Possible édition originale (pour ce que j'en sais) en Série
Noire, 1972, n° 1489.
Réédition de 2005 en Omnibus Gallimard Quarto (heureux possesseur
je suis d'un exemplaire).
"Ô Dingos, Ô
Châteaux": Grand Prix de la Littérature Policière 1973.
En 1975, Yves Boisset, sous le titre "Folle à tuer", réalise une
adaptation cinématographique de "Ô
Dingos, Ô Châteaux", un néo-polar de Jean-Patrick Manchette paru en 1972 dans la mythique Série Noire.
Le titre du
film, "Folle à tuer", dévoile
plus l'intrigue que ne le fait celui, pour le moins énigmatique*, du roman
initial. Ce sont bien de tentatives d'assassinats dont il s'agit, celles perpétrées
sur Julie Ballanger, une jeune nurse et sur l'enfant dont elle s'occupe.
C'est une jeune fille ordinaire
et solitaire, en rupture légale de clinique psychiatrique, qui vient de contrecarrer
un kidnapping d'enfant et de prendre la fuite en sa compagnie.
Sans passer par
la case Police, s'engage une longue traque sanglante.
Un huis clos tripartite
se dessine:
_le tueur à gages à ses trousses, froid, distant, colérique,
psychopathe;
_les proies, traquées, apeurées mais déterminées à survivre;
_le(a)(es) commanditaire(s), dans l'ombre, aux aguets.
La police est en background lointain, n'apparaît que succinctement
via les faits divers des journaux. Sa quasi absence place le roman en terre de
Polar.
Le style d'écriture est minimaliste, empreint du
"comportementalisme" cher à Manchette:
les actes expliquant à eux seuls les psychologies, décrire les secondes devient
inutile. L'intrigue ainsi dynamitée, s'ancre davantage dans les péripéties et
les coups de théâtre. L'action est omniprésente, il n'y a plus de temps mort. Le
Polar devient ainsi Néo-Polar à la
Française.
Une nouvelle fois chez Manchette,
le personnage principal prend la fuite sans vraiment s'expliquer son geste**, sur
une simple impulsion de survie. La raison n'est plus de mise, l'instinct seul
parle. Réfléchir et se rendre aurait été la seule solution. Tout au plus, mais
c'est discret, entrevoit t'on une explication psychiatrique dans son aversion pour
les forces de l'Ordre. Résurgence d'un passé enfui ? Manchette ne donne que peu
d'informations sur le sujet, se contente du fait. Et le lecteur de faire
avec...
Julie fuit et tue ceux qui la traquent; fait passer un sale
quart d'heure à ceux, pourtant innocents, qui croisent son chemin mais
l'entravent.
Seul subsiste cet enfant à sauver. Peu importe les raisons
qui la guident sur un chemin qui ressemble à une rédemption. Julie avance en
anti-héroïne que seules les circonstances guident, obstinée à survivre, comme
attirée par un règlement de compte entre elle-même et la soi-disant normalité
des autres.
La victime et son poursuivant dans les premiers rôles,
l'architecte philanthrope et son neveu kidnappé dans les seconds, les sbires du
tueur en arrière-plan: un casting serré se met rapidement en place. Il est manichéen et
archétypal. Si ce n'est que la démarcation bien/mal glisse, comme une plaque
tectonique le fait, de la gentille névrosée sortant de clinique psychiatrique
vers encore plus malade qu'elle: trois tueurs à gages implacables, fous dans
leurs têtes, le flingue comme une extension corporelle innée, le décès de la
cible comme une finalité que rien ne doit contrarier. Comme dans "Le petit
bleu de côte ouest", les marginaux et les déclassés font ce qu'ils peuvent
face à plus dérangés qu'eux.
Paru en 1972, "Ô Dingos, Ô Châteaux" s'inscrit
dans son époque, la dernière décennie des trente glorieuses florissantes, en
traitant à sa manière le thème du consumérisme. Une des scènes sanglantes, sans
doute la plus marquante, prend place dans un haut lieu de la société de
consommation: le supermarché. Tout y sera saccagé, brûlé, rendu à l'inutile; de
la même manière que dans "Le petit bleu de la côte ouest" une station
service détruite se fera l'écho des toutes proches crises pétrolières.
Manchette n'hésite pas, dans son minimalisme de style, à lister les objets
design du quotidien, la réalité s'y renforce. L'auteur ne décrit pas les
voitures et les armes mais les cite simplement (et complaisamment).
Un exemple du minimalisme d'écriture utilisé par Manchette.
Une partie de l'action se déroule sur un axe routier entre Saint-Etienne et
Roanne: Montbrison, Feurs, Boën. Il se trouve que je connais bien. Manchette ne
décrit rien, mentionne seulement des noms de villes, d'hôtels, de bistrots; parle des
petits ponts du centre-ville historique montbrisonnais, du gros marché du samedi
matin qui y a lieu.
.... déception. Mais il faut reconnaître que quand peu suffit
pourquoi alourdir.
Manchette taille sa prose dans des phrases simples,
apparemment peu travaillées; mais ses mots ont été soigneusement agencés pour
le maximum d'efficacité. Les personnages sont allégés de leurs mécanismes
psychologiques internes, le lecteur ignore ce qu'ils pensent mais de ce qu'ils
font déduit ce qu'ils sont. L'auteur se fait volontiers représentant en
images-choc, flashs rapides, en déroulés cinématographiques; la BD (Tardi,
Cabanes ...) et le cinéma ("Nada", "Trois hommes à
abattre", "Laissez bronzer les cadavres"...) y ont trouvé leur
compte.
* Le titre semble être un emprunt à une poésie d'Arthur
Rimbaud:
"Ô saisons, ô
châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?..."
Quelle âme est sans défauts ?..."
On peut trouver un semblant
d'explication dans la 4 de couv. de la réédition en "Carré noir" de
1975:
"Par les monts et les routes, fuyaient Julie la folle et
l'enfant menacé d'un bien bizarre kidnapping. Dans la tête de Julie, des
souvenirs d'incendies, de fusillades. Au cœur, un espoir: découvrir le château
fabuleux où l'attendaient la délivrance et le repos. Mais les trouverait-elle ?
Savait-elle, Julie la pitoyable étoile de ce ballet macabre, que les autres
danseurs étaient bien plus fous qu'elle ?"
Je te l'ai déjà dit, mais j'adore tes petits dessins!
RépondreSupprimer:-)
SupprimerJe viens d'en rajouter deux sur la chronique de HEX
https://laconvergenceparalleles.blogspot.com/2019/06/hex-thomas-olde-heuvelt.html