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jeudi 12 septembre 2024

Carmen Cru 01 Rencontre du 3ème Age – Lelong (1984)

 

J’ai lu BD n°14 (1987) pour la présente édition, VO (1984) chez  Fluide Glacial Ed.

 

Tout du long des 11 brèves historiettes proposées dans cet album BD immortel (car, semble t’il, hors du temps), Lelong, en tant que dessinateur-scénariste, nous invite à une « Rencontre du 3ème Age » inoubliable et bourrée d’humour acide et ravageur. Carmen Cru y campe un personnage fictionnel féminin haut en couleurs, celui d’une très vieille dame caricaturée à outrance dans sa mesquinerie et notre impossibilité à la supporter sans heurts ni désespérance. Sa misanthropie est une vocation et un euphémisme. Elle se montre corps étranger hors de son temps, asociale, méchante sans raison, irascible, colérique, sordide, intransigeante, égoïste, grippe-sous, apte à la vengeance en prompt retour de manivelle... et plus si non-affinités avec la plupart de ses contemporains (peu ont l’heur de lui plaire et surtout pas ceux qui cherchent à lui rendre service). Carmen Cru est la Tatie Daniels du 9ème Art (en pire.. !), l’Anti-Tartine parfaite (cette crème de grand-mère BD de mon enfance) dont se souviendront les plus âgés d’entre nous.. ! A deux doigts de l’Ehpad mais suffisamment vivace et mal intentionnée pour faire ch*** inlassablement ses contemporains, elle s’obstine dans son caractère obtus et incorrigible ; c’est le nec plus ultra des vieilles emmerdeuses acariâtres et atrabilaires. Elle ne se refait pas, elle est comme elle est et sans rien dire vous p**** à la ****.

Bref, elle nous fait bien rire, elle est là pour çà, ce n’est qu’une caricature. Lelong affinera plus tard son portrait en intitulant le 7ème tome de la série : « Une cervelle de plomb dans un crâne de béton ». Pour cerner « la Bête » au plus près, celle décrite de vignettes en phylactères, citons entre autres certains épisodes : « La dame de fer », « Vie et mœurs », « Ni dieu ni maître » et « L’écorchée vive » (tous symptomatiques d’un caractère de cochon, d’une roublardise et d’une mauvaise foi qui ne sommeillent jamais mais bossent à temps plein).

Carmen Cru irrite son lecteur ; il se dit, qu’enfin, un être comme çà, ce n’est guère possible, le genre humain n’a pu en enfanter de tels. Et pourtant, cherchez bien dans vos connaissances, il y a de çà parfois. Carmen Cru : une belle somme de défauts ; quid de ses qualités ? Ne s’y attache t’on pas quand son neveu vient la taper sur sa maigre retraite, fouiller dans ses affaires au plus secret de ses cachettes, se montre à deux doigts de la frapper ; quand on vient lui proposer l’Ehpad pour lui chourer son appart… etc. Elle a beau avoir le self-défense d’un boxeur ( cf « L’amie des bêtes », la 6ème histoire) on la sent parfois victime fragile. Alors on oublie ce brave curé déjanté, qu’elle ne remercie même pas, quand il répare le pneu crevé de son vélo rouillé mais y perd sa montre et son veston. A propos de vélo, quels trésors insoupçonnés trouver dans le profond cageot fixé au porte-bagage par de longs Sandows ?

Qu’au physique, « la bête », je vous décrive. Un visage ridé, sans sourire aucun, ouvert sur une porte de prison. Une bouche étroite, édentée, entrebâillée sur une incisive unique, ultime survivante d’une post-apocalypse buccale. Pour faire la belle et de beaux clichés (chez le photographe) elle porte face à l’objectif un dentier XXXL dans une bouche habituellement resserrée en cul de poule. La prothèse, sa présence difficile et son absence délicate, explique les rares bavardages réservés à qui lui plait, c’est-à-dire personne. Un regard exophtalmique (lire des yeux globuleux), un œil qui dit merde à l’autre et qui tourne, tourne dans son orbite. Un long nez à l’énorme verrue baignant dans le tiroir-caisse d’un menton prognathe. Le regard aussi mauvais que le gros rouge qu’elle boit à gros goulots. Une silhouette ratatinée sous l’assaut d’une hyperlordose que jalouserait un escargot et sa coquille. On la croirait enfoncée au ras du sol comme un clou sous le marteau, l’étrange chapeau-cloche (je ne peux dire mieux.. !) figurant la tête du dit clou. Toujours les mêmes guenilles à la mode du lointain jadis de nos défuntes arrière-arrières-grand-mères ; sans doute aussi la même odeur de vieilles frusques et de peau. Un long et lourd manteau, celui d’un rat mouillé ou à poils ras de chameau, dirais-je plutôt, au su du caractère de Carmen. Le bas de robe en large cache-poussière au ras des charentaises. Le tarin comme une tubéreuse à peine arrachée de terre, laissant filer par gravité de longs filaments de bave que la narine renifle. Le galure comme un lourd demi-melon évidé et posé en cloche sur une tronche impossible.

Carmen Cru parut en album en 1984, ce fut un cycle BD de 8 tomes à compter d’une prépublication dans « Fluide Glacial » trois ans plus tôt. En 2024, ce « Rencontre du 3ème Age » m’est une relecture. Entre les pages lues jadis, refermées à parution et les présentes retrouvailles, se sont écoulées 40 ans tout ronds. La vieille dame est restée telle que, ne s’est pas amendée, le même fichu et indécrottable caractère comme l’étrave d’un bateau fendant la vie. Toujours en noir et blanc (la couleur ne lui sied guère) sur le chemin de l’éternelle vieillesse (Faust aurait t’il pu imaginer un deal autour de çà ?), figée dans son irascibilité et sa détestation féroce du genre humain.

Il y a maintenant longtemps, pendant le Festival de théâtre d’été en Avignon, je l’ai croisé en vraie au milieu de la foule dans les rues de la Cité des Papes, déambulant quelques flyers en mains. « Le papier du spectacle est gratuit, pas l’entrée. Si vous trouvez çà cher, tant pis pour vous. D’autres viendront. Si vous venez, je vous préviens, soyez à l’heure, sinon on commencera sans vous. »

Sacrée Carmen de BD. Au plaisir de vous avoir croisé une nouvelle fois. On se retrouvera peut-être quand on sera vieux tous les deux, mon caractère rattrapant le vôtre, vous immortelle femme de papier et moi sous le poids des ans sans pitié.

Les autres, ils vont en baver, on va se marrer ...!


 

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