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mardi 9 mars 2021

La Croisière des oubliés – Enki Bilal (dessins) & Pierre Christin (scénario)

 

Dargaud éd. 1975 (Réédition de 1986) – Collection « Légendes d’aujourd’hui, Histoires Fantastiques »

 

1975. Une collaboration BD signée Enki Bilal (dessins) et Pierre Christin (Scénario). « La croisière des oubliés » est le premier album d’un triptyque* chez Dargaud issu de la collection « Histoires Fantastiques - Légendes d’aujourd’hui ». Chaque tome, en one-shot, brasse une thématique d’actualité (d’époque) dans un contexte Fantastique classique (horreur exclus). Le tout est paru en feuilleton dans l’hebdomadaire « Pilote, le journal qui s’amuse à réfléchir ». Nostalgie et re-lecture (si longtemps après que tout c’était effacé).                                           

Une clairière étriquée au cœur de la forêt des Landes. Un minuscule village à l’écart de tout. L’océan à deux pas, si loin si proche qu’on pourrait y tremper les pieds mais qu’on n’a jamais oser. La ville là-bas, tout pareil. Deux trois fermes pierres de taille et toitures à moussures verdâtres ; un clocher ding dong encore les cloches, étables et basse-cours à meugler et caqueter, quelques agriculteurs typés France profonde ; des bérets de traviole, des cigarettes roulées clouées aux becs, des boutanches de gros rouge, des verres aux gosiers en trajectoires conviviales. Une France effacée, gommée, rayée par la modernité en approche rapide. Un camp militaire pas loin, des essais en cours (va savoir ce qui s’y trame ? Pas du bon c’est sûr). Un couple de jeunes, cheveux longs et façons hippies, en visiteurs d’un soir, venus d’un ailleurs autre que le village ; des qu’on sait même pas qui ils sont, qu’on accueille du bout des doigts à pas savoir ce qu’ils veulent.

… et, au petit matin, le village s’arrache de la terre, lévite et, poussé par le vent, migre lentement, aérien et obstiné, vers l’océan. Pendant qu’au camp militaire, tanks et blockhaus s’enfoncent dans le sable. La France des infos s’agite, celle gouvernementale s’efforce à étouffer, la communauté du village s’offre des vacances et part voir la mer …

... La suite et les explications (s’il y en a) appartiennent au récit et aux magnifiques vignettes de Bilal.

Tout çà est d’humeur :

_post soixante-huitarde prégnante, tissée d’anti militarisme beuglard, rigolard et moqueur (l’état-major peu à peu transformé en créatures lovecraftiennes bon teint) ;

_d’écologie balbutiante (le camp militaire du Larzac n’est géographiquement pas loin, l’emprise du béton sur la côte, l’exode rural),

_d’anticonformisme (il y a décalage certain avec les idées béates et éternelles de la France tranquille et sereine des 30 glorieuses d’alors). On n’est pas loin de la contre-culture hippie encore vivace de la fin des 60’s., de mai 68 aux pavés, comme les maisons du village, déracinés.    

_utopique : une communauté autarcique, autosuffisante le temps d’un voyage, heureuse du changement, prodigue dans les libations alimentaires qu’elle s’accorde et l'avenir qui chante qu'elle entrevoit.

On retrouve dans la BD le thème de l’étranger, de celui venu dont ne sait où, pour on ne sait quelle raison et reparti sans explications aucune. Cet élément, garant de suspense, est un point d’interrogation récurrent au cœur du récit. S’ils lui donnent corps humain et comportement ami de ceux du village, Christin et Bilal se gardent bien d’en affiner le portrait, le laissent dans l’énigme et la nuit obscure peuplée de monstres. On ne saura rien ou si peu, mais c’est le propre du Fantastique de ne rien expliquer. La fin de l’histoire s’en trouve ouverte et rajoute au Fantastique ambiant.

Au rang des influences à venir : peut-être « La soupe aux choux » (1981) de René Fallet dans lequel la paillardise rabelaisienne des autochtones d’un  lieu-dit oublié et menacé par le béton, déraciné de son passé, est téléportée vers des confins E.T. paradisiaques.

Christin croque en mots une idée fantastique poétique, intrigante et attachante. Ses dialogues en bulles sont efficaces, concrets, ciblés, sans décalage aucun avec les beaux crobars dans les vignettes. Textes et dessins s’agglomèrent en un tout dense et concret.  Bilal aux crayons, encres, gommes et pinceaux, apporte ses hachures féériques, ses traits précieux et ses couleurs typiques. Déjà du grand art au bout de doigts magiques.

Le graphisme inspiré, onirique et omniprésent du village aérien restera dans les mémoires visuelles de celles et ceux qui s’y laisseront prendre. S’y vous y êtes tentés je vous aurais prévenus.     

* "La croisière des oubliés", "Le vaisseau de pierre" & " "La ville qui n'existait pas". 


           

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