les coups pendables.
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