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mercredi 23 octobre 2019

Ô dingos, Ô Châteaux ! - Jean-Patrick Manchette (Roman)



Possible édition originale (pour ce que j'en sais) en Série Noire, 1972, n° 1489.


















Réédition de 2005 en Omnibus Gallimard Quarto (heureux possesseur je suis d'un exemplaire).


"Ô Dingos, Ô Châteaux": Grand Prix de la Littérature Policière 1973.

            En 1975, Yves Boisset, sous le titre "Folle à tuer", réalise une adaptation cinématographique de "Ô Dingos, Ô Châteaux", un néo-polar de Jean-Patrick Manchette paru en 1972 dans la mythique Série Noire.

            Le titre du film, "Folle à tuer", dévoile plus l'intrigue que ne le fait celui, pour le moins énigmatique*, du roman initial. Ce sont bien de tentatives d'assassinats dont il s'agit, celles perpétrées sur Julie Ballanger, une jeune nurse et sur l'enfant dont elle s'occupe. C'est une jeune fille ordinaire et solitaire, en rupture légale de clinique psychiatrique, qui vient de contrecarrer un kidnapping d'enfant et de prendre la fuite en sa compagnie. 
Sans passer par la case Police, s'engage une longue traque sanglante. 
Un huis clos tripartite se dessine:
_le tueur à gages à ses trousses, froid, distant, colérique, psychopathe;
_les proies, traquées, apeurées mais déterminées à survivre;
_le(a)(es) commanditaire(s), dans l'ombre, aux aguets.
La police est en background lointain, n'apparaît que succinctement via les faits divers des journaux. Sa quasi absence place le roman en terre de Polar.

Le style d'écriture est minimaliste, empreint du "comportementalisme" cher à Manchette: les actes expliquant à eux seuls les psychologies, décrire les secondes devient inutile. L'intrigue ainsi dynamitée, s'ancre davantage dans les péripéties et les coups de théâtre. L'action est omniprésente, il n'y a plus de temps mort. Le Polar devient ainsi Néo-Polar à la Française.

Une nouvelle fois chez Manchette, le personnage principal prend la fuite sans vraiment s'expliquer son geste**, sur une simple impulsion de survie. La raison n'est plus de mise, l'instinct seul parle. Réfléchir et se rendre aurait été la seule solution. Tout au plus, mais c'est discret, entrevoit t'on une explication psychiatrique dans son aversion pour les forces de l'Ordre. Résurgence d'un passé enfui ? Manchette ne donne que peu d'informations sur le sujet, se contente du fait. Et le lecteur de faire avec...
Julie fuit et tue ceux qui la traquent; fait passer un sale quart d'heure à ceux, pourtant innocents, qui croisent son chemin mais l'entravent.
Seul subsiste cet enfant à sauver. Peu importe les raisons qui la guident sur un chemin qui ressemble à une rédemption. Julie avance en anti-héroïne que seules les circonstances guident, obstinée à survivre, comme attirée par un règlement de compte entre elle-même et la soi-disant normalité des autres.

La victime et son poursuivant dans les premiers rôles, l'architecte philanthrope et son neveu kidnappé dans les seconds, les sbires du tueur en arrière-plan: un casting serré se met rapidement en place. Il est manichéen et archétypal. Si ce n'est que la démarcation bien/mal glisse, comme une plaque tectonique le fait, de la gentille névrosée sortant de clinique psychiatrique vers encore plus malade qu'elle: trois tueurs à gages implacables, fous dans leurs têtes, le flingue comme une extension corporelle innée, le décès de la cible comme une finalité que rien ne doit contrarier. Comme dans "Le petit bleu de côte ouest", les marginaux et les déclassés font ce qu'ils peuvent face à plus dérangés qu'eux.

Paru en 1972, "Ô Dingos, Ô Châteaux" s'inscrit dans son époque, la dernière décennie des trente glorieuses florissantes, en traitant à sa manière le thème du consumérisme. Une des scènes sanglantes, sans doute la plus marquante, prend place dans un haut lieu de la société de consommation: le supermarché. Tout y sera saccagé, brûlé, rendu à l'inutile; de la même manière que dans "Le petit bleu de la côte ouest" une station service détruite se fera l'écho des toutes proches crises pétrolières. 
Manchette n'hésite pas, dans son minimalisme de style, à lister les objets design du quotidien, la réalité s'y renforce. L'auteur ne décrit pas les voitures et les armes mais les cite simplement (et complaisamment).

Un exemple du minimalisme d'écriture utilisé par Manchette. Une partie de l'action se déroule sur un axe routier entre Saint-Etienne et Roanne: Montbrison, Feurs, Boën. Il se trouve que je connais bien. Manchette ne décrit rien, mentionne seulement des noms de villes, d'hôtels, de bistrots; parle des petits ponts du centre-ville historique montbrisonnais, du gros marché du samedi matin qui y a lieu.
.... déception. Mais il faut reconnaître que quand peu suffit pourquoi alourdir.

Manchette taille sa prose dans des phrases simples, apparemment peu travaillées; mais ses mots ont été soigneusement agencés pour le maximum d'efficacité. Les personnages sont allégés de leurs mécanismes psychologiques internes, le lecteur ignore ce qu'ils pensent mais de ce qu'ils font déduit ce qu'ils sont. L'auteur se fait volontiers représentant en images-choc, flashs rapides, en déroulés cinématographiques; la BD (Tardi, Cabanes ...) et le cinéma ("Nada", "Trois hommes à abattre", "Laissez bronzer les cadavres"...) y ont trouvé leur compte.


* Le titre semble être un emprunt à une poésie d'Arthur Rimbaud:

"Ô saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?..."

On peut trouver un semblant d'explication dans la 4 de couv. de la réédition en "Carré noir" de 1975:
"Par les monts et les routes, fuyaient Julie la folle et l'enfant menacé d'un bien bizarre kidnapping. Dans la tête de Julie, des souvenirs d'incendies, de fusillades. Au cœur, un espoir: découvrir le château fabuleux où l'attendaient la délivrance et le repos. Mais les trouverait-elle ? Savait-elle, Julie la pitoyable étoile de ce ballet macabre, que les autres danseurs étaient bien plus fous qu'elle ?"

** Cf le comportement troublant de Gerfaut, le héros de "Le petit bleu de la côte ouest"





2 commentaires:

  1. Je te l'ai déjà dit, mais j'adore tes petits dessins!

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    Réponses
    1. :-)
      Je viens d'en rajouter deux sur la chronique de HEX
      https://laconvergenceparalleles.blogspot.com/2019/06/hex-thomas-olde-heuvelt.html

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