Accueil

Accueil
Retour à l'Accueil

dimanche 8 décembre 2024

Tendre Violette (Tomes 01&02) – Servais + Dewamme (BD)

 

Rééditions 2000

« Tendre Violette » est un copieux roman graphique franco-belge signé Jean-Claude Servais (dessins) et Gérard Dewamme (scénario) paru en 1982.

L’action se situe début XXème siècle dans la Meuse. Certains détails laissent penser que l’on n’est pas loin du premier conflit mondial. Un été campagnard ; la vie rurale en ces temps-là ; des touches de modernisme (une auto pétaradant de par les chemins, son conducteur, à l’air libre, emmitouflé de vêtements chauds, casquette et épaisses lunettes de conduite). Violette, dont on va suivre la destinée le long de 10 chapitres, une jeune, belle et libre sauvageonne, attend que se gorgent de sang les sangsues (pour le pharmacien) sur ses jambes nues, debout et robe retroussée, dans la vase d’une mare…

Servais donne le ton d’emblée, il sait dessiner la nature ; il en comprend les mécanismes et sait restituer la beauté de cette campagne du nord qu’il apprécie, verte, riante et ensoleillée ; ces bois et ces champs aux détours des chemins, ces croix de pierre à leurs croisées, les mares et les étangs; la brume du petit jour et le pourpre des crépuscules ; hêtres et pommiers en futaies et vergers, vaches dans les prés clôturés ; fermes et villages aux creux de vallons ensommeillés ; ruelles grossièrement pavées ; messes et fêtes dansantes dominicales. Une vie d’antan, de cartes postales jaunies ; des maisons serrées les unes contre les autres ; des gens pour y vivre, hommes de gros velours vêtus, femmes en longues robes noires et fichus. Et parmi eux, il y a Violette, la sauvageonne, qui, au fond des bois et dans sa masure seule, même une vie qui ne plait guère aux bigotes, aux notables hautains et méprisants qui la guignent et qui croient que tout leur est dû, aux gras paysans, à l’épicier-herboriste concurrent et aux sœurs qui dans leur couvent l’ont enfermée et cherchent à la mâter.

Violette est jeune, belle et désirable mais ne s’en laisse pas compter. Elle se montre libre, autonome, heureuse … mais pauvre. Qu’importe, la vie n’est qu’une fête même si souvent … tout n’est pas rose. Elle couche avec qui lui plait ; à son goût le beau et riche baron chatelain qu’elle refuse d’épouser (malgré le polichinelle dans le tiroir qu’il lui a collé), le jeune tailleur de pierre issu du compagnonnage qui s’en ira sur son tour de France. Elle se donne à une clandestinité tarifiée auprès de notables taiseux et hautains sur fond d’épouses jalouses et vengeresses.

Violette, un parler cru mais libre, un goût prononcé pour le vin au goulot, une vie dans les bois, lièvres au collet, une connaissance ancestrale de la flore, une certaine complicité avec la faune (un chat sauvage qu’elle seule approche), tisanes, baies sauvages et truites de braconnage vendues lors du marché hebdomadaire.

Un assassin dans les bois, un juge égorgé, une patte de loup pour brouiller les pistes, un couteau de surineur.

Des prétendants peu délicats et sûrs de leur faits que Violette rabroue. Une « guerre des boutons » entre villages voisins, des gendarmes qui enquêtent …

Et quand le Fantastique s’en mêle : le sabbat attend le point du jour pour que Satan et les villageois lâchent enfin leur proie et que Violette, enfin, s’ensauve : feux sous les arbres dans l’obscurité, pentagramme, chat noir et bouc sacrifié, druide, suppôts de Satan de pacotille … La suite appartient au récit.

(A SUIVRE) fut, de 1978 à 1997, un magazine BD mensuel, adulte d’intention, qui se spécialisa dans le 9ème Art dit d’«auteur» en ouvrant (entre autres) ses pages au roman graphique. Le cadre jusqu’alors restreint des 48 pages standards limitait les libertés de narration et de dessin. Le format retenu ouvre alors l’espace et attire créateurs et lecteurs. Jean-Claude Servais fut un de ces artistes maison (Gallimard) au service du projet (Tardi, Comes, Manara, Pratt… etc) ; tous y prépublièrent de bien beaux récits aux succès garantis et à la postérité offerts. « Tendre Violette » voit le jour dans la revue sous forme de feuilleton (10 chapitres) de 1979 à 1981 ; la parution en album suit en 1982, les rééditions ultérieures verront le volume initial scindé en deux parties qui seront colorisées.

C’est une belle réussite (des suites verront le jour) qui met en avant un scénario bien mené, touchant et tendre, un certain romantisme amer sur le fil de relations amoureuses décevantes, des situations qui flirtent avec le roman de terroir, le policier et le Fantastique, des personnages secondaires bien plantés, une héroïne attachante et vraie avec laquelle le lecteur entre en empathie …

Sur le fil de chapitres en one-shots, la récurrence de personnages tour à tour principaux puis satellitaires, l’ensemble prend la tournure d’un fix-up autour du destin de Violette. L’assemblage des évènements est crédible même si, parfois, de petites incohérences et non-dits non résolus émergent.

Servais et Devamme nous convient à un catalogue de vieilles cartes postales, celles d’un temps jadis maintenant effacé, paysages verdoyants, bourgs sous la neige, l’orage ou la pluie, petits métiers, notables endimanchés… Autant de dessins fidèles à ce que fut la réalité d’antan, de clichés quasi photographiques surgis du passé. N&B à prépublication et première édition, colorisation à réédition alors que l’on aurait pu s’attendre à des virages sépia à la manière photo de l’époque. C’est beau et le regard enthousiaste se perd, fouille les détails, cherche les ficelles du dessin, croit comprendre alors qu’il ne va que de surprises en surprises graphiques.

           Violette est belle et désirable. Servais la respecte. Rien en elle, ou si peu, de ces filles de papier promptes à montrer plus qu’il n’en faut. L’intrigue est au service de son féminisme, de l’histoire qui lentement ou brusquement avance ; on est loin de l’héroïne comme banal prétexte affriolant. D’autres épisodes attendent. J’aurai plaisir à revenir vers la douce et libre Violette, d’autant que des points d’ombre jusqu’alors à peine effleurés voilent encore son passé. Servais et Dewanne n’ont pas tout dit. (A SUIVRE).

 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés