Casterman 2003
Je suis venu à Servais via « L’almanach » (également connu, en parution initiale, sous le titre « Les diaboliques vol 1&2 »). Le style, proche de la nature, du dessinateur et le Fantastique classique du scénariste m’avaient plu. Ma présente lecture de « Tendre Violette » souhaite retrouver, à minima, les sensations éprouvées sur le fil de leur Imaginaire Fantastique commun.
« Lucye » est le cinquième volet de «Tendre Violette*», un cycle BD jusqu’alors signé en duo par Servais et Dewamme. Le premier cité, dessinateur, est désormais seul aux commandes. J’ignore les raisons de la désaffection du second, scénariste attitré. J’ai décidé de ne pas voir en son absence un manque mais un retour aux fondamentaux de la saga. « L’alsacien », le 4ème épisode, échappant au Fantastique ambiant initial qui m’avait tant plu, possède de bien d’autres qualités, entre autres historiques liées au contexte de la première guerre mondiale, mais ça ne fait pas tout. « Lucye » appartient tout entier à un Fantastique classique typé XIXème siècle. Un vrai plaisir d’immersion pour qui possède des affinités avec le genre.
Avec « Lucye », l’histoire de Violette se poursuit. Un épisode de plus (il y en aura 7). Il peut se lire indépendamment des tomes précédents. La compréhension globale n’en sera pas affectée. Mais tant qu’à faire, suivre la chronologie donnera du relief à certaines subtilités satellitaires qui font, aussi, le charme de la série…
Un coin de Meuse à l’orée de l’entre-deux-guerres. Une campagne verdoyante, de petits villages aux creux de vallons ensommeillés et assoupis. Violette, une jeune et belle sauvageonne qui, indépendante, solitaire et heureuse au fond des bois, vit de l’air du temps, de maraudes et de braconnages, de gibier, de vin et de cueillette. Elle côtoie des hommes à qui elle plait, se donne ; elle refuse de les épouser, les abandonne sans guère de remords ou la peine au cœur… A ses côtés, mystérieuse et trouble, Lucye la sorcière, vieille et ridée sous le poids des ans et de l’expérience ; philtres, tisanes, mandragore et élixirs ; elle semble, sans trop le montrer (y compris à l’intéressée) veiller sur Violette pour des raisons, sans doute à chercher dans le passé … Nous en saurons peut-être davantage...
Damien, le benjamin des frères Lamborelle, de riches propriétaires terriens, est l’amant de Violette ; c’est celui du moment, un parmi d’autres. Cette relation ne plait pas au reste de la fratrie, au père qui se meurt d’une bien curieuse langueur et à un amoureux brusquement éconduit, devant tout le monde, au café du village. Violette semble depuis la cible d’envoutements entre état de conscience cotonneux et déboires physiologiques.
Lucye entre alors en scène et …
Jusqu’alors, la part de Fantastique embarqué dans le cycle circulait en périphérie de l’intrigue, par touches légères, à l’occasion de non-dits scénaristiques et de vignettes à décrypter. Cette insertion à bas bruit contribuait à la tonalité générale trouble des épisodes antérieurs ; le lecteur y trouvait son content ; il était venu pour cette part d’irrationnel que maitrisaient parfaitement scénariste et dessinateur. Servais, à l’occasion de ce 5ème tome, désormais privé de scénariste à ses côtés, fait le choix de plonger à pleines brassées dans le genre, laisse remonter une intrigue qui, sous réserve de ne pas s’y perdre, brasse ingénieusement les thèmes traditionnels de la sorcellerie, de l’âme vendue au diable et de l’ubiquité (à moins que… !). Sabbat orgiaque sous la Lune, poupée de son hérissée de pics acérés, chèvre sacrifiée, chat noir, feu de bois sous les hêtres ancestraux, Diable cornu, trident et jambes de bouc… Le montage est surprenant, il peut dérouter à première lecture, mais, pour peu que l’on en trouve la clef, surprend et plait. Servais fait le choix de remonter aux origines de Violette, d’enfin en livrer des bribes (on en sait plus, à peine plus). Soigneusement masquées jusqu’à présent, les révélations imposent alors Lucye, la sorcière, au premier plan de la BD ; elle seule, sait, en effet, tout de Violette. Cette dernière, en conséquence, subit, endosse à l’épilogue un rôle secondaire
Les qualités graphiques de Servais ne s’érodent pas sur le fil d’une série BD qui a déjà ses aises et fait ses preuves. L’artiste aurait pu se passer d’efforts autres que raisonnables (d’autres que Servais sont tombés dans le piège du laisser-aller). Il fait le taf et bien au-delà, sert un graphisme de toute beauté, colorisé à l’avenant ; le résultat est toujours aussi envoûtant. Le portrait de Violette en 2D libère une fille sensuelle, belle et attirante, qui le sait et en profite ; c’est un fantasme de papier au corps divin. Celui de Lucye, à l’inverse, use des rides et crevasses liées au grand âge, sert une sagesse trouble qui ne livre pas le tréfonds de son être.
Rendez-vous au prochain épisode. Je n’y manquerai pas.
*01 Julien ; 02 La Cochette ; 03 Malmaison ; 04 L’Alsacien ; 05 Lucye
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